Essentiel
Le Tour de France ? On ne va quand même pas faire un article sur le Tour de France. Le Tour de France, c’est long, le Tour de France c’est nul, le Tour de France, c’est une série d’après-midis très, très ennuyeux chez papys et mamys. Oui, peut-être, mais le Tour de France, c’est aussi et surtout des dizaines d’heures de télévision (publique), des centaines de pages de journaux, et des milliers d’amateurs, en France et à l’étranger. Du coup, ce sont aussi des sponsors en masse, et beaucoup de travail pour les agences de publicité et de communication en tous genres.
Convaincus ? Je continue, en tâchant tout d’abord d’éclairer un peu les raisons d’un tel succès. Première de toutes, le Tour est une épopée, une odyssée aux multiples pages et épisodes, faite de héros, de traîtres, de clans, de personnages secondaires, d’exploits et de défaillances. A chaque journée son rebondissement, son fait marquant, ses victoires et, logiquement, ses défaites. Et tout cela est narré en direct à la télévision, puis repris et commenté dans une myriade de médias onlines et offlines, spécialisés ou non. D’ailleurs, pour la touche de culture, l’épreuve a été créée en 1902 par un journal : L’Auto, ancêtre de L’Équipe, et c’est Amaury Sport Organisation, filiale du groupe propriétaire du même L’Équipe, qui organise désormais l’épreuve.
Ces histoires sont des mythes, des mythes sans cesse reconstruits, à l’identique ou presque, et porteurs de valeurs en apparence invariables : courage, solidarité et loyauté notamment. L’exemple tout récent de Pierre Roland, fustigé pour être parti à l’attaque alors que le peloton était bloqué derrière lui par des clous de tapissier sur la chaussée, le montre bien. Plus loin, ce même exemple met aussi parfaitement en lumière l’aspect narratif du traitement de cette compétition, et sa dimension transmédiatique. En effet, l’embryon de scandale ne s’est pas éteint avec les télévisions, les commentaires fusant encore en tous sens à cette heure, sur la toile aussi bien que sur papiers.
Le Tour fait communiquer en somme, et pas seulement de manière désintéressée bien entendu. Les marques y sont chez elles, sur les maillots, sur les bords de routes, sur les voitures, sur les podiums. A tel point que les équipes sont appelées d’après le nom de leur sponsor principal : Française des Jeux, Europcar, Rabobank, etc. Il importe d’essayer de comprendre ce qui est ici en jeu. En effet, l’objectif n’est pas de faire du buzz autour des marques en elles-mêmes, et des produits et services qu’elles désignent. Il ne s’agit pas non plus d’une simple opération de visibilité, visant tout juste à créer de la curiosité et de la notoriété. Non, l’engagement des marques dans le Tour de France est une opportunité pour elles de s’ancrer profondément dans le quotidien et les habitudes de milliers de Français. Pour nombre de ces derniers, le Tour de France est une tradition, un rite structurant en terme d’espace et de temps, en ce qu’il ré-énonce la géographie nationale, et le fait à dates fixes, durant un laps de temps précis et invariable. Par conséquent, pour les marques, y faire apparaître leurs couleurs, c’est l’opportunité d’en devenir partie intégrante, de se fondre dans cet espace sémiotique rassurant, normal, habituel, essentiel.
Problème, le Tour est aussi le lieu du scandale et du doute omniprésent. Dopage, dopage, entend-t-on dire des comptoirs de bars aux plateaux de télévision. La question n’est pas neuve et le problème plane en permanence sur l’épreuve, sans l’avoir pour l’instant réellement mise en danger cependant. Toutefois, les marques ont des raisons de se méfier. En effet, un tel niveau d’association n’est pas sans risque, ce dont l’affaire Festina témoigne bien. Non content d’avoir vu ses lettres associées à une équipe mise hors course pour dopage, l’horloger l’est désormais au dopage en général, l’affaire étant toujours emblématique quatorze ans plus tard. Tout récemment, l’arrestation et la mise en examen de Rémy Di Grégorio pour les mêmes raisons n’ont pas dû faire plaisir chez Cofidis, dont la marque est désormais citée à tout va… dans les rubriques judiciaires. Pendant ce temps pourtant, la Grande Boucle ne s’arrête pas, et les passionnés sont toujours aussi nombreux sur les bords des routes sinueuses des Alpes et des Pyrénées, comme s’il s’agissait bel et bien d’autre chose que d’un simple sport…