Culture

Grave : quand le cannibalisme féministe s’impose au cinéma

Le Pitch
Réalisé par Julia Ducourneau et sorti en mars 2017, Grave est un film d’auteur qui relate l’histoire de Justine, interprétée par l’actrice Garance Marillier, une jeune surdouée qui intègre la même école de vétérinaire que sa soeur Alexia. Végétarienne comme le reste de sa famille, Justine refuse de consommer de la viande. Mais voilà, après avoir été forcée à manger un rognon de lapin lors de son bizutage, elle se découvre une passion pour la chair humaine. A travers ce tout nouveau désir, Justine s’initie aux plaisirs naissants du corps et de la sexualité.
Un film cru et organique qui bouleverse les moeurs de la société
Grave est un film de genre qui dérange, transgresse les codes et surtout se détache de l’image habituelle que l’on attribue à la femme au cinéma. En effet , la femme est représentée comme un sujet inférieur à l’homme et surtout comme un objet du désir masculin. « Dans les rapports sexués, l’humiliation est toujours du côté des femmes », déclare la réalisatrice Agnès Varda pour le journal Le Monde.
C’est pourquoi Julia Ducourneau va à l’encontre de ces stéréotypes en faisant de Justine et Alexia des personnages en charge de leur destin, qui vont au devant de l’action. Dans le film, Justine est celle qui désire un corps masculin de manière innocente et primaire à la fois. Sa transformation identitaire va de pair avec un changement physique radical. Lorsque sa sœur souhaite la rendre plus féminine en lui épilant le maillot et la blesse, Justine affiche un réel rejet pour ce carcan social dans lequel on tente de l’enfermer et embrasse sa véritable nature, quitte à montrer au grand jour sa bestialité dans l’environnement animal qui l’entoure.

La réalisatrice inscrit son film dans un contexte social où la question du genre est hautement d’actualité. La dernière campagne H&M a par exemple mis à l’honneur plusieurs femmes d’origines ethniques et de styles différents. On y voit par exemple une femme qui assume ses formes ou une autre qui n’est pas épilée sous les bras. Dans cette campagne, H&M vise à rompre avec un modèle de féminité stéréotypé tout en permettant à chaque femme se reconnaître dans la marque.
Ainsi, Grave bouleverse aussi la question du genre en attribuant aux personnages féminins des caractéristiques présupposées masculines. Alexia , la soeur de Justine est celle qui provoque un accident de voiture afin de se nourrir de sa victime. Les deux soeurs sont loin du topos de la « demoiselle en détresse » et s’apparentent plus à des prédatrices cannibales insatiables.
Le cannibalisme : dégoût ou fascination?
Le cannibalisme est un sujet controversé qui inspire une certaine forme de dégoût dans notre société occidentale. Manger son prochain relève d’un acte inhumain, voire monstrueux. Mais pourquoi ?
Tout d’abord, dans le Christianisme, l’homme est à l’image de Dieu, de ce fait son corps est sacré, il s’agit donc d’une hérésie que de se nourrir d’un semblable. De plus, la société oppose nature et culture, la première renvoyant à l’époque primitive , la seconde à l’ère civilisée. L’ethnologue Georges Guille-Escuret, auteur de Les mangeurs d’autres, nous explique que le tabou de l’anthropophagie dans nos sociétés remonte à l’antiquité : c’est lorsque Zeus met fin au rituel cannibale de Cronos qu’il devient possible de construire la cité. « Le mythe grec dit que finalement, la culture naît quand le cannibalisme cesse ». Par conséquent, le cannibalisme s’inscrit parmi des rites s’opposant à notre vision de la société car renvoyant à des comportements primitifs .
Malgré tout , cette pratique mystérieuse attise notre curiosité car elle est souvent associée à un fantasme orgasmique infini. En mangeant certaines parties du corps de leurs victimes, les cannibales comblent un désir sexuel inassouvi. Anne Laffeter, rédactrice en chef du magazine Les Inrockuptibles , relate qu’Albert Fish, tueur en série et cannibale surnommé « le vampire de Brooklyn » « entrait dans « un état d’orgasme perpétuel » quand il mangeait le sexe, les reins et les fesses de ses petites victimes. »

Est-ce si Grave d’être inclassable ?
Julia Ducourneau s’évertue a dire que Grave n’est pas un film d’horreur mais un film crossover, à la croisée du body horror, du drame, et du comique. Parce que oui, représenter des cannibales et faire rire dans un même film est ici rendu possible. Elle qualifie même son oeuvre « d’hybride et mutante », à l’image du personnage de son héroïne, Justine. Mais voilà, le film est d’une telle singularité que même les médias s’y perdent. C’est le cas du magazine d’actualité l’Express qui intitule son article: « Grave, le film d’horreur qui fait le buzz.». L’hebdomadaire Le Point quant à lui le nomme : « Jusqu’où ira Grave, le film d’horreur qui terrifie les festivals ? ».
Cette confusion du genre pose problème, car à partir du moment où le film est sorti de son contexte et mal défini, il est difficile, voire impossible pour les spectateurs de comprendre le message sous-jacent émis par la réalisatrice. A savoir, Grave est un film de genre , qui brise les codes sociaux en luttant contre le déterminisme et qui prône l’intégration d’une identité aussi singulière soit-elle au sein d’un collectif d’individus. De ce fait, les médias, vecteurs d’information, ont échoué dans leur processus de communication en attribuant au film une caractéristique erronée.
Un accueil mitigé du film
« Ce premier film s’approprie avec une originalité détonante les codes du film de genre, Grave explore la découverte du corps et de la chair, l’affirmation d’un désir animé de pulsions animales » confie Charles Tesson, critique et historien français du cinéma au magazine 20 Minutes. Si les professionnels du cinéma ont salué le film en lui attribuant plusieurs récompenses dont quatre nominations à la semaine internationale de la critique à Cannes, ainsi que le grand prix du Festival du Film Fantastique du Gerardmer 2017, Grave a tout de même suscité des réactions virulentes sur les réseaux sociaux. Il est notamment qualifié d’« immoral » et de « décadent .» Bien qu’interdit aux moins de 16 ans, certains internautes l’accusent d’être un mauvais exemple pour les individus vulnérables et sensibles, notamment les adolescents.

Grave malaisant
Lors d’une interview pour ORTBF, Julia Ducourneau affirme avoir voulu créer le malaise chez le spectateur en s’adressant au corps et non à l’esprit afin de provoquer des réactions naturelles et spontanées chez le public. Un pari plus que réussi ! Puisqu’à Toronto, deux personnes se sont évanouies pendant la projection et ont été évacuées de la salle de projection « car ils se sentaient mal » d’après Ryan Werner du Hollywood reporter. Une réaction qui avait été suscitée la dernière fois par Antichrist , de Lars Von Trier en 2009.
Les même péripéties se sont reproduites à Cannes, lors de la dernière édition de la semaine de la critique. Le film a créé une telle polémique que des sacs en papier on été distribués à l’entrée du cinéma !

Djéné DIANÉ
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Crédits d’images: 
Image 1 : Capture d’écran du film Grave
Image 2 : Capture d’écran du film Grave
Image 3 : Capture d’écran du site lepoint.fr rubrique cinéma
Image 4 : Capture d’écran : Capture d’écran du site Allociné
Sources :
Guillemette Odicino, Julia Ducourneau : “Dans ‘Grave’, le geste cannibale est de l’ordre du punk“ , Télérama rubrique Cinéma publié le : 15/03/2017, consulté le : 14/11/17
Philippe Guedj, Julia, Grave et les cannibales , Le Point Pop. Publié le : 21/03/ 2017, consulté le 14/11/2017
Cathy Immelen, L’interview de Julia Ducourneau pour « Grave », RTBF, publié le 17/03/2017, consulté le 14/11/2017
Elena Scappaticci , Grave, le film produit par Julie Gayet mal digéré par les spectateurs. Le Figaro rubrique culture. Publié le 15/09/2016, consulté le 14/11/2017
Marine Girard, Cinéma à Toronto, le film de Julie Gayet crée le malaise… VSD, publié le 15/09/2017 , consulté le 14/11/2017
Célia Sauvage , Grave. Le genre et l’écran, publié le 14/04/2017 consulté le 14/11/2017

 Philippe Guedj , Jusqu’où ira Grave, le film d’horreur qui terrifie les festivals ? Le Point Pop. Publié le 30/01/2017, consulté le 14/11/2017

Marianne Kuhni , Le « test de Bechdel » ou la représentation des femmes dans le cinéma. Marianne Kuhni, publié le 8/12/2013, consulté le 14/11/2017
Thomas Baurez, Grave: itinéraire sans faute d’un film qui ébranle le monde du cinéma. L’Express, publié le 15/03/2017, consulté le 14/11/2017
Stéphane Leblanc, Festival de Cannes : La Semaine de la Critique promet (entre autres) du rire et du sang. 20 Minutes , publié le : 18/04/2016, consulté le 14/11/2017
Laurent Carpentier,Agnès Varda : « Les féministes ont raison de gueuler ! » Le Monde, publié le 10/11/17, consulté le 19/11/17
Fabien Trécourt : Le rejet du cannibalisme au fondement de la politique. Le Monde des religions. Publié le 7/06/12 consulté le : 19/11/17
Hélène Combis Schlumberg , Manger son prochain : pourquoi le cannibalisme nous fascine ? France Culture. Publié le 26/09/2017. Consulté le 19/11/2017
Jean Baptiste Bonaventure , Cannibalisme : mais dans quelles conditions mange-t-on son voisin ? atlantico.fr Publié le : 7/05/13 consulté le : 19/11/17

 Anne Laffeter, Cannibalisme: le nouvel eldorado du sexe extrême? Les Inrockuptibles. Publié le : 5/08/12 Consulté le : 19/11/17

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Société

Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle

 
Face à la dénonciation croissante de l’utilisation de la maigreur comme égérie de la mode, la marque suédoise H&M a créé l’événement en introduisant des mannequins taille réelle dans le rayon lingerie d’un de ses magasins en Suède. Par cette action symbolique, le pays a ainsi démontré son ouverture d’esprit et son émancipation face aux diktats de la mode. En effet, si la Suède a sauté le pas, la majeure partie du monde de la mode ne semble toutefois pas encore disposée à valoriser une image de la femme et de la beauté dont le critère majeur serait autre que la minceur. De cette façon, l’initiative de la marque a eu immédiatement son effet sur les réseaux sociaux et nombreux sont les internautes (hommes et femmes) à saluer cette action :
« Enfin des personnes qui savent apprécier ! Beauté ne rime plus avec maigreur … »
« Enfin ! Si cela pouvait arrêter cette folie anorexique chez nos adolescentes ! »
En effet, cette image de la beauté véhiculée par l’ensemble des médias n’est pas anodine et sans conséquences, notamment concernant les adolescentes, qui seraient plus enclines à sombrer dans l’anorexie. Nombreuses sont ainsi celles qui ripostent sur les réseaux sociaux pour dénoncer ce diktat d’une beauté uniforme, valorisant un type unique de morphologie plutôt que les spécificités de chacune.
The perfect body
Cependant, si le géant du vêtement semble vouloir changer peu à peu les choses en matière de représentation féminine, il n’en est pas toujours de même ailleurs. La célèbre marque américaine de lingerie Victoria’s Secret s’est en effet récemment illustrée dans un scandale lié à sa dernière campagne de communication, The Perfect Body, illustrant toute une ribambelle de femmes prenant la pose en sous-vêtements. Jugée comme inacceptable par bon nombre d’internautes, la campagne fait alors un tollé et provoque la création d’une pétition, qui récolte plus de 14500 signatures. Victime d’un véritable bad buzz, la marque s’est ainsi retrouvée assaillie de critiques négatives, à tel point que cette dernière a dû faire marche arrière, préférant « A body for everybody » à son précédent slogan, jugé trop polémique.

« Vous être superbe bien entendu, mais ils aimeraient en publier une de vous en t-shirt »
Dans le même registre, on se souvient de Brooke Birmingham, cette jeune illinoise de 28 ans, ancienne obèse, ayant réussi le pari de perdre durablement plus de 80 kilos. Jeune femme désormais épanouie, fière de son nouveau corps et bien dans sa peau, son histoire a tout d’une success story comme en raffolent les médias. Lorsque le magazine Shape la contacte pour raconter son histoire, la jeune femme y voit alors l’occasion d’y partager son histoire, porteuse d’optimisme. Et pourtant. Brooke déchante rapidement lorsque le magazine décide de censurer la photo où elle pose en bikini, les mains sur les hanches, fière d’un corps portant les signes de sa métamorphose. « Vous être superbe bien entendu, mais ils aimeraient en publier une de vous en t-shirt ». La jeune femme comprend alors rapidement la triste réalité à laquelle elle fait face : même avec 80 kilos de moins, son corps ne correspondra jamais à l’idéal prôné par les médias.

Face à ce diktat de l’apparence, l’actrice Keira Knightley s’est récemment insurgée contre cette maladie de la retouche Photoshop dont elle a de nombreuses fois fait les frais. « J’ai vu mon corps être malmené tant de fois et pour tant de raisons différentes, que ce soit par des paparazzi ou sur des affiches de films. Je suis d’accord pour faire des shootings topless, tant qu’on ne me retouche pas, moi ou mes seins. Parce qu’il me semble important de dire que ce n’est pas la forme qui compte ». L’actrice, qui ne semble visiblement pas apprécier de voir son physique retouché à maintes reprises sans raisons valables si ce n’est pour les besoins du marketing, a ainsi accepté de poser topless pour le magazine Interview à la seule condition que son corps ne soit absolument pas retouché par la suite. Magazines, vous voilà prévenus.
« I want to show that average is beautiful » : making Barbie a real woman
Prenant le contrepied de ces dérives de la presse magazine, le designer américain Nickolay Lamm s’est récemment lancé dans la création d’une poupée aux proportions plus réalistes que celles de notre chère copine Barbie. Avec sa silhouette élancée et ses longs cheveux blonds platine, la Barbie avec laquelle nous avons grandi est en effet loin de ressembler à la majorité des femmes. C’est la raison qui a poussé Nickolay Lamm à créer Lammily, un équivalent de Barbie version réaliste, qui a été conçue selon les mensurations moyennes d’une jeune fille de 19 ans établies par le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (la principale agence gouvernementale américaine en matière de protection de la santé et de la sécurité publique).

Pour le côté réaliste de sa poupée, Lamm a dans un second temps créé une palette de stickers qu’il est possible de coller et d’enlever à sa guise : taches de rousseur, cicatrices, boutons, pansements adhésifs, tatouages, blessures, ou encore piqûres de moustiques, à vous de customiser comme il vous plaît votre poupée. Avec ce nouveau modèle, Lamm espère montrer que les différents types de morphologies sont à la fois naturels et beaux. Il dénonce la forte ressemblance de toutes les poupées, raison pour laquelle il souhaite leur donner une touche réaliste.
Si l’ensemble de ces revendications ciblant le diktat d’une beauté féminine uniforme encouragent visiblement l’évolution des mentalités, les médias – et particulièrement les magazines – s’inscriront-ils également dans cette voie du changement ? On peut espérer que les défenseurs d’une beauté non standardisée finiront par obtenir gain de cause, mais il est cependant encore trop tôt pour l’affirmer. Affaire à suivre.
Pauline Flamant
Sources :
express.be
thecreatorsproject.vice.com
facebook.com/minutebuzz
buzzfeed.com
journaldesfemmes.com
dailymail.co.uk
huffingtonpost.fr
Crédits photos :
Victoria’s Secret
brookenotadiet.com
nickolaylamm.com