Société

Le Slip Français, les dessous du Made in France

 
Avec Margaux le Joubioux et Angélina Pineau, voyons comment le désormais célèbre Slip Français a su profiter des discours politiques sur le Made in France et créer de toute pièce son propre label. 
Depuis la dernière campagne présidentielle, Le Slip Français a largement investi le paysage médiatique et les réseaux sociaux. Jusqu’alors, les sous-vêtements masculins ne s’exhibaient guère ni dans les magazines, ni sur les écrans. Véritable étendard du label Made in France, qu’a révélé cette webmarque, à travers sa défense de la production hexagonale et son potentiel communicationnel aussi transgressif que réactionnaire ?
 
Le Slip Français : qu’a-t-il de plus que les autres ?
A première vue, Le Slip Français n’est pas différent de ceux qui ornent les rayons des magasins. Son signe distinctif : un drapeau tricolore présent sur chacun des modèles de la marque. Le Slip Français revendique ses origines et fait de ce symbole un gage de qualité. En plus d’être 100% coton, l’entreprise s’engage, à l’heure de la délocalisation, à produire l’ensemble de ses slips en France. Au coeur de la Dordogne, à Saint-Antoine plus précisément, on s’active afin d’honorer les commandes de plus en plus nombreuses. Depuis la création de l’entreprise en septembre 2011, ce sont plus de 20 000 pièces qui ont été fabriquées pour un chiffre d’affaires de 300 000 €.
Mais créer des produits de qualité ne suffit pas, et les textiles Made in France sont  facilement classés dans la catégorie des produits doucement surannés voire carrément ringards. Afin d’éviter d’être rangé aux côtés des charentaises et de la marinière Armorlux, Le Slip Français a fait de la communication son meilleur atout.
La clé du succès a été de revendiquer le côté « franchouillard » et « slip à papa » de leur gamme de produit. Le slip était un apparat un peu honteux qu’il était préférable de dissimuler. Réapproprié par une minorité d’hommes prescripteurs de tendance, le slip s’exhibe et devient une arme de séduction massive. Quelle est cette minorité ciblée par la marque ? Il s’agit de jeunes urbains âgés de 20 à 35 ans (ou leurs compagnes) dotés à la fois d’un solide pouvoir d’achat et d’un sens de l’autodérision qui les encourage à se distinguer via leurs vêtements. En un mot : les hipsters.
 
La communication numérique

Mais le but n’est pas de créer de la nostalgie sinon du rétro. Pour éviter de finir dans les catalogues La Redoute ou les magasins Damart, les commandes ne s’effectuent que sur Internet. Cette stratégie 100% numérique a le mérite, outre celui de réduire considérablement les frais de production et de distribution, d’inscrire la marque dans les usages de son époque. Elle permet une très grande réactivité. En effet, leur site internet, tout comme les pages sur les réseaux sociaux démontrent une parfaite compréhension des règles en vigueur sur le web 2.0. Comme en témoigne l’appel aux dons sur My Major Company afin de créer le « slip qui sent bon ».

Mais cette stratégie numérique n’entrave en rien la volonté de l’entreprise d’avoir de solides partenariats dans le monde réel. Ainsi, pour la Saint-Valentin, Le Slip Français s’est associé à Princesse Tam Tam et cet été, Claudie Pierlot proposera une gamme de culottes aux couleurs tricolores. L’élargissement progressif de sa production est une nouvelle étape pour la marque qui envisage déjà de devenir « le Petit Bateau du web ».
 
Forte présence dans les médias incarnée par un leader incontesté
Cette stratégie est portée par le directeur et fondateur de la marque, Guillaume Gibault. Diplômé d’ HEC, il est beau garçon, télégénique et a fondé une approche du Made in France aussi légère que décalée. Son ambition semble être à la hauteur de son potentiel communicationnel. Ce jeune entrepreneur réinvestit avec succès le concept du Made in France développé par ses pairs politiques, de Delors à Bayrou, pour en faire un label attractif et innovant. À défaut d’en être le ministre, Guillaume Guibault défend un redressement productif plus opportuniste et potache que réactionnaire.
 
Entre l’Ode et l’élégie : une forme de lyrisme patriotique

Alors comme ça, tu te dis capable de vendre n’importe quoi Made in France ? Même du slip ? » Chiche.
Cette odyssée du slip devait bien reposer sur le mythe du pari amical pour pouvoir se transformer en ode patriotique. Le jeune gaulois Guillaume Gibault a bien choisi un ton « patriotico-patrimonial » teinté d’humour mais aussi de nostalgie pour sa webmarque le Slip Français. Des slips à noms de sous-marins de DCNS (Le Redoutable, le Vaillant, l’Intrépide, Le Triomphant), de maîtres du ring (Le Marcel, L’Emile, L’Eugène, L’André), jusqu’aux caleçons à la terminologie rétro-hipster (Le Félix, Le Léon, Le René, Le Charles), Le Slip Français n’a pas fini d’user de la métaphore virile ni de la rhétorique gaullienne, avec une tendance prononcée pour le  « Vive la France ! » Emblème historique et militaire, la cocarde vient compléter le liseré bleu-blanc-rouge sur l’élastique. La marque propose enfin aux sans-culottes de l’Hexagone un habillement qui puisse satisfaire leurs ambitions patriotiques ! Acheter et porter le Slip Français peut en effet être interprété comme un acte civique de défense de certaines valeurs. Le produit correspond très bien à la tendance qui irrigue de plus en plus la consommation : « Je suis ce que je consomme. »
 
100% Storytelling
« On raconte une Histoire, et raconter une histoire, c’est ça qui me plaît, encore plus que le produit lui-même » déclare Guillaume Gibault au journal Libération qui a publié son portrait en septembre 2012. En effet, le succès du Slip Français repose sur la performance du storytelling à la Française : des sous-vêtements 100% coton et surtout 100% « made in l’Hexagone profond ». En rattachant la production à un toponyme, d’abord national avec le fameux label Made in France, puis départemental (la Dordogne) et villageois (la production à Saint Antoine), la marque en appelle à l’imaginaire territorial relativement efficace en temps de crise économique, sociale et identitaire. Elle crée chez le consommateur un sentiment d’appartenance à un corps collectif, mais également à un territoire et un savoir-faire qu’il s’agit de défendre. Source d’affirmation de soi et de sa communauté, le Slip Français répondrait à notre cher Maslow qu’il suffiraitt d’un slip pour satisfaire les besoins des consommateurs. Il répondrait également à un sentiment d’insécurité dans un monde où les repères s’évaporent. Le Slip Français a pris acte d’un double sentiment d’infériorité individuel et national, au niveau industriel, auquel il a répondu par des produits qui exaltent la fierté virile mais aussi collective. L’achat d’un produit de la marque relèverait alors d’avantage de considérations éthiques qu’économiques.
 
Une réécriture subversive
Le Slip Français s’amuse également à détourner des discours politiques pour se les réapproprier au moyen d’une rhétorique subversive efficace. La marque s’inscrit « volontairement » dans une revendication identitaire explicite, tout en déployant avec virtuosité et ironie une stratégie de réappropriation du symbolique. On se souvient des affiches électorales soudainement détournées sur Internet avec le gimmick « slip ». « En slip, tout est possible »  « La France forte en slip », « Le changement de slip, c’est maintenant », « Prenez le pouvoir en slip ». Le terme « slip » s’y détachait visuellement et graphiquement dans le but de produire une rupture cognitive dans le parcours de lecture. La distance humoristique a ainsi permis de s’affranchir de toute dimension politique pour retisser du sens. La métamorphose se produit grâce à cette transgression du « sacré » dont se revendiquent les slogans politiques. De façon paradoxale, la mise en spectacle de ce mot, plutôt familier aux côtés de termes politisés, a eu pour conséquence de dépolitiser ces slogans réinvestis par le marketing. Cette réécriture profite également de leur forme indirectement performative pour constituer les slogans publicitaires de la marque.

Plus que jamais la rhétorique affichée de la marque Le Slip Français transforme un produit en symbole de la reconquête du potentiel industriel français. Mais sous ses allures d’appel à la mobilisation générale, la marque est également le signe d’un grand opportunisme marketing qui a su réinvestir la majorité de ses fondements : la construction d’un imaginaire, l’innovation et la transgression.
Margaux le Joubioux, Angélina Pineau
 
 

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