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Société

Macholand : le féminisme 2.0

 
Mardi 14 octobre 2014, la pendule affiche 14h. Le « premier site d’action anti-sexiste de France » est mis en ligne : Macholand surgit sur les Internets. Surfant sur les idéaux du web, Macholand se présente comme un site bénévole et participatif visant à mettre en lumière les dérives sexistes de l’espace public. Il cible notamment les publicités de grandes marques comme Ariel ou Epson ainsi que des personnalités, de Gérard Collomb, maire de Lyon à Mister V, youtubeur.
En mai 2013, une enquête Mediaprism pour le Laboratoire de l’égalité est menée : le plus souvent, le grand public n’a pas conscience d’être soumis à des visuels véhiculant des stéréotypes sexistes ; ils ne sont pas capables de les identifier comme tel. Pourtant, la majorité des répondantes attendent des entreprises ainsi que des médias, l’arrêt de la propagation de ces stéréotypes (l’étude montre aussi que l’utilisation des stéréotypes est contre-productive pour le milieu publicitaire). Il est donc primordial que la population puisse être en mesure d’identifier le sexisme, mais aussi d’en mesurer les conséquences sur les mentalités.

Le slacktivisme, vraiment impuissant ?
La femme hystérique qui ne vit qu’à travers le prisme de l’apparence et du liquide vaisselle tombe en désuétude. En exploitant pleinement le processus de l’empowerment, le site se dresse contre l’image monolithique de la femme et les doubles standards prégnants, autant dans les esprits que dans l’espace public. Les fondateurs n’en sont pas à leur coup d’essai puisqu’on y retrouve trois noms notoires dans le militantisme féministe : Caroline de Haas, fondatrice d’Osez le Féminisme et ancienne conseillère au ministère des Droits des femmes, Elliot Lepers et Clara Gonzales, deux fondateurs des 343 connards qui répondait aux 343 salauds – ceux qui clamaient leur droit à « leur pute » dans un manifeste mené par Frédéric Beigbeder et Elisabeth Lévy, publié dans Causeur en octobre 2013.
Le postulat de Macholand est le suivant : « seules les paroles identifiées comme publiques pourront être interpellées, car elles ont une valeur normative. Macholand.fr n’a pas vocation à agir au sein de la sphère privée. » Le principe : enclencher une action massive en ligne pour être entendu, en passant par la mobilisation des internautes sur les réseaux sociaux. Ainsi, les posts sur Facebook, les tweets ou encore les mails fusent.

Dans une interview de Caroline de Haas accordée à Metro, la co-fondatrice explique que lorsqu’on se bat seule contre le sexisme ordinaire, les gens ont souvent le sentiment qu’il s’agit une opinion individuelle. Le caractère massif de ces opérations démontre alors la capacité de mobilisation des sphères féministes en ligne, déjà très actives sur Twitter. Cette idée d’opération militante en ligne rappelle inéluctablement le procédé des Anonymous et autres groupes de hackers mystérieux, cible de fantasmes et de polémiques à travers le monde. Les critiques diront que ce mode d’emploi relève du harcèlement, mais chaque opération dispose d’objectifs limites mentionnés sur la page. De plus, toutes les actions menées s’arrêtent lorsque les visés font machine arrière sur leurs campagnes sexistes.
Internet, un espace de luttes ?
Abattre une par une les dérives sexistes de l’espace public : il s’agit d’une ambition absolument faramineuse, mais outre l’objectif militant de Macholand, chaque opération présente un espace « ce que nous en disons » afin d’exposer aux publics non-initiés le problème que présente l’objet mis en accusation. Internet n’est pas un espace politique au sens traditionnel, pourtant il est devenu en quelques décennies la première source d’information. Il rend visibles des débats qui se situaient en dehors des circuits institués de la démocratie représentative.


Le constat général : la démocratie verticale ne fonctionne plus. Les individus, ici les internautes et particulièrement les sphères féministes, souhaitent avoir un impact direct sur l’environnement qui nous entoure, sans passer par les pouvoirs politiques. Face à l’insatisfaction générale de l’exercice du ministère des Droits des Femmes initié par François Hollande lors de son élection, l’empowerment prend de plus en plus d’ampleur, comme si Internet se présentait finalement comme un espace de reconquête du politique. La mobilisation en ligne que propose Macholand va non seulement à l’encontre de la diffusion des stéréotypes liés au genre, mais aussi contre l’Etat, le plus froid des monstres froids, comme le décrivait Nietzsche.
En dépit du consensus général sur l’abolition des stéréotypes genrés, Macholand a subi plusieurs contestations, qui ont commencé par un piratage du site quelques minutes après son lancement. Celles ci se poursuivent par un emballement de la twittosphère pour finir par quelques articles, dont celui d’Eugénie Bastié, journaliste de Causeur, qui a évoqué des parallèles nauséabonds entre Macholand et la délation durant les années 1940, tout en soutenant qu’au lieu de combattre les stéréotypes, il faudrait plutôt reconquérir ce qu’elle appelle « les territoires perdus de la république » face à l’invasion musulmane.
Enfin, comme d’habitude, il reste aussi ceux qui clament « préférer l’humanisme au féminisme » sans trop avoir compris de quoi le féminisme était le nom.
Thanh-Nhan Ly Cam
@Thanhlcm
Sources :
macholand.fr
marianne.net
metronews.fr
lefigaro.fr
L’intégralité de l’enquête Mediaprism disponible en ligne

Publicité et marketing

L'humanitaire ne donne plus faim : pubards réveillez-nous !

 
Qu’il s’agisse d’affiches dans les trains, les métros, les journaux, de jeunes gens croisés au détour d’une rue fréquentée, ou bien même de billets envoyés directement à domicile), les sollicitations pour des causes humanitaires sont omniprésentes: ces campagnes envahissent notre quotidien de manière à la fois uniforme et agressives… Pourtant, la culpabilisation provoquée par ces opérations ne permettrait plus aux ONG de parvenir à leurs fins (et de nous donner faim d’implication).
Volontouristes et slacktivistes: deux victimes du stéréotype
Le volontouriste est un occidental au grand coeur qui est prêt à payer très cher pour qu’on l’emmène en voyage dans un pays défavorisé ou il distribuera ses bontés. La belle aubaine que ces orphelins malgaches qui permettent de s’offrir des vacances sans culpabiliser. «Avec une goutte d’impérialisme s’il vous plait!»
Le slacktivist est celui qui s’agite au dessus de son clavier pour soutenir, toujours depuis son canapé, les multitudes de causes bio et humanitaires qui s’offrent à son écran. Certes, un like vaut de l’or mais si l’humanisme 2.0 est parfois fonctionnel, on lui reprochera de maintenir ses adeptes dans un état relativement passif. Il est bien facile en effet, de cliquer sur une dizaine de campagnes pour se déculpabiliser et de s’en retourner ensuite à sa pizza. Si par malheur une remarque est lancée, le cynique slacktivist lèvera son sourcil épilé et lancera un nonchalant «Le prix de mon billet pour l’lnde vaut au moins une vie de travail en Éthiopie.» Pas faux.
Doit on donc baisser les armes en rester là? Bien sur que non madame la marquise!
Allons donc scruter le banc des accusés: au premier rang s’y tiennent dignement les stéréotypes.
Breaking news: La pub, ça marche!

Convergence des regards: Coïncidence? Je ne pense pas…
Qu’il s’agisse de l’agence Excel, filiale de TBWA consacrée aux causes humanitaires qui est l’auteur de la publicité des orphelin d’Auteuil ou bien de l’agence Hémisphère pour «action contre la faim», force est de constater que les agences ne font pas toutes preuve d’une imagination débordante: on nous montre souvent des enfants au regard noir, faméliques, dont les plaies béantes dégoulinent du panneau d’affichage. Ils ont bien sûr terriblement besoin de nous et c’est souvent pendant qu’on mange notre sandwich.
À croire que pour pallier le caractère blasé de nos êtres sur-informés, la seule solution est le choc! Pas très agréable mais relativement fonctionnel: Les images de ces petits corps meurtris par la faim et les blessures sont maintenant incrustées dans l’imaginaire collectif.
Certaines mauvaises langues affirmeraient même que cette tendance véhiculée par les médias tend à réduire la notion d’humanitaire à ces sombres clichés… Pas faux, car, comme dit l’adage «il n’y a pas de fumée sans feu»!
De la culpabilisation à la culpabilité
D’ingénieux philanthropes locaux ont brillamment saisi le désir de l’occidental au grand coeur plein de culpabilité et à la tête remplie de campagnes action contre la faim: partir deux mois (rarement plus, ce serait un sacrifice) et entrer en contact avec de misérables et très jeunes orphelins. Ils ont donc saisi cette superbe aubaine qu’est le volontourisme et pris le parti de répondre à la demande: Âme récurée pour la modique somme de 2000 euros les deux mois, eau chaude comprise.
Ces philanthropes agissent notamment dans les orphelinats cambodgiens, où les enfants issus de familles défavorisées sont utilisés comme orphelins pour remplir les structures d’accueil où les volontouristes souhaitent réaliser leurs « vacances humanitaires ».
Vous avez bien compris, en véhiculant invariablement les mêmes stéréotypes, la publicité crée des «consommateurs de misère». Elle est à l’origine d’une véritable « invasion » du monde marchand au sein des activités promues par le monde associatif avec une idéologie et des finalités qui détruisent les principes fondateur de ce secteur.
Que faire alors? Des campagnes originales et humoristiques? Mais peut on rire de la faim, de la misère de la famine? Certainement pas, cependant, y réduire les personnes bénéficiaires des aides humanitaires leur fait affront.
«Stop the Pity, Unlock the Potential, join the campaign
Assez de pitié, élargissons le champ des possibles, rejoignez la campagne.
C’est le slogan d’un organisme humanitaire connu sous le nom de « Mama hope ».
Mama hope fut crée par l’Américaine Nyla Rodgers, suite au décès de sa mère où elle découvrit que cette dernière parrainait plusieurs dizaines d’enfants Kenyiens. Nelly Rodgers a pris le parti de se battre contre la pauvreté mais aussi contre les stéréotypes.. Mama hope met par exemple en scène des femmes Africaines au sein de leur tribu Masai, l’une des plus vieilles tribus africaines. Quelle n’est pas alors notre surprise en les voyant manier le clavier de leur mobile aussi habilement qu’un accro à world of warcraft face à son PC.
Mama Hope développe ainsi une communication plus transparente, ce qui n’apparaît pas comme une démarche superflue au regard des récents scandales que différentes ONG ont connus ces dernières années.
Nous nous rappellerons en effet que lorsque Sylvie Brunel claqua la porte de Action contre la Faim en 2007, elle déclara: «Alors qu’ils sont sensibilisés sur le Soudan ou la Somalie, les donateurs financent en réalité en grande partie tout autre chose. »
Bonne nouvelle: elle n’est pas seule!
Mama Hope n’est pas la seule à avoir développé une ligne de conduite fondée sur la transparence, on compte en effet parmi les adeptes de cette ligne les très hilarants membres de SAIH. Cette «organisation étudiante de solidarité» norvégienne a lancé l’année dernière un appel aux dons ainsi qu’un concours vidéo enjoignant les internautes du monde entier à voter pour la publicité la plus caricaturale, laquelle fut récompensée par la remise d’un officiel « Radiateur rouillé , mais aussi pour la meilleure, dont l’auteur s’est vu remettre un « radiateur d’or ».

 
Alors? Les problèmes générés par les stéréotypes sont multiples, ces campagnes agressives et culpabilisantes génèrent la lassitude, sont dégradantes pour les pays qui y en font l’objet et surtout, elles manquent de crédit.
L’oeil hagard de notre éthiopien étant utilisé comme motif par toutes les associations humanitaires, il prend peu à peu les apparences d’un prétexte, voire pire d’un écran de fumée. Laissez nous manger paisiblement notre sandwich dans le métro. Promis, on vous aidera d’autant mieux si vous ne nous racontez pas de salades.
Flore de Carmoy

Communication humanitaire - médecin du monde
Société

Mea Culpa et course aux likes : les nouveaux ressorts de la communication humanitaire

 
Deux regards noirs, presque accusateurs. Voilà comment Médecins du monde s’associe à l’agence Meanings pour sa nouvelle campagne de communication lancée début décembre 2013. Des yeux qui nous fixent et un slogan évocateur – « Médecins du monde, médecins de tout le monde » – qui permettent d’interpeller le public, de l’inclure, de le faire se sentir concerné. Les ONG l’ont bien compris : la période des fêtes est un moment clé pour faire appel à la générosité des gens, en témoigne la présence massive des bénévoles les plus convaincants à la sortie des magasins dans lesquels on vient de se ruiner en cadeaux. Se servir de « la magie de Noël » pour stimuler les dons, une pratique certes efficace, mais aussi dérangeante.
A qui la faute ?
Dans le cas de la campagne de Médecins du Monde, il semble surtout que l’on cherche à nous rappeler à l’ordre, voire à nous faire culpabiliser. Or cette culpabilisation des publics paraît être un levier de mobilisation de plus en plus utilisé par les ONG, seul moyen d’escompter une réaction suffisante. Face à un public extrêmement sollicité, presque blasé, et pour répondre à des prérogatives financières de taille, on n’hésite plus à tomber dans le pathos quitte à perdre de vue l’objectif d’information sur l’action menée. De plus en plus minimaliste, cette partie purement indicative qui permet de comprendre le champ d’action d’une organisation est délaissée au profit de slogans laconiques sur fond d’images choc. C’est d’abord d’un point de vue éthique qu’il faut interroger ces méthodes de sensibilisation qui font d’un citoyen un acteur cynique transformé en « juge pénitent » à l’image de J.-B. Clamence (cf. La Chute, de Camus).
Cette question est d’autant plus délicate qu’elle amène à parler conjointement d’humanitaire et de « stratégie » marketing et communicationnelle, des termes qu’il semble malsain d’associer. Diabolisée et assimilée à de la manipulation pure, la communication est pourtant centrale pour les ONG qui existent grâce aux dons et qui sont donc tributaires de leur image. Nombreuses à intervenir dans l’urgence, elles sont obligées d’être réactives pour mobiliser rapidement (on pense à Haïti ou aux Philippines cette année).
L’humanitaire 2.0
Heureusement, les avancées technologiques font bien les choses, et les réseaux sociaux représentent aujourd’hui un terrain privilégié pour sensibiliser l’opinion publique. Ils permettent à la fois de donner une voix aux organisations dans l’instant, pour le cas des catastrophes naturelles par exemple, et de maintenir un lien permanent avec les utilisateurs qui « suivent » ou « aiment » leur page. Les ONG prouvent par là qu’elles sont dans l’air du temps et leur approche les rend plus susceptibles de capter un large panel de personnes, lesquelles sont par là très accessibles. En un simple « like », chacun peut affirmer son soutien, voire parfois même « donner » un euro à une cause. L’emploi des guillemets est bien de circonstance puisqu’on ne donne pas directement d’argent à titre individuel, comme on le voit pour le partenariat entre la Fondation de France et l’entreprise américaine de médicaments Vicks. Ici, à chaque « like », l’entreprise s’engage à verser un euro à la Fondation de France. On se doute que le geste du citoyen n’a pas de réelle incidence et que le partenariat financier est déjà scellé entre les deux protagonistes, qui se sont accordés sur la somme maximale de 30 000 euros (cf. en bas à droite de l’affiche). Cette campagne « participative » sert simplement de vitrine à ce mariage de courte durée (nous n’avons qu’un mois et demi pour cliquer !).

De l’activisme désengagé
Si elle permet de fédérer un plus grand nombre de personnes pour une cause, cette pratique achève aussi de dématérialiser l’action humanitaire. On en vient à réduire l’engagement à un simple « like », purement fictif donc quelque part futile. Ce militantisme exclusivement virtuel est désigné sous le nom de slacktivisme, contraction de « slacker » – comprenez « fainéant » en anglais – et d’activisme. Par le simple fait de publier une photo, de signer une pétition en ligne ou de re-tweeter, on peut se donner bonne conscience en se satisfaisant d’avoir fait un geste soi-disant solidaire. Déculpabilisé, l’internaute peut donc s’en retourner à sa vie réelle sans scrupules après avoir effectué sa BA du jour.
Le grand expert en la matière, c’est le site avaaz.org, ONG cybermilitantiste qui « permet aux citoyens de peser sur les décisions politiques » par le biais notamment de pétitions. Si la méthode peut effectivement se montrer efficace (Amnesty International l’a prouvé maintes fois), elle n’offre pas de réponse concrète aux populations en détresse, ce qui est peut-être la véritable priorité.
Cette course aux likes fait dévier les campagnes de sensibilisation vers une communication du vide, qui, passée l’émulation des débuts, pourrait finalement nuire aux ONG.
 
Elsa Becquart
Sources :
AVAAZ.org
Owni.fr – Gladwell, réseaux sociaux et slacktivisme
Cassandria.wordpress.com – Quand la com des ONG dessert les humanitaires
Meanings.fr
Crédits photos :
Campagne d’affichage Meanings (Nicolas Moulard)
Campagne Vicks « Soigner, soulager et accompagner les nouveau-nés, les enfants et les adolescents gravement malades ou en fin de vie »