Société

Twitter, de liberté à despotisme ?

Natifs des années 90, sommes-nous déjà dépassés ? C’est l’impression que bon nombre d’entre nous pourrait ressentir face à Twitter. Pour nous, ce réseau social n’a longtemps été qu’une alternative sans intérêt à Facebook, utilisée principalement par nos petits frères de l’an 2000 qui y écrivaient sans retenue ce qui leur passaient par la tête. Pourtant, si en ce début 2016 toutes les entreprises, marques et personnages publics sont sur Twitter, c’est que son pouvoir d’influence est reconnu. A l’heure où même le gouvernement s’exprime en tweets, une question mérite d’être posée : Quelle place occupe Twitter dans le développement de l’identité des marques ? Focus sur sa puissance infinie.
Un réseau social décomplexé
Les « twittos » expriment leur avis sur tout, de la météo aux programmes télé, n’hésitant pas à être moqueurs ou à montrer leur désaccord sur tel ou tel sujet. Sujet qui se situe le plus souvent dans l’actualité de masse, du moins en ce qui concerne les tweets qui font le buzz. Là se cache d’ailleurs le secret du pouvoir dangereux de Twitter : la liberté totale, sans aucun scrupule, d’expression. En 140 caractères et sans autre forme d’analyse, les utilisateurs lambda n’hésitent pas à donner leur avis sur le dernier discours du premier ministre, ou encore la dernière campagne publicitaire de telle entreprise. D’ailleurs, le but de Twitter est initialement de pouvoir partager rapidement les derniers faits d’actualité : les twittos cherchent ainsi à faire le buzz en écrivant avant les autres le jeu de mots, la réflexion, la tournure de phrase qui collera parfaitement avec une situation du quotidien, ou bien le tout dernier scoop.
Un tweet qui réussit à faire le buzz, c’est un tweet qui fait rire par son sarcasme, auquel les utilisateurs du réseau social s’identifient. Un bon tweet réunit les twittos autour d’une pensée générale, dans la logique du « on est tous dans le même panier et on se serre les coudes ». Les entreprises ont vite compris comment exploiter cette tendance, de sorte que nous pouvons être certains que chaque grande entreprise, soucieuse de maîtriser son identité de marque, possède aujourd’hui son compte Twitter géré par une équipe de community managers. En twittant, l’entreprise interagit en effet directement avec ses potentiels clients ou collaborateurs, et renvoie ainsi une image d’entreprise moderne et soucieuse de répondre aux besoins de ceux-ci. En plus de mieux cibler ses consommateurs et leurs attentes, être active sur Twitter permet également à l’entreprise d’y contrôler son image…

Cauchemar des entreprises
Le problème, c’est que les twittos n‘hésitent pas à râler s’ils ne sont pas satisfaits, et que certains hashtags créés deviennent rapidement viraux, ternissant ainsi devant la twittosphère entière l’image de telle ou telle entreprise. Voulant alors re-fidéliser leurs consommateurs et redorer leur image, les entreprises suivent de très près les hashtags populaires les concernant, et s’en inspirent directement pour modifier une campagne, un produit, et même leur politique. Pensons au récent énorme scandale, sous le nom du hashtag #wheresrey, qui s’est produit sur Twitter. Suite à la sortie du film Star Wars VII, de nombreuses photos des rayons jouets ont circulé sur le réseau social. La raison ? Parmi tous les produits dérivés du film, presque aucun d’entre eux ne fait référence à la nouvelle héroïne de la saga, Rey. L’exemple le plus frappant est l’absence de Rey dans le jeu de Monopoly produit par Hasbro.

Les twittos ont dénoncé un sexisme rétrograde de la part des industriels du jouet et ceux-ci, ayant pris conscience de l’ampleur des dégâts, se sont emmêlé les pinceaux dans des excuses et des explications qui ne tiennent pas la route. Hasbro a finalement annoncé qu’une nouvelle vague de jouets, notamment de Monopoly, serait bientôt disponible avec, cette fois-ci, Rey bien présente (ce qui serait la moindre des choses).

Lucasfilm a d’ailleurs retardé la sortie de Star Wars VIII à mai 2017 afin de pouvoir y développer davantage l’importance du rôle de l’héroïne… Ainsi, si les twittos ont le pouvoir de faire plier Lucasfilm, on peut penser qu’ils ont un certain pouvoir de décision sur n’importe quelle entreprise.
Les bourreaux des plus grands, 53% d’adolescents ?
Plus de la moitié des utilisateurs de Twitter sont des adolescents. Des enfants de 12-13 ans dirigeraient alors le monde du business ? Pas exactement. Très actifs en matière de tweets et de création de hashtag viraux, les adolescents de Twitter ont une influence énorme sur ce dont ils sont consommateurs, comme certains programmes télé ou les producteurs de jeux vidéo. C’est ainsi qu’après avoir en septembre 2014 dit que ceux qui jouaient aux jeux vidéo « n’avaient rien d’autre à foutre de leur vie », l’animateur de Canal+ Antoine de Caunes avait dû trois jours plus tard s’excuser publiquement d’avoir tenu de tels propos. Ou alors que Microsoft a dû en 2013 revenir sur certains aspects de la Xbox one (notamment la connexion obligatoire à Internet) après sa commercialisation.
Alors les twittos, des despotes 2.0 ? Le terme est un peu fort, surtout qu’ils seraient plutôt des despotes inversés puisque ici, c’est la masse qui réussit à influencer et faire changer d’avis les « puissants » que sont les grosses entreprises. Sur Twitter, la démocratie a atteint son paroxysme : la masse fait peur et a le dernier mot. Les marques n’imposent plus leur produit à un public passif, mais s’adaptent aux caprices de ce public. Cependant, ne nous réjouissons pas trop vite : nous parlons là d’entreprises ou de personnages publics qui s’inspirent de Twitter pour construire leur identité de marque. Les vrais despotes, eux, n’ont que faire des hashtags les concernant, aussi viraux soient-ils.

Camille Pili
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Sources :
L’Obs, Xbox one: le grand cafouillage de Microsoft, 23/05/2013 
XboxFrance.com, XBOX one: la polémique sur les jeux d’occasion, 20/09/2013 
Le Figaro, Xbox one: face à la colère des joueurs, Microsoft fait marche arrière, 20/06/2013
Vidéo YouTube: CRUSOE 3 – Ep.18 : L’AVIS D’INTERNET ! – Fanta et Bob dans Minecraft
Syfantasy.com, Du Where is Rey au report de Star Wars VIII: Lucasfilm aurait-il sous estimé ses personnages ? 

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Publicité et marketing

Snapchat lance Discover (et sa monétisation ?)

Fin janvier 2015, l’application des 15-25 ans de partage de photo et de vidéo Snapchat a annoncé le lancement d’un nouveau service : Discover. Cette nouveauté permet aux utilisateurs de « switcher » depuis leurs partages personnels vers des contenus interactifs d’actualité ou de divertissement fournis par d’importants médias tels que CNN, National Geographic ou encore Vice. Chaque page propose tous les jours une nouvelle offre interactive actualisée (photos, vidéos, textes etc.). La firme qui ne générait jusqu’alors aucun revenu et qui a été valorisée à plus de 10 milliards de dollars serait-elle entrain d’enclencher sa monétisation en créant à travers Discover des espaces publicitaires potentiellement très juteux ?
Snapchat comme outil marketing prometteur
« Ce que nous vendons à Coca-cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ». Cette célèbre phrase de Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1, résume bien les enjeux rencontrés par les annonceurs et les médias. En effet, ce qui intéresse les marques dans leur stratégie médias, c’est de trouver les supports les plus adaptés à leur cible : toucher le plus possible les consommateurs potentiels et de la façon la plus efficace.
Une étude récente menée par la chaîne de télévision anglaise Sky News a montré que 18% des 16-24 ans seulement utilisaient des médias dits « mainstream » (comprendre « médias traditionnels » tels que la presse écrite, la télévision et la radio) pour s’informer de l’actualité. En effet, les réseaux sociaux sont devenus en quelques années la première source d’information de cette tranche d’âge tant sollicitée par les marques.
C’est pour s’adapter à de telles mutations que les entreprises de médias classiques se sont de plus en plus imposées sur la toile, principalement sur Facebook et Twitter. L’information délivrée prend la forme de ce que l’on pourrait appeler des « digest news » : il s’agit d’une information « prémâchée » dans le sens où leur contenu est succinct, synthétique et ne pousse pas l’internaute à l’interprétation ou à des questionnements. Le but in fine étant encore et toujours d’attirer les annonceurs, la publicité étant leur source de revenu principale.

Le format et le principe même de l’application Snapchat semble très attrayante en termes de publicité et de marketing. Les marques s’y intéressaient d’ailleurs de plus en plus en postant des vidéos ou des spots dans la rubrique « stories » de l’application. Cela leur permettait de toucher un public jeune (15-25 ans), très précieux et difficile à atteindre. Le principe de Snapchat repose sur le caractère éphémère des images et des vidéos qui disparaissent au bout de 3 à 10 secondes. Cela force l’utilisateur, potentiel consommateur, à délivrer de l’attention le temps de la visualisation : le caractère éphémère du contenu permet de focaliser efficacement l’attention de l’utilisateur.
Ce caractère éphémère se retrouve dans la nouvelle fonctionnalité de Snapchat, Discover. Les médias d’information présents proposent des contenus disponible pendant seulement 24 heures dans un format au sein duquel des insertions publicitaires semblent faciles. Bien que Snapchat ne s’en vente pas encore en ces termes, il y a de fortes chance que ce modèle économique ait été choisi pour amorcer la monétisation de l’application au petit fantôme déjà valorisée à 10 milliards de dollars.
Le risque d’une « ringardisation » et d’un détournement des utilisateurs
Snapchat est un réseau social et sa communauté risque de s’en détourner dans le sens où Discover n’a pas été conçu sur ce modèle. Parmi les avantages à s’informer à partir des réseaux sociaux, on trouve principalement le ciblage qui va être fait par les utilisateurs. En effet, les internautes peuvent choisir quels médias, quelles marques ils vont suivre selon leurs centres d’intérêts. Les données récoltées vont ensuite permettre une publicité ciblée de la part des annonceurs. L’offre s’adaptera aussi en fonction de ce que vous suivez, lisez, regardez. C’est le principe même de Facebook.
Or, Discover n’offre aucun ciblage. Le contenu est choisi par les partenaires financiers de l’application qui vont tenter de captiver une audience qui n’a pas choisi sur quoi elle allait « s’informer ». L’offre est la même pour tous les utilisateurs. Discover n’est pas « social » et l’équipe de Snapchat l’affirme « Discover n’est pas un média social. Les médias sociaux nous disent quoi lire à partir de ce qui est le populaire. Nous voyons les choses différemment. Nous comptons sur les rédactions et les artistes, pas sur les cliques et les partages, pour déterminer ce qui est important ». Il s’agit en quelque sorte d’un retour au modèle de la télévision des années 1950, où les téléspectateurs regardaient tous la même chaîne sans aucun choix possible.

Le business model de Discover semble avoir pour but de capter du « temps de cerveau disponible » et non pas d’informer les internautes sur l’actualité en choisissant et en traitant des faits marquants de l’actualité. Il n’y a rien de social là dedans car aucune interaction entre les utilisateurs à lieu : pas de partages, pas de likes…
Cette mutation d’un réseau à l’origine social en un média qui semble construit sur un modèle désuet dans un contexte où il est acquis que les internautes veulent choisir ce qu’ils voient, pourrait conduire à une « ringardisation » de Snapchat. D’autant que ses utilisateurs sont très jeunes, connectés et habitués aux pratiques des nouveaux médias.
Cependant, Snapchat n’est pas la première plateforme sociale à opérer une transition vers une fonction de publication de contenus et à capitaliser sur le storytelling. Les marques se servent par exemple, d’Instagram pour faire de la « native advertising » (publicité native). Il s’agit selon Charles Gros (expert des médias online) de la « descendante directe du publireportage sur supports journalistiques » qui propose « des contenus publicitaires littéralement intégrés au contenu des sites internet ».
Alice Rivoire
Crédits images :
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