Culture

Parce que Toulon !

 
Après 20 années plutôt médiocres, le Rugby Club Toulonnais a refait surface dans l’élite du rugby français en 2007 et est sur le point d’accomplir l’impensable (ou « l’impossible » pour Guy Novès, l’entraîneur français le plus titré) : gagner la coupe d’Europe et le Top 14 (championnat de France). Pour autant, si le RCT fait parler de lui, ce n’est pas seulement pour ses qualités sportives actuelles. C’est aussi un modèle communicationnel particulier dans un monde rugbystique qui éprouve encore des difficultés à assumer les conséquences de sa professionnalisation.
Le RCT : un OVNI communicationnel dans le rugby français ?
L’arrivée de Mourad Boudjellal n’est pas innocente dans la transformation de ce vieux club de rugby provençal. Fort de son succès dans le monde de l’édition (il est le créateur de Soleil Productions -maison d’édition à laquelle on doit notamment Rahan et Lanfeust de Troy), cet homme a tout d’un génie marketing et a construit ce qu’il aime appeler un véritable « modèle économique ». Dans le sport il s’agit d’abord de construire une « grande émotion et une grande passion » avant de construire des stades. Après avoir injecté toutes ses économies, soit tout de même 6 millions d’euros, Mourad Boudjellal affirme être parvenu à faire du RCT une entreprise auto-suffisante, en se proclamant « vendeur de rêve ». L’arrivée très critiquée de Jonny Wilkinson en est l’exemple le plus flagrant. Pour Toulon, ce n’est pas un investissement, « c’est un cadeau, c’est du bénéfice, il nous coûte zéro ». Au RCT le rêve est la source du revenu, ce n’est pas la dépense puisque sa recette est toujours supérieure au coût. Comme il le résume lui-même sur BFM : « j’ai développé une marque basée sur l’émotionnel et le passionnel ».

Tout ce modèle économique se double d’une stratégie communicationnelle plus ou moins voulue et travaillée. Les années Boudjellal au RCT seront aussi celles de la révolution. Il a su donner une nouvelle dimension à l’image du rugbyman, plus moderne, et créer ainsi un véritable style de vie toulonnais. De la coupe de cheveux jusqu’aux couleurs des chaussures, aux tatouages et aux chants, rien n’est laissé au hasard.

Le fameux « Pilou-pilou » est à son apogée, les joueurs se prennent au jeu, et participent à la création de cet univers si particulier. Ce sont les plus présents sur les réseaux sociaux, et on a pu voir à l’occasion de quelques matchs le nom de leur compte Twitter inscrit sur le dos de leurs shorts (ce qui a valu au RCT de nouveaux ennuis avec la Ligue Nationale de Rugby). De même, les représentants du RCT sont présents sur tous les médias, et non uniquement ceux réservés au rugby. Mourad Boudjellal était récemment au grand journal pour présenter son livre Ma mauvaise réputation, accompagné du joueur Frédéric Michalak et de l’entraîneur Bernard Laporte.

En somme, l’image du RCT est plus jeune, plus connectée, mais aussi plus contestée. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas ce Toulon 2.0, Mourad Boudjellal a bien compris que ce qui compte, c’est qu’on en parle (quasi credo de la com depuis le début des années 2000).
Le revers de la (double ?!) médaille
Ce rugby de « mercenaires » est évidemment amplement critiqué dans le cadre de la planète rugby, tant par ses acteurs que ses spectateurs. Pour eux, le rugby est avant tout une société à part, où il fait bon vivre, où l’on mange du cassoulet, et l’on boit beaucoup lors des troisièmes mi-temps. C’est aussi une société où la morale a une grande importance, notamment dans le respect des adversaires, des supérieurs et surtout de l’arbitre. Or le président de Toulon n’a pas respecté ces valeurs (cf. la polémique sur la « sodomie arbitrale »). Mourad Boudjellal propose un rugby décomplexé, qui assume l’argent et le business. En d’autres termes, il renvoie au rugby français une image de ce qu’il a longtemps cherché à éviter : un sport professionnel et ses conséquences capitalistes. Les polémiques autour du RCT ne sont en réalité que des aspects d’une guerre entre la modernité et la tradition, l’argent et la préservation des valeurs de ce rugby de clocher.
Il faut savoir que les dites « valeurs du rugby » ne sont pas totalement propres au rugby, mais relèvent d’une éthique sociale et d’une morale rurale. Elles ressemblent à peu de choses près à la morale du XIXème siècle définie par Durkheim : esprits de discipline, d’abnégation et d’autonomie. Même si elles sont parfois formulées autrement aujourd’hui, l’idée reste la même. Pour Daniel Herrero, le rugby est bien « l’abnégation, la rigueur, le rudoyant ».
Ainsi le RCT pourrait incarner une sorte de « postmodernité populaire », dans la mesure où il cherche à réactualiser ces valeurs. Et si le rugby plaît autant aujourd’hui, c’est peut-être grâce à ce contexte de repli sur soi général, auquel il répond par la fierté régionale, presque rurale. L’attachement à la terre propre de ce sport obtient un écho important dans la société actuelle, d’autant plus que certains clubs comme le RCT savent se moderniser et apporter de l’espoir, là où le football reste parfois dans la nostalgie, le « c’était mieux avant » ou « c’est mieux ailleurs ».
 
Camille Sohier
Avec la très grande aide d’Isaac Lambert