Société

Le journalisme immersif et l'effet de réel: jusqu'à quel point ?

 
Cela fait maintenant quelques années que la réalité virtuelle* a fait son apparition dans le domaine des nouvelles technologies (les casques sont commercialisés depuis juillet 2016). Elle fascine, interroge et s’approprie l’univers des médias, le reconfigurant et lui offrant un potentiel encore inexploré.
Mais outre le domaine du loisir, quelles sont les autres potentialités d’une telle technologie ? Le journalisme peut-il vraiment s’adapter à la réalité virtuelle tout en restant fidèle à ses propres règles d’éthique ?
Un champ de possibles quasi infini
Aujourd’hui, le monde des jeux-vidéos est probablement celui qui parvient le mieux à tirer parti de ces potentialités. Bien plus que de faire évoluer des personnages dans un univers fictif qui se déployait devant nous, il nous est désormais possible de vivre le jeu, d’être le héros d’une histoire qui se déploie autour de nous.
Lorsque l’on réfléchit aux multiples possibilités médiatiques que nous offre la VR (virtual reality), on omet souvent d’inclure le milieu de l’information, et plus précisément celui du journalisme. Certes, le journalisme immersif n’est pas en soi quelque chose de nouveau (le journaliste allemand Günter Wallraf se posait déjà en pionnier en 1986 avec son livre Tête de Turc*) ce qui a changé au fond, ce sont les outils propres à cette immersion.
Une extension progressive au domaine journalistique
La plateforme Youtube héberge déjà les vidéos à 360° de l’office du tourisme australien, National Geographic ou les promoteurs d’un film d’horreur…

Mais ils ne sont pas les seuls à s’approprier cette technologie. Le New York Times ou la chaîne américaine ABC ont également lancé leur propre application pour diffuser des reportages en réalité virtuelle. Par exemple, le quotidien New-Yorkais a investi dans des « google cardboards »* qu’il a envoyé à ses abonnés : avec une simple boîte en carton, un smartphone et l’application NYT VR, vous pouvez avoir un aperçu de ce qu’est la réalité virtuelle.
Désormais au cœur de l’action, le spectateur voit non seulement ses sens mis à contribution, mais la narration elle-même évolue : elle n’est plus linéaire mais environnée, et s’adapte aux réactions du spectateur. Comme le souligne celle que l’on appelle aussi la « marraine de la VR », Nonny de la Peña, l’impact de la réalité virtuelle peut être conséquent. Dès 2012, cette journaliste a commencé à s’approprier pleinement le potentiel de la VR en proposant, avec la société Emblematic Group (spécialiste dans les formes innovantes de journalisme), des documentaires en 3D.
Certes, les premiers reportages en sont encore à leurs balbutiements, réalisés en image de synthèse d’une bien médiocre qualité… Pourtant, le succès est au rendez-vous. De la Peña filme des spectateurs en train de visionner (ou plutôt de participer) à son documentaire immersif Hunger in L.A. On y voit des gens s’agenouiller pour tenter d’aider un homme qui, souffrant de diabète, fait un malaise et tombe au sol ; on les voit même éviter un corps qui n’est pourtant pas physiquement là.

La VR incarne la promesse d’une immersion totale et sensorielle, permettant une plus grande compréhension du sujet par le biais d’une empathie accentuée. Pour citer Raphaël Beaugrand (directeur de réalité virtuelle chez Okio Studio) : « Pour un journaliste, il n’y a rien de mieux que la réalité virtuelle pour communiquer, permettre aux gens de ressentir, d’écouter, de voir ce que le journaliste vit in situ ».
L’immersion, au détriment d’une pratique objective ? Dans un reportage faisant appel à la technologie de la réalité virtuelle, l’implication émotionnelle du sujet est bien plus forte qu’avec tout autre type de reportage. Tom Kent, professeur de journalisme, nous prévient : « Dans les médias traditionnels aussi, le désir de peindre une cause ou une personne dans des tons sympathiques peut entrer en conflit avec l’impartialité. Mais le potentiel est encore plus grand dans le monde VR […] ». Or, nous le savons, l’émotion n’est pas la source d’une meilleure compréhension du monde, et il n’est pas certain que l’empathie aille de pair avec la définition du journalisme.
Dans de telles conditions, comment les journalistes vont-ils s’adapter à ce nouveau mode de transmission de l’information ? Comment respecter l’éthique journalistique impartiale sans pour autant sombrer dans la subjectivité du journalisme gonzo*? Et surtout, comment ne pas faire de cette expérience journalistique une expérience qui se rapprocherait de ce que l’on peut expérimenter dans un jeu vidéo ?
Car cette méthode est tout juste émergente. La technologie de l’Occulus Rift, un des modèles de casque immersif, n’a été démocratisée qu’en juillet 2016, et aucun code de déontologie n’a été mis en place pour cadrer les pratiques journalistiques qui découleraient de cette technologie.
Le risque de voir l’information devenir du divertissement (infotaimnent), d’appréhender l’information comme un film ou un jeu de guerre où la réalité deviendrait fiction, est bien réel. Et l’intitulé de certains articles laisse songeur. « La Syrie comme si vous y étiez », c’est ainsi que Le Nouvel Obs a nommé un de ses articles de septembre 2014 au sujet du documentaire Project Syria de Nonny de la Peña. La promesse ? Vous faire vivre la guerre en immersion totale. Le danger ? Oublier que ces vidéos de prise réelle mêlées à la réalité virtuelle relatent des événements bien réels, et que ceux qui s’occupent de réaliser ces documentaires sont bien des journalistes.

Un bilan ?
Certes, aucun code de déontologie n’a encore été rédigé pour cadrer ces nouvelles pratiques mais, en attendant, on peut supposer que les codes de l’éthique journalistique sont encore applicables afin d’éviter toute dérive. Ce terrain est encore en friche et tout est à inventer. Toutefois, le prix de l’équipement restant relativement cher, le produit n’est pas encore commercialisé à grande échelle, ce qui laisse du temps pour instaurer des règles bien précises.
Enfin, pour laisser le dernier mot à Gaël Seydoux, responsable de la Recherche et de l’Innovation chez Technicolor, c’est bien « L’éducation à ce média [qui] sera primordiale ».
Lina Demathieux
@Lina_Dem

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Vers une réalité augmentée ?

 
Oculus Rift, quésaco ?
Sous ce nom barbare se cache le gadget qui deviendrait le possible enjeu d’une petite révolution numérique, permettant notamment de créer de nouvelles expériences télévisuelles, cinématographiques, publicitaires et même… sportives !
Créé en 2012 et racheté en 2014 par la société Facebook, ce petit bijou, qui se présente comme un masque recouvrant le regard, permet à son utilisateur de se plonger à 360° dans une réalité virtuelle.
Cette technologie, très en vogue chez les gamers, commence doucement à trouver d’autres preneurs. Le cinéma s’en est en effet déjà emparé, Zéro Point, le premier film en 3D et à 360°, étant sorti en octobre 2014.

Même si l’on peut dire de façon certaine que ce film d’une vingtaine de minutes n’est pas un chef d’œuvre cinématographique – ce dernier se présentant plutôt comme une publicité pour les lunettes que comme un film potentiellement primable à Cannes – cette sortie témoigne tout de même d’une tendance qui tend à se déployer dans le monde du cinéma.

En marche vers une nouvelle expérience cinématographique
La preuve en est, quelques semaines plus tard la chaîne Arte programmait le premier documentaire utilisant ce nouveau gadget. La chaîne a diffusé un documentaire se déployant sur différentes plateformes. Un premier format de 90 minutes pouvait être visualisé sur la chaîne puis en Replay. Dans celui-ci, les téléspectateurs voyageaient dans les paysages de l’Arctique, en ayant l’impression d’être acteurs de la scène : le réalisateur avait opté pour un point de vue subjectif.
Mais le plus intéressant reste le deuxième format proposé par Arte : plusieurs minutes de documentaire étaient mises à disposition des téléspectateurs sur internet, et les possesseurs des lunettes Oculus Rift pouvaient les utiliser et ainsi se plonger dans les paysages en immersion totale. En effet, les lunettes captent les mouvements de tête et donnent l’illusion de se déplacer à son gré sur les lieux du tournage.

Le téléspectateur n’est ainsi plus guidé par le regard biaisé de celui qui tient la caméra. Chaque visionnage devient unique, et totalement personnel. Le film s’échappe de plus en plus des mains du réalisateur et glisse vers celles du spectateur qui devient une triple figure de spectateur-acteur-réalisateur portant l’image où bon lui semble.
Arte, par le biais de ce documentaire, souhaitait sensibiliser les spectateurs aux problèmes climatiques et à ce qu’ils infligent aux magnifiques paysages de l’Arctique. Ce n’est donc pas anodin qu’ils aient opté pour l’utilisation des lunettes car celles-ci, en donnant l’illusion au spectateur qu’il se trouve sur les lieux, permettent une identification plus forte encore que celle à laquelle on pourrait être sujet dans un film traditionnel. Et, c’est bien connu, l’identification du spectateur est une des recettes clé pour le chambouler.

Oculus Rift : un coup de pouce pour les coups de pub ?
La publicité a bien compris les enjeux de cette technologie et s’en est aussitôt emparée. En effet, Volvo, par l’utilisation de ces lunettes, propose aux futurs acheteurs de vivre quelques virtuels instants au volant de leur dernière voiture, et leur donne ainsi le sentiment d’être déjà possesseurs de celle-ci. Volvo semble donc croire que la réalité virtuelle peut avoir un impact sur la réalité sensible. Le potentiel acheteur transfigurerait, par l’achat de la voiture, son expérience factice en une expérience concrète. La marque d’automobiles, plus encore que d’insuffler l’envie d’acheter la voiture, donne l’illusion au consommateur qu’il se l’est déjà appropriée.

Bien d’autres domaines ont également mis la main sur cette technique de la réalité virtuelle : une application sportive permettra bientôt à ses utilisateurs d’avoir l’impression de courir durant le marathon de New- ork. Paul McCartney, lui, propose à son public une application permettant d’assister à la performance de la chanson « Live & Let Die ». Pour en citer d’autre encore, même l’industrie de la pornographie s’y est mise, proposant à ses consommateurs de contrôler les images et ainsi de participer à la scène sans pour autant y être réellement…

Une révolution critiquable ?
Mais des critiques émergent déjà : les utilisateurs témoignent d’une douleur aux sinus, à la tête et aux yeux lors de l’utilisation de l’Oculus Rift, rendant impossible une durée de visionnage trop longue. Ils déclarent également que le format en 600*400 est difficilement perceptible pour l’œil humain, incapable de s’y fixer.
Des progrès restent donc à faire, c’est certain, mais l’on peut tout de même déclarer que cette nouvelle technologie est en phase de provoquer une révolution dans divers milieux qui touchent au numérique. Mais cette révolution est-elle positive ? Cette question mérite d’être posée car cette fois ci, ce n’est plus l’Homme que l’on souhaite augmenter, on passe à un niveau supérieur qu’est la réalité elle-même ! Mais à force de chercher l’augmentation, ne finirait-on pas par aboutir à une réduction, le danger étant que cette réalité augmentée finisse par rimer avec substitution de la réalité ?
Valentine Cuzin
Sources :
konbini.com
siliconvalley.blog.lemonde.fr
Crédits photo :
digitaltrends.com

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