Twisted Metal "Shoot my truck" Capture d'écran
Flops

Quand le digital devient trop érotique

Être digital, tel est le mot d’ordre de tout bon communiquant désireux de percer aujourd’hui. Le terme revient partout : il est tout aussi bien substantif qu’adjectif, nous sommes tous des « digital natives » ou « digital immigrants », les plus jeunes sont nés dedans, les autres évoluent à ses côtés en tentant de l’apprivoiser. Tant et si bien que l’on commence à avoir un peu de mal à distinguer clairement ce qu’il renferme. L’émergence d’un nouveau « mot besace » ? Peut-être.
Suis-je digital si j’ai un Smartphone et que j’utilise tous les jours mes applications favorites ? Suffit-il d’être sur Facebook et Twitter pour être digital ou faut-il au contraire maîtriser parfaitement la technicité de ces nouveaux outils pour pouvoir vraiment se dire acteur du concept?
Tirer sur un camion au milieu du désert, à balles réelles, simplement en appuyant sur la touche espace de son clavier, ça aussi c’est possible grâce au digital. Les mots ne trompent pas, c’est bien dans le Digital Post n°86 de l’agence DDB° que j’ai pu trouver le sujet de cet article.
Le jeu vidéo de combat motorisé Twisted metal, sorti en 1995 sur PlayStation chez Sony Computer Entertainment, va bientôt être réédité sur PlaySation 3. En attendant sa sortie, la marque lance donc une forme de jeu via un site internet créé à cet effet. « Shoot my truck », invite ainsi les internautes à s’inscrire afin d’avoir peut-être la chance de pouvoir tirer à balles réelles, avec une vraie mitraillette sur un camion en plein désert. Le concept est ici de reprendre la base du jeu qui consiste grosso modo à survivre dans une arène à bord d’un véhicule blindé et massivement armé. Pour être le dernier pilote en lisse, il faudra donc détruire tous les véhicules concurrents d’où l’idée d’illustrer « réellement » le jeu vidéo.

L’internaute se trouve alors en mesure d’agir sur le réel de façon violente par l’intermédiaire d’internet et de l’outil digital. Il a la possibilité de se déresponsabiliser de son acte, de se cacher derrière cette barre d’espace devenue mitraillette.
En conséquent, la frontière entre le monde virtuel et le monde physique devient, par le prisme numérique, de plus en plus réelle. N’oublions pas que dans digital, il y a chiffre mais il y a surtout « doigt » avec cette notion de touché. Et si le tact est une forme de « touché sans toucher » selon le mot de Derrida, alors cette utilisation du digital fait preuve de mauvais tact en créant une puissance hypocrite chez le participant, ne servant ni plus ni moins qu’à étancher sa soif de violence facile et sans conséquence. L’idée n’est pas ici de condamner mais bien de mettre en garde. J’ai d’ailleurs été moi même le premier à être tenté par l’expérience quand j’en ai appris l’existence.
 Mais s’il est mauvais de considérer la dichotomie entre monde numérique et monde réel comme étant trop prononcée, il peut s’avérer dangereux, ou du moins discutable, de la rendre trop perméable.
Pour finir, revenons sur les deux principes fondamentaux de la communication énoncés par Sybille Krämer dans son article « Appareils, messagers, virus : pour une réhabilitation de la transmission » paru en 2008 dans la revue Appareil. Entendons par le « principe postal », une communication fondée sur le processus de transmission du message faisant appel à un voire plusieurs médias ; et par « principe érotique » la dimension dialogique de la communication, non instrumentale, cette pragmatique universelle d’Habermas dans laquelle la réciprocité évince le rôle du média.
Dans le cas de Twisted metal, nous assistons à la dérive d’un des aspects de la communication digitale, pourtant essentielle aujourd’hui, qui comme la viralité, tend à superposer le principe érotique sur le principe postal.
Oublier le média, fenêtre ouverte sur le réel, ou pire encore, nous cacher derrière lui : voilà l’inquiétude naissante face à certaines utilisation du digital.
 
Ambroise

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