Marre de la publicité dans le métro
Publicité et marketing

Touche plus à mon métro !

 
« Réclamons un métro sans publicité »
Tous les habitués en auront fait le constat : difficile de prendre le métro sans remarquer les nombreuses publicités (affiches ou vidéos) présentes dans les couloirs, dans les escaliers, sur les quais, en géant sur chaque côté des rames (entre les panneaux des stations et quatre mini panneaux entre chaque rame) et même pendues au plafond de ces dernières.
Ce qui passe également de moins en moins inaperçu depuis quelques années, ce sont les actions anti-pubs dans le métro.
Depuis le mois d’octobre il est possible d’y voir des post-it et des affiches colorées des « reposeurs »* qui clament haut et fort que « la pub fait dé-penser » et réclament « un métro sans publicité ». Les derniers mois ont été marqués par des actions des « déboulonneurs »*, un collectif polémique qui n’hésite pas, quant à lui, à dégrader les affiches et à se retrouver devant les tribunaux. Ces derniers, accompagnés d’autres collectifs, ont par exemple vandalisé des écrans publicitaires type ACL le 30 novembre à l’aide de bombes aérosols. On pouvait y lire des messages tels que « La publicité pollue nos rêves », « Trop d’intérêts privés dans l’espace public », « Pollution visuelle et mentale » ou encore « Libérez nos regards ».
Ces nouveaux panneaux publicitaires vidéos sont les plus décriés : pour dénoncer leur présence à la station Montparnasse, une mise en scène de la RATP* représentait un Père-Noël qui « pédalait pour la pub », fouetté violemment par un homme déguisé en Séguéla.

Rien de surprenant à ce qu’à l’approche de Noël, – période traditionnelle de « matraquage publicitaire extrême »- les actions anti-publicitaires se multiplient. Une tendance assez spontanée : des passagers lambdas s’arment de feutres noirs pour taguer les affiches qu’ils rencontrent tous les jours…
Une manière de se réapproprier le métro parisien en marquant sa désapprobation face à l’omniprésence de la publicité et ainsi sortir de la passivité ?
Les contestations sont diverses. En premier lieu l’agression visuelle causée par la taille et le nombre trop important d’affiches et de panneaux publicitaires dans le métro, mais également la défense de la notion d’espace public, les stéréotypes véhiculés par la publicité, les campagnes de plus en plus décomplexées (cf. les violentes réactions face à la récente campagne du site de rencontre extra-conjugale Gleeden dans le métro et les nombreuses dégradations spontanées de ces affiches), le « bourrage de crâne » du consommateur et l’absence d’échappatoire… Difficile en effet de ne pas voir ces affiches géantes et omniprésentes. Dans le métro il n’existe pas, comme sur Internet, de petite croix rouge sur laquelle cliquer pour fermer une publicité, ni de logiciel Adblock, capable de nous prévenir de la pollution visuelle.
Bwin, le site de pari en ligne l’a récemment souligné, non sans malice :

Il semble, de plus, important de rappeler que les dispositifs publicitaires dans le métro ne rapportent à la RATP que 100 millions d’euros par an, soit seulement 2% du chiffre d’affaires.
Ces actions sont d’autant plus intéressantes qu’un très récent sondage exclusif du CSA nous apprend que 48% des franciliens utilisant tous les jours les transports en commun remarquent une augmentation du nombre d’affiches et de dispositifs publicitaires. Parallèlement, 40% de ces franciliens considèrent que ces dispositifs constituent une « agression visuelle ». Le CSA en conclue donc que « les franciliens ne sont pas intrinsèquement opposés à la publicité dans le métro mais peuvent occasionnellement ressentir une gène quand celles-ci deviennent trop intrusives par leur nombre ou leur dimension ».
Rien d’étonnant donc à ce que 57% des franciliens réclament une réglementation de l’affichage dans le métro en limitant le nombre d’affiches et leur format (à 50x70cm).
Le matraquage publicitaire comporte des risques : selon une étude publiée par Australia & TNS Sofres en octobre 2013, la publiphobie a gagné 8 points en 10 ans (33% des français sont publiphobes en 2013) et 85% des répondants déclarent qu’il y a trop de publicité.
Pourtant, selon 52% des franciliens, certaines des publicités que l’on trouve dans le métro sont encore « dignes d’intérêts ». Il est vrai que face au « trop plein », les franciliens se font plus exigeants et intransigeants. Néanmoins, ils ne sont pas totalement hostiles à la publicité dans le métro. En effet, elles apportent de la couleur, distraient le passager et l’instruisent sur l’actualité culturelle à travers les nombreuses affiches pour le cinéma, les concerts, les spectacles, les pièces de théâtres et autres expositions…
A défaut de pouvoir vous émanciper des publicités qui vous plaisent le moins, vous pourrez apprécier certaines actions originales des collectifs anti-pub qui deviennent de nouveaux « créatifs » (parfois adeptes du « brandalisme », une nouvelle sorte de street art engagé) au service d’une communication d’un autre genre.
Rue 89 : « Quand les casseurs de pubs sont plus créatifs que les créatifs »
Quant à la publicité chez les plus idéalistes des « curieux » de fastNcurious, on l’espère globalement plus drôle, surprenante, esthétique et inventive que jamais en 2014 !
 
Maud Espie
Quelques pubs qu’on a plaisir à pub-lier

Publicité et marketing

Gleeden : l'affiche de trop ?

 
Effet collatéral du débat sur le mariage pour tous ou goutte d’eau rhétorique qui fait déborder le vase communicationnel ? Toujours est-il que le métro est depuis quelques jours le terrain d’une fronde discrète mais répétée contre la dernière affiche publicitaire pour le site de « relations extraconjugales » Gleeden.

Ce n’est pourtant pas la première campagne d’affichage du site Gleeden. Loin de là. Jouant sur une argumentation audacieuse et volontairement provocatrice, le site de rencontres extraconjugales s’est fait une spécialité de la rhétorique trompeuse (et du faux syllogisme) qui prend ses libertés avec la morale et donc avec le discours rationnel : voir article précédent.  En affichant « C’est parfois en restant fidèle que l’on se trompe le plus », le site est ainsi dans la droite ligne de ses affichages passés. Mieux encore, la campagne actuelle avait déjà fait l’office d’un affichage il y a quelques mois qui était parfaitement resté épargné et intact :

La question est donc : pourquoi une réaction aussi massive maintenant ?
Première hypothèse : la saturation
En parlant de saturation, il s’agit d’abord d’évoquer le fait que, dans sa logique communicationnelle simpliste, Gleeden est actuellement en passe de devenir une sorte de modèle énonciatif. De sorte que même absente, Gleeden est,  comme par effet de persistance rétinienne, omniprésente ; la « marque de fabrique » Gleeden s’est imposée à une très grande diversité de concurrents, d’abord, et d’annonceurs totalement différents, ensuite.

En renouant avec la simplicité d’un message purement verbal et d’un spectacle strictement typographique, le site de rencontres a inspiré la plupart des marques récentes qui désirent s’afficher avec l’efficacité d’un discours direct et « petit malin ». Citons, entre de nombreux exemples actuels (Acadomia, Skyn, etc.), le cas de la marque Espace Loggia :

En mettant au cœur de son argumentaire le principe du contrepied rationnel et raisonnable, Gleeden a produit ce que les gourous de la communication appellent un effet « disruptif ». En jouant avec le motif paradoxal de la rupture du contrat moral, marital et énonciatif, la marque adultérine est devenue le parangon de la vertu publicitaire la plus élémentaire, qu’on pourrait dès lors nommer la « disrupture ».
De sorte que la marque s’est ainsi banalisée. Et, pourtant, c’est bien cette dernière campagne plutôt anodine au vu des précédentes, qui semble la plus provocante si l’on en juge par l’intensité et la répétition des réactions des divers usagers du métro qui se sont en quelque sorte mis à répondre à l’incitation à la débauche de l’affiche en la dégradant plus ou moins systématiquement. Dans la plus stricte tradition des mouvements antipub, les affiches pour Gleeden se voient « barbouillées », mutilées ou détournées.
Pour quelques phrases inscrites à même les « faces » publicitaires achetées à la régie de la RATP du style « La fidélité est la victoire de l’amour sur l’instinct », la plupart des réactions des passagers sont directement adressées au matériel et au support de Gleeden.
Au sens propre, ces réactions sont épidermiques et cherchent à décoller l’affiche comme on arrache la peau d’un cadavre ou comme on arrache un plan de maïs transgénique.
Deuxième hypothèse : le contexte « sociétal »
La deuxième lecture possible de cette manifestation d’exaspération publique pourrait se trouver dans l’atmosphère encore chargée des lourds débats que nous venons de vivre autour de la question amoureuse et de sa traduction institutionnelle et sociale en termes de mariage. Malgré les dissensions, le débat sur le « mariage pour tous » convergeait finalement dans la célébration de la valeur symbolique (qu’elle soit religieuse, politique ou sociétale) d’un rite collectif reconnu et désiré. Or, Gleeden n’a pas seulement donné ses lettres de noblesse à l’adultère ; il a également joué avec le motif de la duplicité. La dernière campagne d’affichage flattait un au-delà du mensonge et de la tromperie : le parjure.

Pomme croquée, doigts croisés derrière la robe de mariée, regard oblique et rouleaux de cheveux éployés : tous les signes sont là pour construire la scène originaire de la « pensée de derrière ».
Plus généralement, cette mise en scène du parjure peut renvoyer également au contexte de défiance politique que les cas exemplaires récents de DSK, de Jérôme Cahuzac, ou de Gilles Bernheim ont fait éclater toute cette année au contre-jour du faux aveu médiatique.
Troisième hypothèse : un excès de communication traversière
La dernière hypothèse que nous voudrions avancer est d’ordre médiatique et renvoie au choix du dispositif de communication de cette dernière campagne. A la différence des grandes affiches placardées sur les murs des quais du métro, Gleeden a fait, cette fois-ci, le choix d’un emplacement plus accessible et plus modeste : les escaliers du métro. Or, toutes ces petites affiches, nous les croisons quotidiennement sans forcément les voir : autrement dit, nous les voyons de manière « traversière ».

Gleeden est peut-être alors tout simplement victime du fameux « esprit d’escalier ». A savoir : une prise de conscience après-coup, c’est-à-dire après l’effet de sidération face à ses premières campagnes, de la nature fallacieuse d’une argumentation qui affiche sa prétention à incarner un progressisme de façade. Tout ceci fait que c’est, en définitive, peut-être là dans le métro que l’on trouverait en 2013 la forme la plus réellement « interactive » de la « participation » que l’on met tellement en avant dans les discours actuels des autres médias. Sous forme discrète et passante, le débat se joue en ce moment dans ces petits gestes discrets, qui n’ont cependant rien à envier aux clics ou aux tweets.
Il reste que, si, comme le disait Georges Clémenceau, le meilleur moment de l’amour, « c’est quand on monte l’escalier », il semblerait qu’en matière d’affichage disruptif, cela ne produise pas toujours le même effet…
 
Olivier Aïm