Au secours, mon boulanger est devenu transparent !
Comme tout le monde, l’apprenti communicant fait sa vaisselle, ses courses et son ménage. Légère différence avec tout le monde, la bouteille d’eau de Javel ou l’emballage de son goûter préféré sont susceptibles de l’amener à de longues et fastidieuses méditations. Je passai ainsi pour un être fort étrange ce matin en allant acheter ma baguette de pain quand, au lieu de passer ma commande, je me trouvai éberlué par la vue d’un mitron travaillant au four juste derrière la vendeuse.
Plus précisément, ce n’était pas ce mitron qui était en cause, ni son travail, ni même le four, mais bien autre chose. Tout simplement en fait, je venais de réaliser que la boulangerie en bas de chez moi avait été convertie au culte de la transparence ! Quand on pense transparence, on pense bien sûr plus facilement à la finance ou la politique qu’à l’artisan du coin. Pourtant, la chose est ici indéniable, mon boulanger est devenu transparent.
D’une certaine manière, ça tombe bien. Ça permet de voir un peu mieux ce qu’est ce fameux concept, comment il circule, fonctionne et surtout dysfonctionne. Par exemple, je vois bien le mitron faire du pain, mais qu’est-ce qui me garantit que c’est bien le pain qui se trouve dans les panières devant moi ? De même, l’ouvrier est propre sur lui, son four a l’air nettoyé, le reste de son matériel aussi, pourtant rien ne me garantit qu’il suit les règles d’hygiène à la lettre et, ça je serais bien incapable de le voir.
Mais, quel est le rapport de tout cela à la communication, pensez-vous peut-être ? C’est justement que tout cela est de la communication. La transparence est un discours, un discours visuel ici, c’est-à-dire une mise en scène. On nous donne à voir le travail de l’artisan et on sous-entend ainsi : « on ne vous cache rien donc vous pouvez avoir confiance. » Problème, on ne peut pas ne rien cacher, il y aurait trop à montrer. Impossible de faire voir la semence de chaque grain de blé, la moisson de chaque épi, la mouture de chaque élément, toutes les étapes du travail du boulanger, etc. La transparence est impossible. Mieux ou pire, elle est un excellent moyen de ne montrer que ce que l’on veut montrer. Si je « joue la transparence » la journée dans mon atelier, il est plus facile d’y faire ce que je veux la nuit, puisque j’ai la confiance de mes consommateurs.
Le déplacement de la transparence vers des univers bien connus et relativement simples nous permet ainsi de comprendre comment elle fonctionne dans des mondes plus complexes. Fantasme de notre temps, peut-être né de la défiance, elle en génère à son tour. On n’a pas confiance en les institutions, alors on leur demande de nous montrer tout ce qu’elles font, mais elles sont incapables (et pas forcément désireuses) de le faire, et la défiance s’en trouve aggravée : « on ne nous dit pas tout ».
Un des défis des communicants de demain, et donc des apprentis communicants d’aujourd’hui, ce sera peut-être d’aider à sortir de la transparence et donc à rétablir la confiance. Sans prêter de pouvoirs magiques à la communication, on peut penser qu’elle aurait sa place dans une telle entreprise. Et, ce ne serait pas simplement l’occasion de se faire belles âmes mais aussi d’éviter de passer pour d’éternels vendeurs de vent.
Romain Pédron