Snapzheimer
Société

Epargnez-moi cette émotion programmée

 
Le 17 avril, en s’appropriant Snapchat, l’outil de partage éphémère de photos, la campagne Snapzheimer, imaginée par Proximity BBDO, a tenté de faire vivre symboliquement aux jeunes l’expérience de la maladie d’Alzheimer. Cette campagne marque une véritable innovation dans l’usage des réseaux sociaux mobiles puisqu’elle transforme l’usage de l’application en message à part entière. Grâce à Snapchat, la campagne s’est s’invitée dans l’insouciance du quotidien des jeunes et s’est appliquée à détourner l’expérience d’un de leur média préféré afin de les sensibiliser sur la réalité de la maladie d’Alzheimer. Une seule fois et pas plus.
Sensibiliser la nouvelle génération à une « maladie de vieux » : Alzheimer
Le problème est de taille : comment intéresser des jeunes hyper connectés à la maladie de l’isolement, de la déconnexion ? Pour y parvenir, Proximity BBDO a décidé d’utiliser un outil de leur quotidien, Snapchat, et d’en faire le média inattendu d’une campagne de sensibilisation.
Prendre les jeunes au « piège » de leur usage de Snapchat. Les alerter et puis disparaître pour les avertir de l’urgence de cet enjeu de société. Avec cette campagne, plus que jamais, le média devient le message, l’incarnation virtuelle d’un mal dont souffrent aujourd’hui  850 000 Français.
Snapzheimer : l’exemple de la bonne prise de parole
Ce jeudi 17 avril, 1 million d’utilisateurs Snapchat, sélectionnés grâce à la base de données du groupe partenaire Cache Cache, ont reçu un Snapchat un peu différent : des photos souvenirs se sont affichées puis, au bout de 10 secondes, ont disparu pour laisser place à un message de sensibilisation.
La campagne, en détournant l’application Snapchat, visait à toucher les jeunes proactifs à même de montrer ces clichés à leur entourage. À terme, cette opération se veut donc transgénérationnelle. Il s’agissait ici de choquer la jeunesse en détournant, d’intéresser les familles en intriguant par la technologie. Proximity BBDO a porté la réalisation de cette campagne astucieuse afin de montrer aux jeunes que leur média préféré peut aussi être l’incarnation d’un mal dont leurs grands-parents peuvent souffrir.
L’habilité de cette campagne réside donc dans sa démarche, mais aussi dans ce qu’elle ne fait pas, à savoir  créer une énième page Facebook ou inonder l’espace public d’une logorrhée verbale attendrissante. Avec cette campagne, le message s’ancre dans le temps sans harceler le public. En somme, il s’agissait là de changer la vision qu’avaient les gens de Snapchat, de telle manière qu’à chaque cliché,  ils pensent à la maladie d’Alzheimer.
Une bonne démarche pourtant trop rare, car sensibiliser c’est suggérer, et non choquer
Dans L’Agamemnon d’Eschyle, Clytemnestre tue Agamemon et Cassandre à l’abri des regards, dans une pièce cachée des yeux des spectateurs de la pièce. Dans Orange Mécanique, Alex viole à l’abri des regards, mais cela n’a pas empêché chaque spectateur d’être choqué par la violence de la scène. Pourquoi ? Parce qu’elle était suggérée.
L’objectif de la catharsis1 est le même que celui des campagnes de sensibilisation : faire prendre conscience des travers de l’existence afin de mener une meilleure vie. La force de la catharsis, comme la force de la campagne de sensibilisation, est de suggérer, de faire émerger en chaque personne les travers qui affleurent.
Nul besoin d’aller dans le gore, dans le pathos excessif qui dégoutte, embarrasse, et n’aboutit qu’à une banalisation de l’extrême. Et pourtant, trop de campagnes de sensibilisation s’enferment dans ce défaut.  Il faut au contraire croire à la force du suggestif, dans une société de l’obscénité où tout se montre, tout se dit en permanence. Dans ce flot quotidien d’émotions déversé par les médias, il est impératif de manœuvrer différemment.
Il ne s’agit plus d’imposer au spectateur une émotion, une musique larmoyante ou des visages en gros plan, mais au contraire, de le faire participer, de se servir de son expérience, de son vécu pour qu’il puisse se convaincre lui-même. La démarche n’est pas neuve : Sophocle et Euripide n’ont pas attendu le Brand Content participatif pour comprendre qu’il n’était ni bienséant ni efficace d’imposer une réalité choquante à un public.
De fait, on comprend bien que les campagnes de sensibilisation répètent malheureusement les défauts de notre société (révélations, obscénité). Montrer de plus en plus pour émouvoir s’apparente alors à une lourde erreur. La force de l’émotion est dans ce suspense léger et silencieux, qui suit la fin d’un roman.
Je ne suis pas saisi de la beauté du voyage d’Ulysse quand il échoue sur l’île de Calypso, mais quand je referme le livre, ma main sur la quatrième de couverture, alors je comprends que ce récit ne me quittera plus.
 
Arnaud Faure

Crédit photo :
Pierre Peyron – La mort d’Alceste – Musée du Louvre Paris
1. La catharsis est l’épuration des passions par le moyen de la représentation dramaturgique