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Société

Stop Harcèlement de Rue permettra-t-il de rester civil sur toute la ligne ?

100% des femmes ont déjà été victimes de harcèlement sexiste dans l’espace public. C’est le constat saisissant qui a déclenché une tempête médiatique en cette semaine internationale contre le harcèlement de rue. Du 13 au 19 avril 2015, bon nombre de militant-e-s antisexistes sont allé-e-s à la rencontre des passants et pouvoirs publics afin de les sensibiliser à l’ampleur du harcèlement sexiste et aux impacts profonds que celui-ci a sur les femmes. La visée est simple : faire comprendre aux hommes et aux femmes que le harcèlement de rue n’est pas anodin et qu’il ne saurait être cautionné sous couvert de fatalisme. Est-il réellement envisageable de mettre fin au harcèlement sexiste dans l’espace public et semi-public, alors qu’il est l’une des manifestations les plus évidentes de la mainmise du patriarcat sur notre société ?
100% des femmes touchées par le harcèlement sexiste, un constat #Plutôtsympa
Sifflements, regards lubriques, attouchements, agressions sexuelles : la totalité des femmes y ont été confrontées au moins une fois dans leur vie. Et dans la moitié des cas, les victimes sont mineures lorsqu’elles subissent leur première agression sexuelle ou harcèlement sexiste. Voilà le réjouissant constat du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (le HCEfh) qui constitue le premier rapport institutionnel sur le sujet, commandé par la Ministre de la Santé, Marisol Touraine et la Secrétaire d’Etat chargée des Droits des femmes, Pascale Boistard. Rendue ce jeudi 16 avril, cette étude a l’effet d’une douche froide. Pour les hommes comme pour les femmes,  l’heure est à la prise de conscience d’un fléau qui fait partie intégrante du quotidien de la moitié de la population : le harcèlement de rue. Le rapport est ici.
Afin d’éviter tout haussement de sourcils suspicieux aussi mal venus qu’un tweet de Sophie de Menthon –nous allons y venir–, convenons dès à présent de l’acception de l’expression « harcèlement de rue ». Le harcèlement de rue définit les comportements adressés aux personnes dans les espaces publics et semi-publics, visant à les interpeler verbalement ou non, en leur envoyant des messages intimidants, insistants, irrespectueux, humiliants, menaçants, insultants, en raison de leur sexe, de leur genre ou de leur orientation sexuelle. Ces approches, que certains pensent flatteuses, poussent en réalité les femmes à craindre de stationner dans la rue ou les transports, à éviter certaines lignes, à changer leurs habitudes vestimentaires voire leur démarche ou encore à éviter tout contact visuel avec le sexe opposé. Pas étonnant donc que le tweet polémique de la chef d’entreprise et ancienne participante aux Grandes Gueules Sophie de Menthon, « 100% des femmes seraient « harcelées » quotidiennement. Ne pas tout confondre : être sifflée dans la rue est plutôt sympa ! », ait engendré un petit bad buzz. Immédiatement, les internautes ont repris ironiquement le hashtag #plutotsympa en faisant part de leurs expériences douloureuses, tandis que politiques et journalistes lui réépondaient que les femmes se passeraient bien de ce type d’interpellations.
Voici un petit schéma de ce qui est #plutotsympa et de ce qui ne l’est pas, issu de l’excellent Projets Crocodiles.

 
Une stratégie de communication rondement menée
A l’occasion de cette semaine internationale contre le harcèlement de rue, le collectif Stop Harcèlement de Rue a considérablement intensifié son action de sensibilisation. La quasi-totalité des médias ont parlé au moins une fois de ce sujet, que ce soit sous la forme d’une tribune du collectif (Mediapart, à lire ici), d’un billet en réponse au dit tweet plutotsympa (France Inter) ou de témoignages (les chaînes de télévisions nationales, par exemple). Leurs actions jouent sur un fort potentiel viral : partage de nos propres expériences, partenaires de « soirées réussies » avec le label « bar sans relou » inauguré à Lille, détournement des affiches de la RATP qui prônent le civisme dans les transports en commun ou encore application pour téléphone.

Plus récemment, Stop Harcèlement de Rue a lancé, avec l’agence BETC, l’application « Hé », qui vise à sensibiliser au harcèlement de rue en en reproduisant l’expérience. La finalité de celle-ci est que les témoins de telles scènes aient le réflexe d’intervenir. Son fonctionnement est expliqué dans la vidéo ci-dessous.

Les initiatives mises en œuvre au cours de cette semaine ont réussi à tirer à elle une couverture médiatique d’une ampleur inédite à propos de ce phénomène. La prise de conscience est en marche, l’information des témoins potentiels concernant les réactions à adopter aussi. Pour autant, il n’est pas de révolution qui ne passe par un changement de vocabulaire et, s’il le faut, par l’invention de terme adéquats.
« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ». Le harceleur : agresseur ou simple « relou » ?
L’enjeu de ces actions est de mettre un terme à la banalisation des comportements sexistes oppressants. Or en centrant sa communication autour de l’expression « relous », le collectif Stop Harcèlement de Rue décrédibilise son propos. Dire que le harcèlement est le fait de « relous », c’est le rendre paradoxalement marginal. Le harcèlement de rue est l’expression d’une domination masculine et de l’appropriation par un genre de l’espace public dans lequel les femmes sont uniquement de passage, toujours en mouvement. Ainsi terrasses, bancs publics, stades sont-ils majoritairement occupés par des hommes. C’est ce qui rend légitime les mesures gouvernementales qui devraient être prises (ou du moins fixées) d’ici à la fin juin. Comment alerter l’opinion et les pouvoirs publics avec des termes aussi vides de sens que « relous » ?
Les harceleurs, agresseurs, frotteurs (petit nom pour désigner les hommes qui profitent de l’affluence des transports en commun pour se masturber sur les passagères) ne sont pas des dragueurs ratés mais des contrevenants au respect le plus élémentaire et à la loi, dont les agissements hostiles répétés engendrent une souffrance psychologique chez les femmes. Qualifier les agresseurs de « relous », c’est tirer un trait sur toute hypothèse de poursuite judiciaire, et en fin de compte, normaliser ces comportements. L’utilisation de ce terme, enfin, en s’éloignant du vocabulaire juridique, contribue à brouiller la frontière entre séduction et violence. Nommer les actes, c’est les reconnaître et permettre la prise de mesures. Cela conduirait notamment à l’évolution des mentalités chez les hommes comme chez les femmes, contrant ainsi la tendance à la culpabilisation des victimes et au slut shaming (« elle l’a cherché, elle n’a qu’à se respecter elle-même en s’habillant correctement »).

Le phénomène de harcèlement de rue est suffisamment difficile à désigner, de par son aspect hétéroclite, sans le décrédibiliser par des enjeux communicationnels futiles. L’action des associations est en voie de faire évoluer les mentalités, grâce à la couverture médiatique d’une ampleur inédite et à la démarche des pouvoirs publics. Mais face à un phénomène systématique que la société persiste à minorer, peut-être faudrait-il commencer par nommer ces agressions…
Pour se faire une idée sur le harcèlement quotidien que subissent les femmes :


http://projetcrocodiles.tumblr.com/
Louise Pfirsch
@: Louise Pfirsch

Sources :
stopharcelementderue.org
liberation.fr
youscribe.com
konbini.com
Crédit image :
projetcrocodiles.tumblr.com
stopharcelementderue.org
Crédit vidéo :
stopharcelementderue.org