Société

TAFTA/ CETA : les Canadiens sont-ils des alliés économiques "plus cool" pour l'Europe?

Alors que le CETA vient d’être signé après sept longues années de négociations sans avoir connu de vague médiatique notable avant coup, le TIPP -ou TAFTA- voit sa signature toujours reportée, et apparaît de façon récurrente dans les médias comme un mal à éviter, en négociations pourtant depuis trois ans. En quoi réside la différence de traitement de ces deux accords, dont les dispositions ne semblent finalement peut-être pas si différentes ?
Le CETA, accord économique et commercial global entre l’Union Européenne et la Canada signé dimanche 30 octobre dernier, semblerait avoir été négocié sans réelles frictions. Pourtant, comme le TIPP, ou TAFTA, il est de ces traités internationaux favorisant le libre-échange et préférant la libre concurrence à l’exercice des souverainetés nationales, ce qui déplaît fortement à leurs défenseurs comme à ceux de la conscience environnementale. Et ce fameux TAFTA, négocié depuis 2013 entre les Etats-Unis et l’Union Européenne a été contesté de toutes parts – à tel point que sa signature initialement prévue avant la fin du mandat de Barack Obama en janvier 2017 n’est plus si sûre, ou du moins définitivement écartée de ce délai.
Alors que les médias européens évoquent le plus souvent le TAFTA comme un accord contraire aux principes européens et ont tendance à militer contre sa signature, le CETA, quoique présenté comme controversé, est évoqué comme un accord nécessaire.
Différence de fond ou de forme ?
La première interrogation naturelle, est celle du fond. Les dispositions du CETA sont-elles moins contraignantes que celles du TAFTA, et les considérations environnementales sont-elles protégées ? Le document n’est pas des plus faciles à lire, 521 pages complétées par 1000 pages d’annexes avec pour ligne directrice l’application des principes et obligations fixées par l’OMC. Il en ressort cependant de façon relativement claire, que tout comme le TAFTA, il favorise l’industrialisation de l’agriculture en supprimant les droits de douanes, qu’il est incompatible avec la transition énergétique et la lutte contre les bouleversements climatiques, qu’il réduit le rôle des services publics, affaiblit les exigences en terme de qualité de l’alimentation et va à l’encontre des politiques de soutien et de préférence aux acteurs économiques locaux.
Comment expliquer la différence de traitement des deux, notamment le soutien de l’exécutif français du CETA et son rejet du TAFTA ?
L’avantage de poids du CETA, c’est que ses négociations ont été plus équilibrées : les Européens ont accepté d’élargir leur quota de viandes bovines et le Canada d’ouvrir ses marchés publics et de reconnaître les Appellations d’Origine Contrôlée européenne. Deux points non négociables pour les Etats-Unis jusque là, qui refusent également la solution proposée par l’Europe -et acceptée par le Canada- d’un tribunal permanent dont les audiences seront publiques.
Au-delà des différences de fond, un traitement différent attaché à des puissances qui n’ont pas la même image.
Les Etats-Unis constituant le 1er partenaire commercial de l’Europe, il semble compréhensible de voir que l’UE a plus de difficultés à établir des compromis qu’avec le Canada, qui n’est que son 12ème partenaire commercial.
 Mais on peut également voir la différence de poids dans la contestation du TAFTA, du moins dans les médias, en partie justifiée par la différence d’image que les deux pays diffusent en Europe.
En effet, le Canada diffuse l’image rassurante d’un libéralisme progressiste, surtout depuis la mise en place du gouvernement de Justin Trudeau. Fortement engagé en faveur de l’immigration, il a également  pris l’initiative de cesser les frappes contre l’Etat islamique pour lutter contre le djihadisme localement, respecte la parité, se revendique féministe et défend des projets tels que la légalisation de la marijuana et l’aide médicale à mourir. À l’inverse, les Etats-Unis souffrent toujours de l’image caricaturale de superpuissance voulant imposer ses règles et ses normes capitalistes, surtout auprès des militants écologistes et de ceux défendant le commerce local, ainsi que ceux de la souveraineté nationale. Inquiétude d’ailleurs non atténuée par les enjeux de l’élection américaine et de l’avenir du pays, du moins du point de vue de ses politiques économiques et étrangères.
Il peut être amusant de noter que ce contraste d’imaginaires peut se retrouver ne serait-ce que dans les intitulés des deux traités : CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) – intitulé inspirant beaucoup plus de flexibilité et de sympathie, que le plus sobre et commercial TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership).
Carole Ferrandez
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Sources :
– Aude Massiot et Estelle Pattée, LE CETA: quels impacts pour les Européens et les Canadiens, Libération , 18 octobre 2016
– Delphine Simon, TAFTA : quelles différences avec le CETA, France Inter, 27 octobre 2016
– Adrien Pécout, Colin Folliot et Manon Rescan, CETA : qui est pour et qui est contre en France, Le Monde, 1er novembre 2016
– LEXPRESS.fr avec AFP, Traité Tafta : pour la France, à ce stade, « c’est non » dit Hollande, L’Express, 3 mais 2016
– Raoul Marc Jennar, CETA-TAFTA, des traités jumeaux pour détruire la souveraineté des peuples, Mediapart, 24 septembre 2014
– Site officiel du collectif national unitaire stop TAFTA
Crédit image :
altermonde-sans-frontiere.com

TAFTA
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Dans la boîte noire du TAFTA, il y a …

Vous êtes un As de la fouille de terrain pluri-médiatique ? Vous avez reçu un catalogue des acronymes internationaux pour votre anniversaire ? Félicitations : la probabilité que vous ayez déjà entendu parler du TAFTA est non nulle.
Pour les autres, au risque de vous décevoir, le  »taffetas » dont nous parlons est loin d’être aussi soyeux que le tissu… Le Traité de commerce Transatlantique ou TAFTA, est un projet d’accord entre les États-Unis et l’Union Européenne, dont le but manifeste est de faciliter les échanges commerciaux entre les deux parties, notamment par le biais de l’harmonisation des normes. Ainsi dit, le projet semble promettre limpidité et efficacité. Bien loin d’être aussi franc et univoque en soi, de nombreuses dimensions de ce projet sont discutables, à la fois sur le plan démocratique, moral ou environnemental. Fort d’un double silence démocratique et médiatique, le projet évolue dans l’ombre.
Le TAFTA, Kézako ?
Le principe même du TAFTA consiste à achever la dynamique de libre-échange existant entre les Etats-Unis et l’UE, en mettant la priorité sur la facilitation du procédé de l’échange lui-même, et non sur d’autres aspects comme la qualité des biens & services échangés.
Les arguments avancés pour justifier la légitimité du TAFTA ont évolué dans le temps, l’un chassant l’autre quand celui-ci s’avérait réfuté : des retombées positives sur la croissance dans l’UE (…+0,05% du PIB européen pour la prochaine décennie), des créations d’emplois (qui seraient plutôt une « destruction massive d’emplois » selon Attac), une aubaine pour les PME (démenti par Attac entre autres)… Une communication qui peut sembler plutôt maladroite de la part de la Commission Européenne.
Les négociations devraient majoritairement aboutir au choix de lois moins contraignantes pour les multinationales et les banques. Ce faisant, les mesures de prudence prises dans l’Union Européenne concernant les effets néfastes, scientifiquement prouvés ou potentiels, de certains produits ou de certaines pratiques, pourraient désormais être abolies concernant l’agriculture intensive, les OGM, l’utilisation massive du gaz de schiste par exemple. Beaucoup de notions controversées qui pourraient pourtant devenir une réalité pour les européens dans un avenir proche.
Le silence démocratique
Un projet d’ampleur donc, illustré par le fait que le beau bébé va bientôt fêter ses 4ans. Mais si les négociations avancent sur le sujet, les enjeux démocratiques de représentativité et de justice demeurent.

Alors que les négociations se déroulent à huit-clos, la Commission européenne affiche un procédé de négociations « clair et transparent » sur Twitter, donnant ainsi un accès public à des documents… intégralement rédigés en anglais. L’occasion de se remémorer l’article 15 du traité sur le fonctionnement de l’UE, promettant « la participation de la société civile » et un « principe d’ouverture. ».
Les pays européens ont accepté en juin 2013 par mandat d’être représentés par des commissaires européens, nommés par les eurodéputés. Cependant, on peut regretter la faible ouverture du procédé à une multiplicité d’acteurs concernés par ce traité, puisque les négociants proviennent à 90% de la sphère économique. Le mystère entourant ces négociations est tel, que Julian Assange, fondateur de Wikileaks, a promis une récompense de 100 000 euros à quiconque ferait fuiter le document.
Dans le monde de l’après TAFTA, les États ont perdu toute souveraineté vis-à-vis des grandes entreprises : une clause instaure en effet le droit des entreprises à poursuivre les États s’ils estiment que certaines décisions institutionnelles constituent des obstacles à leur développement. Ce monde existe déjà : au Canada, où le NAFTA est en vigueur depuis 1994, des multinationales comme Lone Pine ou Monsanto ont obtenu gain de cause.
TAFTA : Une maille manquante au tissu médiatique
La visibilité médiatique, notamment télévisuelle, des enjeux du traité est plutôt mince. Pourquoi les effets cancérogènes de la viande ou la COP21 sont-ils préférés par les chaînes ? La faible exposition médiatique de cette cause pourrait s’expliquer par la lenteur du processus de négociation du TAFTA, inadapté aux logiques reines de buzz ou de coup médiatique.
Concernant les chaînes privées, leur dépendance vis-à-vis de grands groupes à l’activité fortement diversifiée comme Havas ou Bolloré peut avoir des répercussions sur leur programmation. Mais comment expliquer le silence des chaînes publiques ?
Nous remarquons que la chaîne Youtube « Datagueule », qui se saisit largement de problématiques actuelles comme le TAFTA, est réalisé en coproduction avec France Télévisions. Pourquoi ne pas défendre cette cause sur des chaînes grand public ? Le TAFTA est en effet majoritairement évoqué par des médias dont l’audience est restreinte et ciblée (Public Sénat, France Culture ou encore Mr.Mondialisation). La mise à l’agenda médiatique est pourtant une condition nécessaire au débat public.
Quoi qu’il en soit, le silence qui entoure le TAFTA est une aubaine pour les extrêmes de tous bords, à l’heure où l’Europe est tourmentée et remise en question par certains, à l’image de Philippe Loiseau, député européen Front National.

Le manque de transparence du procédé alimente les esprits conspirationnistes et nationalistes, qui jouent sur la confusion de l’UE et l’opacité des négociations du TAFTA pour promouvoir un repli sur la patrie. La mobilisation du Président du Bundestag en Allemagne souligne le silence des responsables politiques français notamment.
Dans tous les cas, qu’il s’agisse d’une frilosité politique, d’une dépendance des médias privés ou d’une résignation des médias télévisuels publics, le cas du TAFTA permet de penser le rôle majeur de la télévision dans la mise à l’ordre du jour des sujets dans l’opinion publique.
Fiona Todeschini
@FionaTodeschini
Sources :
Émission France Inter, « Le Téléphone sonne » de Nicolas Demorand. « Où en sont les négociations du TAFTA ? », jeudi 29.10.15 avec Elvire et Yannick Jannot
La Croix. Consulté le 29/11/2015 – http://www.la-croix.com/Actualite/Europe/Comment-les-commissaires-europeens-sont-ils-designes-2014-10-07-121761
Somofus, “TTIP/TAFTA et ses investisseurs tout-puissants”. https://www.youtube.com/watch?v=LLi4dej-nw
Datagueule, « TAFTA gueule à la récré – https://www.youtube.com/watch?v=zHK1HqW-FQ
Attac TV https://www.youtube.com/watch?v=-AXPpS5n_gE 
Boulevard voltaire – http://www.bvoltaire.fr/hildegardvonhessenamrhein/president-bundestag-se-rebiffe-contre-traite-transatlantique,215456
Traité sur le fonctionnement de l’UE, en ligne.
Crédits photos :
Comptes Twitter de Philippe Loiseau et de la Commission européenne
Photo de couverture : mr.mondialisation.org
Pour plus d’informations, consulter le site de la Commission Européenne, le site de Public Sénat, ou encore le site du Monde, comportant une rubrique consacrée uniquement au TAFTA.