Invités, Politique

Daniel Bougnoux parle communication, politique et terrorisme avec FastNCurious

Daniel Bougnoux, chercheur en sciences de l’information et de la communication (SIC), est l’auteur d’ouvrages majeurs dans la discipline comme La crise de la représentation et son Introduction aux sciences de la communication.
Dans cette entretien divisé en trois parties, il nous parle des SIC, du terrorisme et de sa médiadépendance et enfin de communication politique.
 

D. Bougnoux qualifie les SIC de « randonnée critique » il explique qu’il y a dans les SIC une volonté de s’écarter de la méthodologie tracée par d’autres disciplines. « Il y a la volonté de se confronter au hasard des événements » et l’idée que tout est bon à prendre pour réfléchir.
« Nous sommes des sujets de mondes propres ». Chaque porteur est facteur de transmission, prélève sa dîme sur le message qu’il a reçu, c’est à dire, au passage, le transforme ». « Tout ça fait partie d’une médiologie ». La médiologie fédère de nombreuses études, elle analyse ce qu’un médium fait à un message.
 

Les médias agissent comme une « caisse de résonance » des actes terroristes. Ils propagent l’onde de choc des actes terroristes. « Il y a médiadépendance du terrorisme et les médias trouvent un effet d’audience pernicieux dans les actes terroristes ».
Le journaliste va t’il relayer simplement ces actes ou alors utiliser un langage de prise de distance ? « Le propre de la terreur c’est qu’on n’a plus aucun recul, on a la face contre terre. » « Les messages sont reçus et traités par des sujets d’information qui doivent rester critiques, » ils doivent les élaborer en les recevant.
 

 
En 1996, Daniel Bougnoux écrit une Lettre à Alain Juppé. Il revient ici sur son contenu et l’éclaire à la lumière de la situation politique actuelle.
« Il [Juppé] avait une vision descendante de la politique où le chef d’Etat ou de gouvernement était en position d’avoir à expliquer des mesures, et les autres à les appliquer ou à les enregistrer. » « C’est une conscience que la raison est distribuée et non pas incarnée dans le chef et que la raison étant distribuée, seule une forme minimale de participation et de communication horizontale peut faire émerger des solutions éminemment politiques ».
Un message a de moins en moins de chance d’arriver dans la tête des gens de la même façon pour tous à cause de la multiplication des mondes propres.
« Le costume de chef de guerre de Francois Hollande lui va bien et il va bien, en général, à un chef d’Etat. » Cela peut rassembler la nation et faire du bien au pouvoir en place. « il y a actuellement un moment d’émotion qui rend le corps social moins fracturé qu’auparavant ». « Mais on sait à quel point ces états sont métastables ».
FastNCurious remercie Oliver Aïm qui nous a permis de réaliser cet entretien.

Com & Société

La peur par la communication: la méthode Daesh

Le terrorisme est un ensemble d’actes de violence qu’une organisation politique exécute à l’encontre d’une société, afin de la désorganiser et de créer un climat d’insécurité, de sorte qu’une prise de pouvoir soit possible. Le mot trouve ses racines étymologiques dans la France révolutionnaire du XVIIIè siècle. Il désignait alors la doctrine partagée par les partisans du régime de la Terreur. C’est donc dès l’origine un mot à connotation politique. Aujourd’hui, le terrorisme désigne des groupes politiquement formés et organisés tels que le groupe Etat Islamique et AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique), qui s’appuient sur une interprétation fondamentaliste du Coran, militant pour un Islam qu’ils considèrent comme pur, originel. Un prétexte pour mener le Jihad de l’épée, c’est-à-dire une lutte armée contre les infidèles, l’Occident, au nom d’une entité religieuse unique. Les méthodes du terrorisme au XXIème siècle utilisent aujourd’hui les mêmes recettes discursives qu’autrefois : instiller la peur, par les mots et les actes plutôt que de combattre frontalement ses cibles. Cette peur est instrumentalisée dans le but de soumettre les opposants et de faire adhérer à l’idéologie de potentielles recrues.
L’instrumentalisation de la peur par le discours politique
Selon Manuel Castells, dans Communication et Pouvoir, le discours et la violence sont deux instruments du pouvoir, utilisés pour asseoir une domination. Le discours permet de construire du sens, donc des valeurs, des intérêts, une idéologie à suivre. La violence est légitimée – du moins rationalisée par le discours produit. A l’inverse, le discours trouve un poids et un écho supplémentaire dans un appel à la violence. Le terrorisme passe ainsi par la communication et par les actes de violence afin d’introduire un rapport de domination vis-à-vis des populations ciblées, ce qui leur donne l’ascendant dans la relation.
De plus, la cognition politique, soit le traitement des informations, est façonnée par les émotions. Les émotions fortes – et en politique tout particulièrement l’enthousiasme et la peur – renforcent notre attention. Ainsi, l’utilisation de la peur par les terroristes procède d’une tactique politique, poussée à son extrême par une communication menaçante et terrorisante et par des actes de terrorisme.
Dans quel but ?
La peur, oui, mais pour quoi faire ? Le but du terrorisme est, premièrement, la conquête physique de territoires sur lesquels étendre sa domination et, deuxièmement, la conquête des esprits et des cœurs. L’un ne va pas sans l’autre puisqu’il faut convaincre de nouveaux combattants qui aideront sur le terrain. Ces deux objectifs sont d’ailleurs mentionnés dans le discours du 4 juillet 2014 d’Abu Bakr Al-Baghdadi, le leader du groupe Etat Islamique. Adressé à tous les musulmans du monde, ce discours les incitait à rejoindre le « nouveau califat » et à faire allégeance au groupe.
Le but d’une communication axée sur la peur est de soumettre les populations visées, de susciter leur peur, pour paralyser mais aussi de diffuser leur idéologie et de recruter. Le terrorisme est donc très dépendant de la communication. Ce qui compte en effet, n’est pas tant l’acte terroriste en lui-même, que la diffusion et la médiatisation de la terreur. Comme au théâtre, la présence du spectateur est essentielle pour propager l’histoire. C’est par ce biais que les groupes terroristes vont marquer les esprits et créer la paralysie, liée à la peur de la mort, nécessaire pour anéantir toute réflexion, toute révolte.
Une guerre psychologique
La réussite du groupe Etat Islamique à convertir au-delà de leur zone d’influence tient en partie à leur utilisation de tous les moyens de communication actuels. Ils sont présents sur tous les supports : Internet, télévision, print, grâce à leurs propres canaux d’information et aux réseaux sociaux. Certaines agences de communication islamistes radicales comme As-Sahab ou Al-Boraq, créées par Al-Quaïda diffusent leurs messages. Le groupe Etat Islamique édite et diffuse plusieurs magazines dont Dabiq ou Dar Al-Islam, littéralement « domaine de la soumission à Dieu », écrit en français.
La propagande djihadiste passe avant tout par les images : les photos glorifiant les combattants et les vidéos mettant en scène des exécutions sommaires. Cette théâtralisation est particulièrement flagrante avec la vidéo mise en ligne en juillet de la mise à mort publique de soldats syriens au sein de l’amphithéâtre de la ville antique de Palmyre.

Les médias font partie intégrante de la stratégie du groupe Etat Islamique pour propager la peur dans nos sociétés, pourtant géographiquement éloignées de son territoire. Cette stratégie s’appuie sur notre fascination pour les images et le jeu du sensationnalisme chez les médias pour monopoliser l’attention et créer la sidération. Les actes terroristes trouvent ainsi un écho dans les médias, qui font résonner sur le long terme la portée de leur action.
Quand la terreur descend dans nos rues
Enfin, la terreur ne passe pas uniquement par les discours. Les groupes terroristes la font descendre dans nos rues. Les attentats touchent directement les populations et servent de rappel au discours jusque-là prononcé et mis en scène. Ils jouent sur l’effet de proximité. Les attentats sont des prises de conscience directes que la terreur n’est pas seulement formalisée, elle est aussi appliquée.
Les attentats s’appuient avant tout sur la symbolique pour marquer les esprits. Le lieu des attaques est choisi rationnellement par leurs auteurs : Charlie Hebdo à cause de ses portraits du prophète et Eagle of Death Metal, groupe qualifié de sataniste, véhiculant des valeurs négatives. Le symbolique ajoute une dimension supplémentaire à l’acte en lui-même, qui marque davantage les esprits. On retrouve également ce symbolisme dans les discours d’accompagnement : la manipulation des mythes arabes, des références religieuses (le Coran) et de références historiques (le retour au Califat, âge d’or de la civilisation arabo-musulmane). Les noms autoproclamés des terroristes et des membres des organisations sont également d’une grande importance. Par exemple, le chef suprême du Califat, a pris le nom d’Al-Baghdadi. Il s’agit d’un titre accordé à l’élève qui a suivi un cursus d’études religieuses à l’Université de Bagdad, un titre qui lui donne sa légitimité. Enfin, la couleur
funeste du noir choisie pour leur tenue et leur drapeau de ralliement fait également partie de la stratégie de communication de propagation de la peur, associée à l’obscurité qui effraie.

Ainsi, la stratégie de communication des groupes terroristes tels que Etat Islamique se résume en quelques mots : diffuser la peur au-delà des zones d’influences directes (Irak et Syrie) afin de recruter de nouveaux membres et paralyser les sociétés occidentales. Cette stratégie n’est pas seulement abstraite puisqu’elle passe également par des actes terroristes. Non seulement ces groupes terroristes veulent que l’Occident les craigne, mais ils souhaitent également désagréger nos sociétés en propageant la peur de l’autre et notamment celle des migrants en provenance des zones de conflits, des musulmans et des personnes d’origine arabe. Cette peur-là fait donc partie de leur stratégie : y céder signifie céder à leur idéologie.
Julie Andréotti
Sources :
Les Inrocks, Pourquoi la lutte contre Daesh doit d’abord passer par les mots, 26/11/2015 
Aleteia, Le Grand entretien (1/3): Alexandre Del Valle: « Daesh veut provoquer un syndrome de Stockholm généralisé en Occident, 2/12/2015
RT France, Daesh: une exécution massive à Palmyre, 5/07/2015
Télérama, la vidéo: arme de communication massive de l’État Islamique, 2/12/2015
Le Figaro, l’Etat Islamique a une identité de marque très travaillée, 18/02/2015 
L’obs, Daesh, la propagande de la terreur, 7/03/2015
Le Monde, Au procès du cyberjihadiste Al-Normandy: « pour moi, ce n’était que des textes », 6/03/2014
Huffington Post, Daesh: la terreur par l’image, 17/02/2015
Mediapart, Les rouages de la communication terroriste: comment comprendre les enjeux de la terreur, 25/11/2015
Youtube, France 24, Quels sont les principaux messages du discours du chef de l’EI Al- Baghdadi ? 
Crédits photos: 
Le Figaro 
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