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Le Favela Tour : un Neverland pour touristes en quête de sensations

 
Stranger in Brazil?
Sur le belvédère où se tiennent les échoppes des artisans de la favela carioque Santa Marta, des Européens hagards, des Américains, des minibus quasi cuirassés, d’anciens trafiquants de drogue en chasuble et casquette qui s’improvisent guides touristiques et, en arrière-plan, une misère lissée et savamment mise en scène. La favela Santa Marta qui avait accueilli le roi de la pop Michael Jackson pour son clip « They don’t care about us » dans lequel ce dernier arbore un peace sign tricolore, logotype de OLODUM, un groupe afro-brésilien fondé en 1979 dont l’objectif est d’offrir à la jeunesse des favelas des alternatives culturelles comme le théâtre et la musique, rassemble aujourd’hui trois boulangeries et près de deux mille maisons en briques. Le processus d’urbanisation amorcé suite à la forte médiatisation de la favela dont on ne voyait que les toits des bocas de fumo est une prouesse, mais à qui profite cet apparent développement ?

They don’t really care about us, do they?
Si l’on se fie à notre tête de hibou fétiche, il y a bien une pratique touristique que nous ne pouvons ignorer et qui mérite ses quatre étoiles vertes et son certificat d’excellence 2014 : le favela tour ou encore Slum Tourism, popularisé en 2010 mais lancé en 1990 à Rio de Janeiro par Marcelo Armstrong. Les favelas, zones d’exclusion, de pauvreté et de non droit se sont progressivement transformées en parcours touristiques guidés et commentés dont le marché est partagé entre une dizaine de tour opérateurs.

Ces nouvelles pratiques suscitent sans étonnement des détracteurs comme des défenseurs. Certains vacanciers fatigués des voyages et des destinations trop classiques affirment trouver un intérêt à la visite d’une toute autre réalité du Brésil, convaincus que celle-ci génère des revenus pour la population et qu’elle pousse au développement de l’artisanat et des spécificités locales. La sinsscérité de cette démarche ferait presque oublier que les modalités des formules proposées par les tour opérateurs s’apparentent davantage à un safari humain qu’à un tourisme éthique et responsable. D’autres, (qui ne se privent pas de faire connaitre leur déception sur TripAdvisor, notamment) s’insurgent contre les organisateurs, reprochant la théâtralité mensongère du parcours.

Arrivée en Jeep 4×4 dans la favela de Rocinha, la plus grande favela de Rio de Janeiro. Première escale sur le marché où les touristes déambulent à la recherche de sensations fortes. Premier avertissement du guide : il est interdit de photographier parce que ce sont des points de vente de drogue. L’intrigue se poursuit plus loin, à l’angle d’une rue, où quelques jeunes derrière des stands portant l’écriteau « WELCOME IN FAVELA » tentent d’appâter le touriste avec des petites peintures et des objets qu’ils confectionnent. Un arrêt rapide à la buvette de la favela pour donner au touriste l’impression qu’il a rencontré un habitant et prenne avec celui-ci un selfie. Second avertissement du guide : il est interdit de photographier l’intérieur des habitats, vie privée oblige. Finalement, dernière halte, les écoles de la favela devant lesquelles posent les élèves, financées en grande partie par les favela tours. Confirmation qu’il s’agit bien d’un tourisme équitable. Beaucoup de ces formules sont dénoncées par les internautes qui n’hésitent pas à y consacrer des blog photos pour montrer la réalité d’une situation de misère inextirpable transformée en distraction touristique par la complicité des tour opérateurs et des pouvoirs locaux.

Who heals the world?
Qui seraient les grands gagnants de cette nouvelle pratique touristique ? Comment interpréter le fait que d’un coté, les favelas ne cessent de croitre et qu’elles sont, de l’autre, censées générer des revenus du slum tourism ?
La permanence des difficultés sociales des habitants de ces quartiers et les évolutions circonstancielles des modes d’action en matière de sécurité publique et urbaine s’apparentent à des stratégies de marketing territorial qui profitent aux grands promoteurs du projet et non pas à ses acteurs. Ce théâtre imparfait révèle un traitement injuste des espaces pauvres de la ville, une fausse redistribution des richesses ainsi que l’instrumentalisation et la distorsion de l’image de pauvreté sous l’effet d’un sensationnalisme toujours richement pensé. Le touriste auquel on accorde gracieusement des pouvoirs héroïques n’est en réalité pas moins passif et consommateur qu’il ne l’est dans les villages de vacances.
Pourquoi préférer les taudis misérables de Santa ou Rocinha qui a tout récemment inauguré, en son coeur, un centre d’accueil touristique, aux belles plages de Leblon ou d’Ipanema pour passer les vacances ? Depuis la Copa, ce nouveau tourisme prospère énormément. La réponse figurerait-elle dans le refrain du morceau de Bambi ?
Faire des quartiers insalubres un nouveau Neverland pour touristes en quête de sensations, l’aboutissement ayant déjà été prophétisé par Michael en 1995 :
« Everybody gone bad
Situation, aggravation
Everybody allegation »

Johana Bolender
@johbolen
Sources :
tripadvisor.fr
picturetank.com
lepetitjournal.com
Crédits photos :
tripadvisor.fr
theguardian.com
picturetank.com
viatorcom.fr
Video :
« They don’t care about us » Michael Jackson

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Le Canada se refait une beauté

 
On oublie souvent que le Québec est une province à part, et distincte à bien des égards, du Canada. Hasard ou volonté de se distinguer, le Québec et le Canada ont chacun lancé une campagne de communication territoriale ce mois-ci, visant à redorer le blason de leur destination touristique. Polyphonie ou cacophonie ? Les voix du Canada s’élèvent. Mais reconnaissons-le,  la période de novembre, prémices de l’hiver, n’est pas si anodine quand on sait que le Canada réalise la majorité de ses bénéfices touristiques sous la neige.
 
Les Canadiens s’expriment 
L’office du tourisme du Canada a lancé ces derniers jours sa campagne intitulée  « les Canadiens invitent le monde entier chez eux ! », aboutissement du projet de la Commission Canadienne du Tourisme (CCT), 35 millions de regards. Cet été, la CCT a confié aux Canadiens la mission de promouvoir leur pays en envoyant des photos et des vidéos de leur endroit préféré, de leur plat gastronomique favori, ou d’un autre sujet faisant foi de leur amour pour leur pays. Le résultat a été concluant, puisque plus de 6000 participants ont répondu à l’appel. Les 65 heures de vidéos reçues ont donné lieu à la création d’un spot de deux minutes.
Ces quelques minutes condensent toutes les régions touristiques du Canada, de magnifiques paysages, de nombreuses expériences sportives qui montrent la diversité du pays. Mais elles dévoilent aussi des images de montagnes russes, de plans divers sur des pieds humains, de glaces italiennes et de hot-dogs, ou encore de chiens, chevaux et autres animaux qui sembleraient faire l’originalité du Canada…
Est-ce à l’agence DDB ou à la Commission canadienne du tourisme qu’a été confiée la tâche de sélectionner les vidéos des participants ? Lorsque l’on sait, après avoir lu le communiqué de la CCT, que  « cette vidéo, présentée autour du globe dans des campagnes et autres initiatives de marketing, est également diffusée à grande échelle dans les médias sociaux, notamment par les Canadiens qui ont contribué au projet », on comprend mieux que ce projet a nécessité des compromis. En effet, on suppose, pour que la viralité et la diffusion sur les réseaux sociaux soient efficaces, que les Canadiens doivent se reconnaître et apprécier la vidéo.
L’originalité est donc formelle, et réside dans le principe, comme le souligne Greg Klassen, vice-président de la CCT : « Personne ne saurait mieux mettre notre pays en valeur que les Canadiens ». Mais, selon le rapport sommaire de la Veille Touristique Mondiale de 2011,  cette campagne de communication participative survient après l’absence de campagne publicitaire touristique en 2011 au sein du Canada. Et cette absence de toute publicité a fait chuter sensiblement la notoriété spontanée des Canadiens pour les voyages « intra-muros ». Ainsi à la recherche de viralité et d’efficacité, la campagne a l’air de viser deux cibles, l’international et le national, et ce à moindre coût. Finalement le résultat  donne plus le sentiment d’un éparpillement qu’il n’engendre un buzz.
De plus, même si la volonté démocratique est visible, elle n’en reste pas moins maladroite.  On se rappelle les campagnes de Swedish Institute et Visit Sweden en 2011, dans lesquelles  les deux institutions avaient mis en place le compte Twitter de la Suède, @Sweden, et laissaient la place aux internautes chaque semaine pour qu’ils s’expriment sur leur pays. La grande différence ? Les tweets ne sont ni censurés ni « choisis » ; on pouvait alors lire des avis déconseillant tel restaurant ou tel bar. La sélection détruit ici l’authenticité proclamée dans la campagne canadienne.

Le Québec joue sur les mots 
Le même mois, Tourisme Québec lance une vidéo publicitaire intitulée « Raconter le Québec » promouvant la région seulement.  Lorsque «  Les Canadiens invitent le monde entier chez eux » sur fond musical, « Raconter le Québec » se fait en français, du moins en québécois traduit en français.
Et pour le coup, leur cible est bien définie, et plutôt stratégique. La Veille Touristique Mondiale de 2011 publie des chiffres démontrant que le Canada jouit d’une forte notoriété dans les marchés européens, et c’est la France qui enregistre les meilleurs résultats. Mieux encore, lorsqu’on demande aux Français quelle est la région qu’ils préféreraient visiter s’ils allaient au Canada, 89% d’entre eux répondent le Québec. Ainsi, Tourisme Québec a décidé de moderniser son image de marque par un nouveau logo-slogan : Québecoriginal, choix simple et judicieux puisque le mot original est compris en français et dans une dizaine de langues.
Le spot vidéo de cette campagne touristique a su tirer parti des recommandations de la CCT qui préconisait une perception  « plus près des traits de personnalité que le Canada souhaite associer à sa marque, en particulier des caractéristiques les plus dynamiques (sûr de lui, fascinant, jeune et plein d’esprit) et insistant davantage pour communiquer des impressions amusantes, énergiques et fascinantes ».
Dans la vidéo « Raconter le Québec »,  la narratrice évoque, non sans le fameux accent, les particularités du Québec et ses anecdotes. Ainsi les Québécois sont « tellement de bonne humeur dans la vie qu’ils ont le seul nom de ville avec deux points d’exclamation, Saint-Louis du Ha ! Ha ! » et autres incongruités de langage qui font rire tant de Français. L’autodérision prime donc dans la première partie du spot, mais, après un ultime trait d’humour, défilent sur un ton poétique les images du Québec que l’on connaît et affectionne.
 La réussite de cette campagne est de pouvoir capter l’attention des Français par un jeu subtil de stéréotypes dans la première partie (les anecdotes racontées ne sont pas les plus connues), tout en montrant de l’originalité dans la seconde. En effet, là où on s’attendait à voir (seulement) les énièmes images de montagnes enneigées, on découvre aussi la vie nocturne et les événements du Québec, en simplicité : «  Chez nous, on crie dehors, on trip dehors, on fait du sport dehors, on joue dehors, on dort dehors, et puis on danse dehors ». Finalement, ça change des publicités touristiques qui ne nous montrent que des paysages sur fond musical. Le pari est réussi, c’est plutôt énergique, du moins ça ne nous endort pas.

Avec ces deux campagnes simultanées, le Canada s’offre une visibilité internationale manifeste. Mais, lorsque l’on s’intéresse aux communications régionales du pays, on n’est pas non plus en reste. Il s’agit d’un phénomène prolixe au Canada, et qui a du succès. Les Français sont donc cordialement invités outre-Atlantique, bien qu’ils n’invitent pas beaucoup en retour…
Marie-Hortense Vincent
 
Sources
http://fredericgonzalo.com/2012/06/18/nouvelle-image-de-marque-de-tourisme-quebec-original/
http://lareclame.fr/46459+canada »http://lareclame.fr/46459+canada
http://fr-corporate.canada.travel/content/news_release/35-million-directors-video
http://fr-corporate.canada.travel/sites/default/files/pdf/Research/Market-knowledge/global_summary_gtw_yr5_2011_fr.pdf