Famille, argent, séduction, mensonge, injustice… Autant de sujets sociétaux dont se nourrit la scripted reality. La scripted reality ou fiction du réel, ce sont tous ces nouveaux formats qui pullulent sur nos écrans, des émissions ovnis qui retranscrivent des psychodrames de la vie quotidienne, des faits divers en tous genres. Entre télé-réalité, magazine et fiction, ces nouvelles émissions font débat en France, tant sur le fond que sur la forme de ce nouvel hybride. Leur plus lointain ancêtre français remonte sans doute aux années 1990, avec la diffusion sur la cinq puis sur TF1 de « Cas de divorce » qui narrait, sur le mode du réel, des divorces dans les tribunaux.
Le succès de ce genre d’émissions réside dans l’hybridation de différents codes et rapports de l’intimité au média télévisuel. Une hybridation qui pose problème, le CNC refuse d’apporter des subventions à un genre qu’il n’estime pas du ressort de la création, et le CSA quant à lui, hésitait jusqu’au 11 janvier dernier, à considérer ce nouveau genre comme des œuvres de création. Désormais les émissions comme « Le jour où tout à basculé » ou « Si près de chez vous », toutes deux diffusées respectivement sur France 2 et sur France 3, entrent donc dans le quota d’œuvres de création imposé par le CSA. Pour autant chaque émission sera étudiée au cas par cas avant de lui accorder un statut qui pèsera son poids dans la balance des négociations avec le CNC.
Malgré la reconnaissance du CSA et de l’audience, la scripted reality soulève des interrogations quant à la qualité réelle de ses conditions d’écriture, de production et du lien étroit qui s’établit entre le « nouveau » genre et son public.
Une création mise en danger
L’audience est au rendez-vous et il faut admettre le succès de ces émissions auprès du public. « Au nom de la vérité » sur TF1 parvient à capter 20% des audiences auprès de la fameuse ménagère de moins de 50 ans. Une belle progression à un horaire creux (à 10 heures sur TF1 pour « Au nom de la vérité », 14 heures sur France 3 pour « Si près de chez vous », 16 heures sur France 2 pour « Le jour où tout a basculé », les audiences sont très bonnes, on compte entre 800 000 et 1 million de téléspectateurs chaque jour sur France 2, et niveau retour sur investissement les chaînes sont gagnantes. On peut même parler d’émission « low-cost », d’ailleurs les sociétés de production ne s’en cachent pas. Maxime Maton, directeur du développement de la Concepteria du groupe Julien Courbet Production, assume cette qualification qu’il ne voit pas comme un défaut. Le low-cost à la télévision c’est donc environ 30 000 euros par épisodes. En comparaison, un épisode de la série « Plus belle la vie » s’estime entre 100 000 et 200 000 euros, un coût multiplié par au moins quatre pour une série qui était déjà très décriée dès ses débuts. Le problème réside donc ici, dans les conditions de création et de production de la scripted reality.
Si Maxime Maton estime que cette nouvelle écriture « a beaucoup de bienfaits, au delà de répondre à une demande, que ça marche en terme d’audience, ça donne quand même du boulot à beaucoup de monde » ; elle n’offre pas aux auteurs et aux acteurs les conditions de travail idéales à la création. Pour un épisode de 22 minutes il faut compter 2 jours de tournage, une ou deux prises pas plus, et les scénarios doivent couler à flots. Le jeu des acteurs est assez aléatoire, avec ces moyens financier on ne peut effectivement pas s’assurer les services de Marion Cotillard, et en même temps on ne leur laisse pas le temps de développer leur jeu d’acteur. Pour le téléspectateur ignare qui ne parvient pas à suivre les dialogues, la voix-off est là pour lui ré-expliquer ce qui se passe. Un jeu d’acteur médiocre, peu de décors, une voix-off omniprésente, des plans douteux… autant de faibles moyens qui nuisent à la qualité créatrice.
Afin de rester dans cette logique de flux (magazines, jeux télévisés…), les chaînes délaissent la fiction traditionnelle, à commencer par les feuilletons quotidiens. Le PDG de France Télévision, Rémy Pflimlin vient d’abandonner l’une des promesses phares de son mandat : la déclinaison d’une série quotidienne sur France 2. Même réaction de rétropédalage chez TF1, trop de risques, on préfère éviter de se lancer dans un chantier à 25 millions d’euros qui risque fort de ne pas être concluant en terme d’audience. Les chaînes cherchent de nouveaux genres susceptibles de coller au comportement de zapping et à cette logique de flux, en s’inspirant notamment des émissions courtes déjà présentes depuis quelques années en Allemagne notamment. La fiction du réel donne une réponse efficace à tous ces impératifs économiques, sociaux et culturels.
La fiction du réel ou spectacularisation de l’intimité transformée
La scripted reality s’inscrit finalement dans la continuité de la télévision de l’intimité, s’ajoutant à la liste des différents genres qui ont déjà fait évoluer le rôle de l’intimité au miroir des médias, reality-shows, talk shows et télé-réalité. On est passé d’un mode du divertissement dans les années 1980, qui consistait à la construction d’un monde fictif n’ayant pas de rapport direct avec la réalité, le quotidien du téléspectateur lambda, d’un mode de l’évasion à un mode de divertissement où l’intimité est mise au premier plan avec l’apparition dans les années 1990 dans premiers reality-shows. On ne cherche plus à sortir de la réalité, au contraire, on doit pouvoir se retrouver dans les individus que l’on observe dans ces émissions. Là où la variété divertissait en montrant ceux qui avaient réussi, la télévision de l’intimité nous divertit en montrant tout le monde et en particulier ceux qui risquent de perdre.
Les émissions de ce nouveau genre mettent ainsi en scène des faits divers, une scénarisation sommaire qui tend à reproduire la réalité et non à construire un univers fictif, et son esthétique propre. La scripted reality cherche à renvoyer au téléspectateur une image du réel et de l’intimité de personnages appartenant à la même réalité. Elle essaye ainsi de renvoyer une image menaçante et menacée de l’extérieur en projetant ces fictions du réel à l’intérieur du foyer, à l’abri de cette réalité. Tout se passe comme si on avait besoin du face à face avec l’évènement inquiétant, de toucher du regard le vertige du vécu alors que la création a pour principe de chercher à se départir de la réalité pour créer un monde à part dans lequel on peut se projeter. La fiction construit en effet un monde dans lequel on aimerait pouvoir entrer sans jamais y parvenir. À l’inverse la scripted reality se fait le miroir du réel que l’on cherche àfuir, dans lequel on ne veut aucunement se projeter. En un sens pourtant elle se fait donc le miroir de la réalité des téléspectateurs mais qui cherchent à s’en défaire. Les personnages sont issus de faits divers, de cette réalité partagée, tout comme la télé-réalité met en jeu des individus anonymes, la scripted reality nous montre ces individus qui pourraient être un voisin, un collègue, une tante…ou nous-mêmes. De ce point de vue c’est une partie de l’intimité qui est ainsi montrée, on cherche à spectaculariser le réel à travers le médis télévisuel et le genre fictionnel. La scripted reality ne propose pas d’autre représentation du monde.
D’un syndrome de l’évasion, on est passé à un syndrome de la réalité, et la scripted reality renouvelle le rapport à la télévision de l’intimité en incluant une part consciente de fiction. Elle scénarise notre réalité comme le font certaines fictions en faisant dans le même temps la promesse de l’authenticité et de la vérité, à la manière d’autres genres de la télévision de l’intimité.
Margot Franquet
Sources :
Arrêt sur image, « Je suis une voyeuse et je m’en flatte », émission du 31/08/2012
Arrêt sur image, « Les fictions du réel, ou la recette de l’audience aux heures creuses », Sébastien Rochat, 13/09/201
Arrêt sur image, « Filippetti ne veut plus de fictions du réel sur France TV », le 29/10/2012
Médias le magazine, émission du 14/10/2012
Stratégie n° 1704-1705 20/12/2012, « Cachez ce programme que je ne saurais voir », Bruno Fraioli