Société

La guerre de l’access prime time

R.I.P #Morandini. Le PAF est en deuil depuis l’arrêt de l’émission « #Morandini – Télé, people, buzz » sur NRJ 12. Avec moins de 1% de part d’audience, l’émission n’aura pas même tenu le cap du mois de septembre et aura été la 1ère victime de la bataille qui fait actuellement rage sur la tranche du 19h 21h. Pourquoi cette case du 18h – 20h, appelée access prime-time est-elle si stratégique pour les chaînes de télévision? FastNCurious vous livre les quelques éléments nécessaires à la compréhension des enjeux au cœur de cette bataille cathodique.
Pourquoi l’access prime time est si important ?
L’access prime-time est une case particulièrement stratégique dans la mesure où il s’agit d’une des plages horaires les plus regardées. C’est donc sur cette case qu’il est possible d’attirer les annonceurs et ainsi d’augmenter le prix de vente de l’espace publicitaire à la seconde. Or, en 2005, lorsque les chaînes de la TNT ont fait leur apparition sur nos écrans, ces dernières ont décidé de casser les prix de leur espace publicitaire afin d’attirer les annonceurs. Face au succès de cette stratégie, les autres chaînes n’ont eu d’autres choix que de s’aligner sur ces nouveaux tarifs. Si cette politique a été favorable aux annonceurs, elle a créé un réel manque à gagner pour l’ensemble du panorama télévisuel français. Aujourd’hui, plus que jamais, il est donc primordial pour les chaînes d’asseoir leur audience sur la case de l’access prime-time afin de continuer à attirer les annonceurs et assurer ainsi une source de revenu cruciale en temps de crise[1].

La « Grande Famille » Canal
Jean-Marc Morandini écarté[2], deux groupes restent dans la bataille. D’un côté Canal+, de l’autre France Télévisions. Le Grand Journal –émission phare de Canal+- a été au cœur des discussions estivales. Tout le monde y est allé de sa critique sur le retour d’Antoine De Caunes y compris Cyril Hanouna -animateur vedette de l’émission Touche pas à mon poste et concurrent frontal du Grand Journal – qui estimait que cette décision était « très très mauvaise [3]». Si Touche pas à mon poste réalise de bons scores d’audience depuis la rentrée (autour de 6%), la nouvelle formule du Grand Journal peine, quant à elle, à trouver son public. Malgré les différents qui les opposent, Hanouna et De Caunes œuvrent au succès du même camp puisque la chaîne D8, sur laquelle est diffusée Touche pas à mon poste, appartient au groupe Canal+.

France Télévisions passe à l’attaque
Face à ces deux émissions on retrouve sur France 5, C à vous présentée depuis début septembre par Anne-Sophie Lapix[4]. Le pari était risqué tant Alexandra Sublet était parvenue à apposer, au cours des six saisons précédentes, sa marque de fabrique à cette émission. Bien qu’elle doive encore trouver ses marques, Anne-Sophie Lapix réalise de bons scores (autour de 4% de part d’audience) et s’inscrit dans la continuité de la stratégie mise en place par Sublet dont les maître-mots étaient convivialité et complicité.
Avec cette émission, France 5 en profite pour affirmer les bases posées par sa dernière campagne de communication lancée en juillet dernier et qui rompt avec une image jugée parfois « intello » et froide, afin d’affirmer le ton décalé de la chaîne[5]. Par effet ricochet, ce positionnement a pour but de dynamiser l’ensemble du groupe France Télévision. Et les débuts victorieux d’Anne-Sophie Lapix sont de bon augure pour l’arrivée de Sophia Aram, sur France 2, avec son émission Jusqu’ici tout va bien, à 18h00, sur une case jugée particulièrement compliquée à faire décoller.
L’ambition de C à Vous est de parvenir à chasser sur les terres de Canal+. Et lorsqu’Anne-Sophie Lapix interroge Michel Denisot sur la concurrence entre Hanouna et De Caunes, ce dernier lui répond que « comparer Touche pas à mon poste au Grand Journal, c’est comme comparer Rires et Chansons à France Inter ». Heureux hasard puisque Patrick Cohen, animateur star de la matinale de France Inter est également intervieweur sur le plateau de C à vous et qu’entouré d’Anne-Sophie Lapix, ils semblent bien prêts à récupérer les téléspectateurs déçus de Canal+.

 Angelina Pineau

[1] Source de revenu d’autant plus cruciale pour France Televisions qui ne peut plus gagner d’argent grâce à la publicité après 20h.

[2] Rassurez-vous quand même, il reviendra sur NRJ 12 pour présenter l’émission « Crimes ».

[3] #espritdefamille http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2013/06/18/hanouna-de-caunes-au-grand-journal-une-tres-tres-mauvaise-idee_3432250_3236.html

[4] Ancienne de Canal + et actuellement en procès contre le groupe suite à son départ de France 5 pour non-respect de son contrat d’exclusivité

[5] Ladite campagne, à mon sens particulièrement réussie http://www.ozap.com/actu/france-5-lance-une-campagne-de-pub-a-l-occasion-de-sa-nouvelle-signature/447960/m1#scrolldown  

 

Société

TNT : « Il y en a un peu plus, je vous le mets ? »

 
Et de 21. Avec la mise en place aujourd’hui de 6 chaînes supplémentaires diffusées via la TNT, chaque téléspectateur pourra désormais avoir le choix entre 21 chaînes, sans compter les 6 chaînes généralistes traditionnelles. Un plus grand choix pour un public lui aussi grandissant : en France, ce sont 16,3 millions de foyers qui sont équipés d’un décodeur TNT. Seulement en contemplant ce choix, on peut se poser la question : une telle abondance, n’est-ce pas trop ?
Une première expérience TNT en cours
La chaîne féminine Chérie 25 (NRJ Group), la chaîne familiale 6ter (du groupe M6), la sportive L’Equipe HD 21, celle dédiée aux fictions HD1 (du groupe TF1), la chaîne de documentaires RMC Découverte HD 24 (du groupe NextRadioTV) et celle de la diversité Numéro 23 diffuseront donc prochainement via de nouveaux canaux de la TNT. Mais l’expérience TNT est évidemment plus ancienne, les premières chaînes datant de  2005  (BFMTV, Direct 8, Gulli, i-TELE, NRJ12, NT1, TMC, Direct Star et W9). Or ces chaînes, selon le rapport effectué en 2011 par le CSA ne sont elles-mêmes pas encore rentables. Michel Boyon constate : « Malgré une croissance rapide de leur audience, les nouvelles chaînes privées gratuites reposent encore sur un équilibre financier fragile. »
Les 6 nouvelles chaînes ne prévoient pas elles non plus d’être rentables avant un horizon assez lointain. En effet elles ne seront pleinement déployées sur tout l’espace métropolitain qu’en 2015, et l’abondance entraîne et entraînera une dispersion de l’audience. Les objectifs d’audience sont donc revus à la baisse : entre 0,5% et 1% pour Chérie 25, 1% pour Numéro 23 et 1,6% pour 6ter. HD1 table sur 1,9% en 2016 et RMC découverte sur 2% en 2018, alors que L’Equipe vise selon ses déclarations  « les 1,3 à 1,4% à terme. »
La mise en concurrence : un réel danger
L’arrivée de ces « nouvelles de la TNT » se fait également dans un contexte perturbé. Cela inquiète aussi bien les grandes chaînes généralistes (pourtant faisant partie pour certaines de l’aventure) que les pouvoirs publics. La plus grande peur est que la division de l’audience déclenche une division du marché publicitaire, alors que celui-ci est déjà dans un contexte difficile.
C’est pour cette raison que TF1 et M6 ainsi que le groupe France Télévision s’étaient élevés contre l’autorisation de la diffusion pour ces nouvelles chaînes (le problème du marché publicitaire est encore plus aigu pour France Télévision qui doit jongler avec l’interdiction de publicité après 20H) En effet, si tout se passe comme en 2005, cette concurrence risque de nuire progressivement une nouvelle fois aux chaînes généralistes, qui accusent le coup à la fois sur le marché de l’audience et celui des annonceurs.
L’autre grand point d’interrogation est l’effet de cette concurrence sur le contenu des programmes. Selon Aurélie Filippeti (ministre de la Culture et de la Communication), qui, en juillet, avait également critiqué le lancement de ces chaînes, le succès de ces nouvelles chaînes dépendra «de leur qualité». «Ces nouvelles chaînes [devront] contribuer à améliorer la diversité de l’offre», a-t-elle rajouté. Or force est de constater que ce n’est pas toujours le cas. Michel Boyon dans son rapport sur l’avenir de la TNT déclare même que  « l’on constate une insuffisante diversité de leur programmation, ce qui pourrait amener à dire que la concurrence n’a pas encore vraiment bénéficié aux contenus. ». Et il faut bien reconnaître qu’en regardant ne serait-ce que la programmation de la première journée de diffusion, celle-ci n’inspire pas confiance : une rediffusion de Julie Lescaut sur HD1, dès demain des rediffusions d’Une Nounou d’enfer sur 6ter…
Seules quelques chaînes proposent de l’inédit, et souvent des séries américaines à succès, certaines d’attirer du public, comme Community sur Numéro 23.
Un problème physique : la télécommande devient petite
Un autre problème que posent ces nouvelles arrivantes est leur place dans la numérotation des canaux qui leur sont accordés. En effet, la TNT étant numérotée juste après les chaînes généralistes, cela fait reculer de 6 crans supplémentaire les canaux des chaînes locales sur la télécommande. Tant et si bien qu’y accéder ne sera plus aussi simple qu’avant, le numéro dépassant à présent bien la dizaine. Et les syndicats de s’insurger : « Ce 12 décembre marque le mauvais coup porté aux télévisions locales avec le lancement d’une nouvelle numérotation injuste et pénalisante » (TLSP et Les Locales TV)
 Alors qu’elles procurent une réelle information et de proximité, ces chaînes seront en effet pénalisées par une difficulté supplémentaire à leur accès. On comprend que l’attribution de canaux plus faciles d’accès (entre 20 et 25 sur la télécommande) est un enjeu important. Cela nous rappelle également que même si l’on cherche à effacer le support physique, l’objet télévision et l’objet télécommande, ceux-ci ont toujours un grand effet sur la médiation.
Enfin, une dernière remarque peut nous conduire à associer ces nouvelles chaînes à un trop plein : celui de la réception du public. En effet,  seulement 61% des Français sont au courant de leur arrivée et 57% de ceux informés du déploiement de ces nouvelles chaînes sont incapables de citer une des six chaînes, selon un sondage réalisé sur internet par Vivaki auprès de 1.000 personnes entre les 3 et 9 décembre. Il faut donc se méfier : si la diversité et le choix sont pour beaucoup synonymes de qualité et de plus grande satisfaction du téléspectateur, celui-ci pourrait aussi se retrouver noyé par trop d’options. Peut-être que désormais, proposer sans cesse davantage de chaînes n’est plus la solution.
 
Clément Francfort