Culture

JO 2018 : Où est donc passée la Russie ?

« Les jeux les plus chers de l’histoire », on se souvient des Jeux Olympiques de Sotchi organisés par la Russie en 2014 et dont le budget s’élevait à 37 milliards d’euros. Une occasion pour le pays de redorer son image dans le monde mais aussi de montrer sa puissance en se hissant à la première place : 33 podiums pour 13 titres. Trois ans plus tard, le 1er décembre 2017, le Comité International Olympique (CIO) interdit la participation du pays aux jeux de 2018 à cause du dopage avéré de plusieurs de ses sportifs concourant en 2014. Onze médailles retirées, 25 sportifs russes disqualifiés : un coup porté au cœur d’une Russie où le sport est presque une affaire d’idéologie.

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Le sport, les jeux olympiques et la communication politique

 
Certains grands événements sportifs sont entrés dans l’histoire des relations internationales, que ce soit parce que leur déroulement a été l’occasion d’affrontements et de revendications politiques, ou parce qu’ils ont eux-mêmes créé l’événement. La Coupe du Monde de football ou les Jeux Olympiques en sont les exemples les plus marquants puisqu’ils se chargent de valeurs symboliques et quasi chevaleresques : sont ainsi célébrés l’honneur et le devoir (de faire rayonner son pays à l’étranger).
Les représentants des pays, en s’appuyant sur la puissante capacité fédératrice du sport, ont donc fait du geste sportif un outil de communication politique – voire de propagande. Mais cela ne va-t-il pas à l’encontre des valeurs sportives, telles que la neutralité et la gratuité du geste ?
La communication par le sport
La communication par le sport apparaît être un moyen très efficace de transmettre des idées, puisque le sport a l’aptitude de fédérer les foules tout en étant chargé de valeurs généralement positives. Les villes ou pays candidats rêvent d’organiser un méga-événement sportif comme le Super Bowl ou les Jeux Olympiques puisqu’ils ont un impact économique majeur sur la région qui accueille, tout en augmentant son attractivité.
L’événement sportif est aussi et surtout un événement médiatique : ainsi 3 milliards de téléspectateurs ont regardé la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver de Sotchi, vendredi 7 février dernier. En tant que tel, le sport est un indicateur des relations politiques internationales. Hélène Dumas s’est intéressée par exemple aux liens entre le génocide rwandais de 1994 et le football, sport implanté par les missionnaires et réservé aux Tutsi. Les stades étaient devenus de véritables tribunes politiques et c’est là que les milices populaires se sont formées. Le sport et la politique s’imbriquent donc aisément, ce que les Etats ont pris en considération.
Le cas particulier des jeux olympiques
Les Jeux Olympiques sont le symbole paroxystique de cette communication politique qui s’incarne via le sport. Cet événement est politique, depuis ses débuts (Pierre de Coubertin a recréé les Jeux dans le contexte revanchard français post-défaite de 1870) jusqu’à son actualité sous tension à Sotchi, en passant par les grands moments du XXème siècle. Le retentissement médiatique promis par les Jeux a contribué à en faire une véritable tribune politique.
Pour les sociologues Elias et Dunning « Les JO permettent aux représentants des différentes nations de s’affronter sans s’entretuer » (Sport et civilisation, la violence maîtrisée). Les Jeux sont en effet l’occasion de communiquer très largement des idées politiques. Ainsi à Mexico en 1968, avec en toile de fond la lutte contre la ségrégation raciale aux États-Unis, les sportifs noirs Tommie Smith et John Carlos ont levé vers le ciel un poing ganté de noir lors de l’hymne américain. Cela a été interprété comme un geste de soutien au mouvement politique afro-américain des Black Panthers et les coureurs ont été exclus des Jeux.
Le Comité international olympique (CIO) a beau se targuer d’apolitisme, l’on ne peut que remarquer toute la portée politique des choix du CIO, étant donné que les JO sont porteurs de valeurs de paix et d’union Grèce au sport et ce depuis l’antiquité, ils ne sont pas censés être une chaire politique.
Le pari Sotchi
L’actualité nous présente un autre exemple du sport utilisé comme outil de communication politique. Les 22èmes Jeux Olympiques d’hiver se déroulent à Sotchi, station balnéaire russe située sur les bords de la Mer Noire. En se lançant dans ce projet pharaonique (avec 37 milliards d’euros, ce sont les Jeux d’hiver les plus chers de l’histoire), le président russe entend donner l’image d’un pays qui s’exporte. Mais, sur fond d’oppression des minorités, de scandales de corruption et de tensions nationalistes, c’est un pari qui semble bien risqué.
Organiser les Jeux est pour la Russie une aubaine communicationnelle puisqu’il s’agit de mettre en scène le retour du pays dans la plénitude de sa grandeur, en s’inscrivant dans une vision quasi tsariste de la grandeur russe. Mais encore faut-il bien maîtriser son organisation et sa communication, ce qui ne semble pas être le cas. En effet, les moqueries sur l’organisation des Jeux sont devenues récurrentes sur le Web, notamment sur Twitter (avec l’usage du hashtag #SochiFails ou #SochiProblems).
Malgré la magnificence de la cérémonie d’ouverture, les paillettes de Sotchi ne feront pas oublier l’envers du décor : un saccage environnemental et une menace terroriste (confirmée par les attentats récents de Volgograd). Plus largement, cet événement n’occulte pas le marasme économique qui frappe la Russie ou les controverses actuelles, telles que la loi « antigay » ou les manifestations en Ukraine.
Si de nombreux chefs d’Etat n’ont pas assisté à la cérémonie d’ouverture (Merkel, Cameron ou Hollande), aucun ne s’est prononcé en faveur d’un boycott, comme l’auraient souhaité plusieurs ONG. La France par exemple sera représentée par la ministre des Sports, Valérie Fourneyron, pour qui « le boycott n’est pas une bonne solution ». Elle affirme qu’il peut être plus utile, pour faire avancer la cause des droits de l’homme, de se rendre aux Jeux car ils « sont un moment où on peut obtenir des avancées politiques. Cela s’est produit en Chine et, on l’a encore vu en Russie ces dernières semaines avec des libérations d’opposants au régime ». Le véritable enjeu de Sotchi ne serait-il pas alors plus politique que sportif ?

Le sport est donc l’occasion de communiquer positivement via du divertissement. Il n’est plus seulement une activité de proximité mais devient un spectacle mondial et un outil au service de la communication politique. En raison de leur symbolique historique et de leur retentissement médiatique toujours plus conséquent, les Jeux Olympiques sont le paroxysme de ce credo. Ils deviennent un lieu d’expression des rapports de force internationaux et par conséquent, un vivier très intéressant de communication.
On peut donc considérer que cette utilisation communicationnelle et politique est une dérive supplémentaire du sport. Néanmoins, compte tenu de l’extraordinaire médiatisation des JO, on peut espérer qu’un tel événement engendre des avancées politiques.
 
Lucie Detrain
Sources
RFI
Challenges
Lesreceptionstendances

Jeux olympiques de Sotchi
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Ceux qui mettaient les Jeux Olympiques à profit…

 
Cinq jours après le lancement des Jeux Olympiques d’hiver 2014, l’enjeu est de taille pour les sportifs du monde entier… mais pas que. Les marques aussi jouent une part importante de leur marché aussi bien en termes économiques qu’en termes de visibilité. Surfant sur les valeurs du sport et de l’échange, les marques internationales profitent de cet évènement de taille. Déclinant chacune une offre d’exception, elles redoublent d’imagination pour nous proposer des campagnes aussi uniques que le seront ces JO de Sotchi…
La version : « je vais vous faire rêver »
Pour assurer sa couverture médiatique, la chaîne britannique BBC diffuse depuis la fin du mois de janvier ce qui peut vraisemblablement s’associer à un film publicitaire. Un trailer puissant offre une mise en bouche des plus alléchantes : à coups de musique percutante, d’images à couper le souffle et avec en prime la voix de Charles Dance – alias Tywin Lannister dans la série Games of Thrones – qui nous explique que beaucoup de sportifs ont déjà tenté leur chance dans ces jeux. Ce discours grave résonne comme une mise au défi pour les nouveaux athlètes de 2014. En compétition avec une nature glaciale et redoutable, les athlètes –ou plutôt la BBC- nous promettent du show sur plus de deux cents heures de couverture télévisuelle.

La version : « j’ai du jamais-vu pour vous »
La marque Samsung prépare quant à elle depuis l’année dernière une grande campagne intitulée « Les Jeux Olympiques de tous » qui se décline sous plusieurs initiatives. Elle met notamment à la disposition de la famille olympique, des hautes personnalités, des organisateurs, du personnel et des officiels une nouvelle plateforme de communication,  WOW (Action olympique sans fil), qui permet de recevoir les dernières actualités des Jeux Olympiques par le biais d’appareils mobiles Samsung de pointe. Mais la plus grande avancée mise en valeur par la marque, c’est l’ouverture de cette plateforme au grand public qui pourra avoir accès à toutes les informations des JO depuis le monde entier. « Samsung s’efforce de faire que les Jeux à Sotchi en 2014 soient vraiment des Jeux Olympiques ouverts à tous en permettant aux fans de prendre une part active et de partager leur expérience à tout moment partout, » confie le vice-président et responsable de la section Marketing sportif mondial chez Samsung Electronics, Yung Kook Lee. Il ajoute qu’avec ce partenariat, « Samsung a pour but de se connecter émotionnellement avec les consommateurs et d’élaborer une marque qui mobilise au niveau mondial. ».
Samsung a également mis en place un programme d’ambassadeurs en invitant des grands athlètes de niveau, des quatre coins du monde, à partager cette expérience avec les fans grâce aux technologies mobiles. En s’associant à des sportifs, la marque semble ainsi s’imprégner des valeurs du sport et de la compétition et valoriser un certain style de vie. En témoigne Tatiana Borodulina, championne d’Europe en 2005, qui fait partie de cette initiative Samsung pour 2014 : « Je suis ravie de me joindre à cette campagne de promotion du Mouvement olympique, du sport et des modes de vie sains (…) et de démontrer de manière exemplaire et ce notamment auprès des jeunes générations qu’en sport il s’agit avant tout de croire en soi (…) ». La marque incite enfin, au travers d’un autre programme, les bloggeurs mondiaux à relayer l’avancée de ces Jeux.
La version : « je vais vous donner de l’émotion » (…encore une fois !)
Le groupe Procter & Gamble, spécialisé dans les biens de consommation courants, ont mis en ligne dès janvier la suite de leur campagne « Thank you Mom », débutée l’été 2012 pour les Jeux Olympiques de Londres. La marque se place comme sponsor des mères dans ce premier court-métrage de deux minutes, « Pick them back up » (« Aide-les à se relever »). On y découvre des mères qui redressent leurs petits sur leurs pieds, les aidant toujours plus à se relever de leurs chutes et à persévérer. Des premiers pas aux exploits sportifs de compétition, les mères restent présentes. De la même façon qu’elles soutiennent leurs enfants, P&G soutient les athlètes 2014. Le groupe s’appuie sur l’idée de persévérance et de continuité, visible avant tout dans la reprise de sa campagne, et mise à l’honneur dans le message final : « For teaching us that falling only makes us stronger… Thank you Mom ». Une vidéo tout en émotion et sans aucune référence aux produits de P&G.

Les marques semblent au final avoir compris tout l’intérêt qu’il y avait à s’associer à un évènement sportif d’échelle internationale : jouer sur le registre de l’émotion, du spectaculaire, du partage pour mieux mettre en avant l’image responsable et moderne de l’entreprise. Une communication que semblent aborder les équipes nationales pour mieux faire valoir ses athlètes : la campagne  #WeAreWinter créée par le comité olympien canadien, fortement axée sur le digital, tente elle aussi de faire naître ce sentiment de cohésion. Une nouvelle entrée dans la communication sportive olympienne qui n’a pas froid aux yeux…
 
Laura Pironnet
Sources
Ilétaitunepub
Veillebrandcontent
Cdusport
Actumediasandco
Olympic

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Poutine, pas prêt d’égayer la Russie

 
« Nous faisons tout pour que les sportifs, les spectateurs, les visiteurs se sentent bien aux Jeux olympiques, quelles que soient leur nationalité, leur appartenance ethnique ou leur orientation sexuelle », tempérait Vladimir Poutine, en bon prince, le 28 octobre dernier, devant Thomas Bach, président du Comité international olympique.
Oui. Ce même Poutine, qui quelques jours auparavant, affirmait pourtant que si les « sportifs qui ont une orientation sexuelle non traditionnelle […] sortent dans la rue pour en faire la propagande, ils devront en répondre devant la loi ».
D’emblée, une question se pose : qu’entend précisément le Président de la Fédération de Russie en ajoutant les termes « faisant la propagande de relations sexuelles non traditionnelles» à la loi fédérale sur la protection des enfants contre les informations nuisibles à leur santé et à leur développement ? Évoquer la tradition et la propagande paraît excessif et lourdement connoté pour parler d’innocentes manifestations d’amour de la part d’individus de même sexe. Et après une – très courte – réflexion, il peut même sembler risible d’imaginer que deux femmes s’embrassant dans les jardins de Pavlovsk puissent chercher à mettre en œuvre une stratégie de persuasion en vue de propager une façon d’aimer nuisible à la santé, au développement des enfants, et non conforme à l’usage ancestral russe de surcroit.
Cette pointe d’ironie n’est bien évidemment là que pour mettre en avant l’ambivalence de cette loi, qui témoigne d’une certaine habileté d’un point de vue communicationnel : en accentuant le flou autour des termes choisis, Poutine permet à ce texte ambigu d’être interprété de manière très large, de sorte qu’il puisse s’appliquer à quantités de cas de figure, pouvant aller des cours d’éducation sexuelle donnés aux jeunes, en passant par le simple baiser remarqué au détour d’une ruelle et jusqu’à l’organisation de mouvements tels que les gay prides.
Quoi de plus efficace que de faire une analogie entre une prise de position résolument discriminatoire et un risque pour l’avenir de la nation – la jeunesse ? Que dire de l’évocation d’un moyen de persuasion tel que la propagande dans un pays qui, il n’y a même pas un siècle en arrière, en subissait tous les méfaits sous la dictature stalinienne ?
La stratégie employée par le Président de la Fédération russe, qui mise manifestement sur le danger que peut représenter l’homosexualité, s’avère ainsi presque rhétorique ; rappelons qu’en-dehors des termes « relations sexuelles non traditionnelles », jamais le mot « homosexualité » n’est cité dans le texte. Pascal le premier disait qu’« il y a une éloquence du silence qui pénètre plus que la langue ne saurait faire ».
Plus frappant encore est l’enracinement de la tradition dans les mœurs russes, puisque 88% de la population soutient Poutine et plus de la moitié des citoyens juge nécessaire de pénaliser l’homosexualité, d’après un sondage de l’institut Vtsiom. En somme, 12% de sympathisants à la cause LGBT en Russie, 12 petits pourcents de personnes désormais privées de parole, comme l’affirment ces couples de lesbiennes photographiées par Anastasia Ivanova.

Kate et Nina : « En public, nous essayons de ne pas cacher nos sentiments, et nous sommes déterminées à nous tenir la main et nous embrasser librement. Mais la situation des droits des homosexuels en Russie est mal partie. La façon dont nous vivons fait de nous des hors-la-loi. »,
From Russia with Love, série photo d’Anastasia Ivanova.
Une voix leur est heureusement offerte à l’international, où les réactions vont quasi-unanimement à l’encontre de cette décision, non seulement en raison de la violation de la liberté d’expression que cette législation induit, mais aussi en vertu de l’incitation à l’intolérance qui découle de la lecture des amendements. Ainsi, Amnesty International qualifie cette loi de « clairement discriminatoire » ; Human Rights Watch y voit « une violation flagrante de l’obligation juridique internationale de la Russie de garantir la non-discrimination et le respect de la liberté d’expression » ; le gouvernement canadien ne mâche pas ses mots en déclarant que cette loi est « mesquine et odieuse » ; Obama, pour sa part, est catégorique, il n’a « aucune patience pour les pays qui tentent de traiter les homosexuels ou les lesbiennes ou les personnes transgenres de façon à les intimider ou à les mettre en danger ».
 L’organisation des Jeux Olympiques de Sotchi 2014 est donc questionnée, puisque la Russie, pour accueillir cet évènement, se doit de respecter la Charte olympique, qui veut que « toute forme de discrimination à l’égard […] d’une personne fondée sur des considérations de race, de religion, de politique, de sexe ou autre est incompatible avec l’appartenance au mouvement olympique », d’où la subite tempérance de Poutine évoquée en début d’article. Face à cela, les campagnes solidaires abondent, à l’instar de la Human Rights Campaign, qui met en avant des célébrités gay-friendly arborant un t-shirt clamant fièrement et en russe : « L’amour peut vaincre la haine ».
Jamie Lee Curtis, Ricky Martin et Wentworth Miller, pour la Human Rights Campaign, sur Instagram.
 
Également remarquable, cette campagne de la Fondation Émergence va même jusqu’à créer sa propre promotion des Jeux de Sotchi 2014. Vous avez dit provoc’ ? Peut-être, mais dans ce cas-ci et tout comme Brecht, on pense que « la provocation est une façon de remettre la réalité sur ses pieds ».
Campagne Sotchi 2014 de la Fondation Émergence
David Da Costa
Sources:
Lemonde.fr
Huffingtonpost.fr
Fondationemergence.org
Crédits photos : From Russia with Love, photographies d’Anastasia Ivanova.

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