Publicité, Société

Les trans et la publicité commerciale : entre militantisme, image de marque et opportunisme médiatique

En tant que reflet supposé de nos sociétés, la publicité à le pouvoir d’orienter l’opinion publique par les représentations qu’elle propose. Ainsi, le recours plus fréquent dans les campagnes publicitaires à des membres de la communauté LGBT, en l’occurrence transgenres (personnes qui se sentent appartenir à un autre genre que celui que leur attribue leur état civil à la naissance) et transsexuels (personnes entreprenant des transformations physiques pour appartenir au sexe auquel elles s’identifient), est loin d’être anodin.
Souvent décriées ou au contraire applaudies, ces campagnes laissent rarement indifférent. On peut
dès lors interroger le rôle joué par ces récentes publicités et l’influence réciproque entretenue avec les évolutions sociétales.
Si ces campagnes apparaissent a priori comme l’un des symptômes d’une évolution des mentalités, leur pouvoir dépasse la simple fonction de miroir : ces publicités peuvent se faire le moteur des transformations positives de l’opinion aussi bien qu’elles peuvent alimenter les pires stéréotypes ou être source de confusion.
De la visibilité à la « normalisation »
Dans le cadre de sa campagne « Unlimited » sortie à l’occasion des JO de Rio 2016, Nike choisit le jeune athlète triathlonien Chris Mosier pour porter son message de marque dans un spot intitulé « Unlimited Courage ». Premier transgenre à intégrer l’équipe olympique masculine des Etats-Unis, Chris Mosier est avant tout mis avant par la marque pour ses performances physiques, sa détermination et sa capacité inspirante à repousser ses limites et non uniquement pour avoir transitionné de femme à homme. Cette campagne offre donc un regard neuf et valorisant qui, en donnant davantage de visibilité aux transgenres, permet de sensibiliser l’opinion à une question de société qui peine sortir du tabou.

 
Dans cette même optique, le choix d’égéries transgenres réalisé par des marques peut contribuer à une médiatisation positive des trans. Cela permet d’engager un processus de « normalisation » des trans dans la société, devenant plus présents, plus visibles et mieux représentés médiatiquement.
L’iconique campagne AW10 de Givenchy illustre cela parfaitement, mettant en vedette le mannequin transsexuel brésilien Lea T sans mettre pour autant l’accent uniquement sur sa transidentité.

De même, la marque canadienne de soins de la peau pour ados Clean & Clear a choisi Jazz comme égérie de sa campagne de 2015, une ado de 14 ans née dans un corps de garçon. Si ce choix peut sembler audacieux pour une marque grand public, il apparait tout à fait cohérent avec le positionnement de la marque dont le slogan est « See The Real Me » et l’objectif affirmé est d’accompagner les ados dans leur construction identitaire et l’acceptation de soi.

Enfin, on peut également penser à la surprenante et créative campagne réalisée par la marque Thinx proposant des protections hygiéniques novatrices répondant aux attentes de chacun. Intitulée « People with periods », cette campagne met à l’honneur un homme trans, le mannequin Sawyer DeVuyst.

Toutefois, les marques ne se contentent pas de servir la cause des transgenres en leur offrant un espace médiatique valorisant. Elles tentent en effet de marier leur image de marque avec les valeurs symboliques associées au choix de ces modèles encore atypiques. Etant le ressort même du marketing, ce mécanisme n’est pas en soi négatif, pourvu que le recours à des personnes trans reste cohérent avec l’identité de la marque…
Un buzz médiatique à double tranchant
Ces campagnes devenant quasi immanquablement virales, elles sont source d’une très forte audience (près de 3 millions de vues pour le spot Nike Unlimited Courage et 800 000 vues en cinq jours pour celui de Clear & Clean).
Dès lors, les marques ne seraient-elles pas tentées d’instrumentaliser le recours à des transgenres dans leurs publicités dans le simple but de « faire le buzz » ou pour tenter de capter, non sans opportunisme, une partie des valeurs progressistes, de tolérance, d’accélération de soi, etc. et de renvoyer une image de marque « moderne », « en accord avec son temps » ?
C’est du moins le sentiment que peut donner la dernière campagne de Google qui relate « The Story of Jacob and City Gym ». Ce spot de 2:30 minutes retrace le parcours de Jacob Wandering et sa transition, tout en vantant les mérites d’une salle de sport qui selon la propriétaire n’a pas pour but d’être « réservée à certains groupes » mais qui pourtant doit être « un véritable lieu d’appartenance ». Le message porté par Google apparaît assez confus, oscillant entre une certaine valorisation des transgenres et une présentation qui tend à les enfermer dans une catégorie « à part » plutôt qu’à normaliser leur statut au sein de la société. En outre, le lien entre cette histoire et l’objet du spot n’apparait pas clairement : on peine à comprendre qu’il s’agit d’une publicité pour le service « My Business » de Google dont le but est de donner plus de visibilité aux entreprises.
Le lien entre ce service et les trans est tout sauf évident.
On peut dès lors questionner la légitimité du recours à des transgenres pour cette publicité et se demander si ce n’est pas essentiellement le fruit d’une pure stratégie marketing…

Un opportunisme commercial loin de favoriser une évolution des mentalités
De nombreuses publicités semblent effectivement ne faire intervenir des personnes trans que pour pour surfer sur la vague médiatique que cela génère
En jouant sur un effet de surprise certainement déroutant car rompant avec le schéma typique de l’univers automobile (une jolie fille sexy séduisant la gente masculine), la mise en scène du mannequin androgyne Stav Strashko dans le spot publicitaire de 2013 pour la Toyota Auris tend à décrédibiliser les transgenres. L’effet de surprise repose effectivement sur le fait que cette jolie fille, que l’on souhaitait tant voir se retourner pour pleinement en apprécier la physionomie, révèle finalement un torse plat d’homme… Ce spot laisse entendre que, ce trans n’est ni une « vraie » femme, ni un homme, ce n’est qu’un mauvais ersatz de la « bombe » habituelle des publicités automobiles. Ainsi, le personnage trans apparait comme un élément choquant et décevant.

Par ailleurs, le jeu plus ou moins fin sur des stéréotypes que l’on aimerait autant voir totalement disparaître ne s’arrête pas là. Certaines campagnes, et parmi les plus décriées, n’hésitent pas à se moquer des personnes trans à travers une jolie compilation de clichés et de stéréotypes rétrogrades, le tout en introduisant une grande confusion entre transsexuels, transgenres, non-binaires et travestis.
On peut notamment penser à la publicité pour tampons de la marque Libra. Suggérant qu’une femme trans n’est pas véritablement une femme, le spot a par la suite été clairement reconnu comme étant transphobe avant d’être finalement retiré des écrans.

Le clip publicitaire ayant été supprimé, il n’est plus visible que sur la page web suivante : http://www.gentside.com/
Ainsi, si une apparition plus fréquente des trans dans les campagnes publicitaires peut casser certains tabous, leur utilisation marketing semble moins favoriser une évolution des mentalités que contribuer à la perpétuation des stéréotypes.
Jouissant d’une influence non négligeable, les campagnes publicitaires font bien plus qu’accompagner les évolutions sociales. Par les représentations qu’elle propose des membres de la société, la publicité conserve donc le pouvoir d’orienter de manière plus ou moins insidieuse le degré d’ouverture des esprits.
Maïlys Vyers

linkedIn
Pour aller plus loin:
http://lareclame.fr/127660-magnum-travestis-competition-xavier-dolan

Culture Week – Des chats, des chiens, des enfants et des trans

Une publicité diffusée pendant Fierté Montréal choque la communauté trans [Le Devoir]


Sources :
« Nike’s Latest Ad Stars Chris Mosier, the First Transgender Athlete on a U.S. National Team Part of brand’s ‘Unlimited’ series », Kristina Monllos pour Adweek le 8 novembre 2016

« Un premier athlète trans en vedette dans une pub de Nike », Arti Patel pour The Huffington Post Canada le 8 novembre 2016
« Team USA’s Chris Mosier Is First Transgender Athlete Featured in Nike Ad », Mari Brighe pour Advocate, le 8 novembre 2016

« Find out the touching story behind Lea T’s Givenchy ad », Zing Tsjeng pour Dazed, le 8 novembre 2016

« Pour la 1ère fois, une ado trans est l’égérie d’une marque grand public », Ludivine D. pour La Réclame le 8 novembre 2016

« Thinx, la marque de protections hygiéniques, sort sa pub avec un homme trans », Juliette Von Geschenk pour MadmoiZelle, le 8 novembre 2016

« Meet the Gym Owner Featured in Google’s Transgender Ad », Suzanna Kim pour abc News, le 8 novembre 2016

« Une publicité retirée des écrans car elle se moquait des trans », Quentin Girard pour Libération, le 8 novembre 2016

 
 

Christine and the Queens
Société

"She wants to be a man, a man … She wants to be born again, again"

Ce n’est pas l’histoire d’une femme qui aurait aimé être un homme, comme le chante Christine and The Queens, mais celle d’un homme qui souhaite devenir une femme. Dans The Danish Girl sorti en janvier 2016, Tom Hooper retrace la vie de la pionnière du mouvement transsexuel, l’artiste danoise Lili Elbe. Et comment ne pas avoir eu vent de Bruce Jenner, le beau-père de Kim Kardashian devenu il y a peu Caitlyn Jenner ? Si les transsexuels et transgenres – oui, il y a une différence – sont remis à l’honneur et tentent de légitimer leur choix, leur style de vie, qu’en est-il dans la réalité ? En parlons-nous tant que cela et les connaissons-nous vraiment si bien ?
The Danish Girl ou l’ode à la transsexualité et à la féminité
Ce début d’année commence fort avec un film qui risque d’être l’un des plus marquants de 2016 : The Danish Girl. Le film raconte la vie de Einar Wegener, un artiste danois qui en se travestissant en femme pour servir de modèle à sa femme Gerda Wegener, devient Lili Elbe. Prenant goût aux costumes et à l’attitude féminine, Lili se sent prisonnière de son corps masculin et décide de changer de sexe. Nous sommes en 1930 et la première femme transsexuelle est née. 86 ans plus tard, ce film nous interroge sur notre connaissance et notre position face aux transsexuels : Tom Hooper met en exergue la difficulté pour un homme ou une femme d’oser assumer sa véritable identité sexuelle et force est de constater que le sujet a encore une résonance terriblement actuelle en 2016.

Sa sortie fait également écho au tapage médiatique qui n’a de cesse depuis l’été 2015 autour de Caitlyn Jenner et de la couverture de Vanity Fair. Résonance médiatique d’autant plus forte que Caitlyn, ancien athlète, fait partie du clan extrêmement médiatisé des Kardashian. Rappelons tout de même que même s’il lui a fallu de l’audace pour s’assumer aux yeux du monde, Caitlyn ne s’est pas reposée sur ses lauriers et a lancé sa propre émission : I am Cait… diffusé sur E ! News, qui, malgré une faible audience, aurait permis à Caitlyn de toucher plusieurs millions de dollars. Alors, volonté de démocratiser l’image des transsexuels ou promotion de soi à la Kardashian ?
Précisons d’ailleurs que, bien évidemment, Caitlyn possède des mensurations parfaites : alors que de nombreux sites de mode vantent la diversité des femmes et non l’existence d’un type idéal, un homme qui décide de changer de sexe prend soin de ressembler à « la femme parfaite ». Pourtant, la volonté des transsexuels est d’être en adéquation avec leur corps et leur identité, et pas nécessairement avec un stéréotype. Le débat est sans fin…

L’art et la musique : refuge de ces oiseaux de nuit ?
Bien que le cas de Caitlyn Jenner soit l’expression –très médiatique et controversée- d’une volonté de normaliser les transsexuel(le)s, il n’en demeure pas moins que les mentalités ont toujours semblé méfiantes quant aux transgenres, les associant bien souvent aux bas fonds des grandes villes.
Toutefois, remercions 1968 qui a permis la libéralisation des mœurs et quelques années plus tard le développement du mouvement punk à New York, Londres et Paris, où se mélangent à la fois artistes, jeunes, homosexuels et transsexuels. Les chansons se veulent antihomophobies et antitransphobies. Des artistes comme David Bowie jouent eux aussi sur le côté androgyne de leur personnage, ou sur le flou autour de leur sexualité : ni homme, ni femme, juste soi. Christine and The Queens reprend ces idéaux dans, par exemple, sa chanson « Paradis Perdus », qui raconte sa rencontre avec des drag queens à Londres.
D’autres au contraire, conscients du malaise qui gravite encore autour de la transsexualité, décident de se cacher : c’est le cas de Caroline Cossey qui en 1981 joue une James Bond Girl dans Rien que pour vos yeux. Un tabloïd américain dévoilera des années plus tard que Caroline était en réalité un garçon à la naissance. Après cette révélation, l’actrice reconnaît avoir envisagé le suicide.
 

Une transsexualité à la mode ?
Aujourd’hui encore, les transsexuels souffrent d’une image de marginaux et les témoignages douloureux sont nombreux. Néanmoins dans la mode, lieu de culte de la beauté et de la tendance, les créateurs tentent d’afficher une certaine ouverture d’esprit en prenant comme mannequins des femmes transsexuelles : c’est le cas d’Andreja Pejic qui pose pour le magazine féminin Vogue, ou encore de Léa T pour Givenchy. Mais encore une fois, on peut interroger la sincérité des créateurs et des magazines : s’agit-il vraiment d’affirmer son soutien à la cause des trans en les faisait défiler et en leur permettant de s’assumer dans leur nouveau corps et identité, ou bien s’agit-il de faire la promotion de sa marque en montrant au monde entier que l’on est ouvert à ces pratiques qui sont récusées par beaucoup ?

En toute honnêteté, ne voyons-nous pas des femmes qui défilent ? Pour la majorité, il est impossible de savoir qu’elles étaient des hommes à la naissance, et nous ne pouvons qu’admirer leur beauté.
Et si la mode joue de plus en plus sur le non-genre et l’aspect unisexe de ses collections et qu’on pourrait penser qu’elle serait un moyen pour les transsexuels de libérer leur image et ainsi de « normaliser » leur choix, ne soyons pas dupes. On s’aperçoit bien vite qu’en dehors des projecteurs, cette acceptation est moins évidente et que l’on a davantage tendance à admirer un mannequin transsexuel, parfait, que ceux que l’on croise dans la rue jugés fantasques.
Si l’art et la mode permettent aux transsexuels de trouver grâce aux yeux du public et de faire accepter une certaine différence, les taux de suicide élevés et le mal-être lié au rejet de ces personnes nous prouve qu’il ne suffit pas de quelques stars et coups d’éclats médiatiques pour faire accepter pleinement la transsexualité, et qu’un travail de fond doit être réalisé par la société sur ses préjugés.
Ludivine Xatart
Sources :
Vanity Fair : http://www.vanityfair.fr/timeline-transgenres-popculture#a1950 : « Une histoire des transgenres dans la pop culture ».

Télérama : http://www.telerama.fr/musique/christine-and-the-queens-j-adorerais-etre-une-icone-gay,111590.php
Konbini : http://www.konbini.com/fr/tendances-2/avenir-mode-non-genre/ : « L’avenir de la mode réside-t-il dans le non-genre ».
MetroNews: http://www.metronews.fr/info/suicide-depression-une-premiere-etude-sur-les-souffrances-des-transsexuels/mnks!NHjNLWE0wAAlM/
Crédits images :
The BRCW Reviex
Boston Globe
planettransgender.com
www.hapersbazaar.com