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Catherine Deneuve et #BalanceTonPorc, le rendez-vous médiatique manqué

La tribune du Monde signée par cent femmes, dont l’actrice Catherine Deneuve qu’on ne présente plus, réclamant un « droit d’importuner » — qui serait consubstantielle à la liberté sexuelle — a déclenché un tollé chez les féministes, comme chez certains observateurs touchés par le scandale de l’affaire Weinstein. L’occasion pour nous, blog sur l’actualité de la communication, de nous pencher sur les ressors médiatiques de cette indignation et la manière dont elle s’est manifestée, notamment sur les réseaux sociaux.

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Harcèlement sexuel: ne nous taisons plus

Elles sont de tous bords politiques et incarnent toutes les générations, dix-sept femmes, ministres ou anciennes ministres, ont décidé, dimanche 15 mai, de dénoncer ensemble le harcèlement sexuel au sein de l’hémicycle dans les colonnes de l’hebdomadaire Le Journal du Dimanche. Cette réponse à l’affaire Denis Baupin n’est certainement pas du goût de tous, chez les hommes… comme chez les femmes.
L’élément déclencheur : l’affaire Baupin

C’est au lendemain de l’affaire Baupin que dix-sept voix se sont élevées ensemble. Denis Baupin, vice- président de l’Assemblée nationale et député écologiste est la cible de plusieurs de ses consœurs, qui l’accusent de gestes déplacés, voire de harcèlement sexuel. Les témoignages ont été recueillis par Mediapart et France Inter. Pour certaines, les faits remontent à plusieurs années, pourquoi alors une soudaine sortie du silence ?
Baupin lui-même aurait entraîné sa chute en publiant, à l’occasion de la journée internationale des droits des Femmes, une photo sur Twitter le mettant en scène avec plusieurs autres députés, arborant du rouge à lèvres pour « dénoncer les violences faites aux femmes » écrit-il en légende.
Le député fait là une criante erreur de communication, puisque les principales victimes de ses agissements ont vécu la photo comme une authentique preuve d’hypocrisie. « Cela a provoqué chez moi une vraie nausée » raconte Elen Debost, adjointe au maire du Mans, « On ne pouvait pas continuer à se taire ». Quelques mois plus tard, plusieurs femmes font éclater la vérité au grand jour et mettent des mots sur des actes parfois violents que le vice-président de l’Assemblée nationale leur aurait fait subir.
Le piège se referme sur Baupin, contraint, sur ordre de Claude Bartolone lui-même, de quitter sa fonction au sein de l’Hémicycle. Il conservera néanmoins sa place de député de Paris et, s’il le peut, sa dignité. En effet, l’intéressé, par le biais de son avocat, nie les faits et envisage même de porter plainte pour diffamation contre ses anciennes collègues du parti écologiste.
Sa compagne, l’actuelle ministre du logement Emmanuelle Cosse, avait préféré jouer « à la reine » du silence en coupant court à un débat sur le harcèlement sexuel qui avait été entamé à l’Assemblée.
Grave erreur car, malheureusement, ce refus de communiquer contribue à donner à son mari un air coupable.
Le changement, c’est maintenant
C’est une autre tournure que l’affaire Baupin prit dimanche dernier, elle s’étendit à toute la classe politique dès lors que dix-sept ex-ministres s’emparèrent du sujet. Le harcèlement sexuel fait figure de monnaie courante dans l’Hémicycle, expliquent-elles. Gestes déplacés, railleries, comportements inappropriés, actes sexistes, les femmes politiques se battent au quotidien pour une place que certains pensent non méritée. « La classe politique doit donner l’exemple » explique Nathalie Kosciusko Morizet à Laurent Delahousse sur le plateau du journal télévisé de France 2. Le but de cet appel est d’encourager les femmes issues de tous les milieux professionnels à se faire entendre et à dénoncer ceux qui se donnent le droit de les harceler. Le choix du support, Le Journal du Dimanche, n’est pas anodin, puisqu’il est le premier à être distribué aux PDG, lesquels ayant le devoir de se tenir informés et le pouvoir de lutter contre ces abus au sein de leur propre entreprise. Aujourd’hui, une femme sur cinq déclare avoir déjà été harcelée sexuellement sur son lieu de travail.
Les 17 signatures ne portent pas les couleurs d’une famille politique mais les représentent toutes, sans distinction. De gauche comme de droite, toutes ces femmes se sont unies, une manière de montrer que chacune peut mener la lutte contre le harcèlement sexuel au travail, peu importe son corps de métier ou la place qu’elle occupe dans l’institution qui l’embauche. Il faut pourtant croire que certaines ne rejoindront pas le mouvement. Pour preuve, Christine Boutin n’était pas de la partie et, pire encore, a affirmé via un tweet avoir « honte de ces femmes qui laissent entendre que les hommes sont des obsédés ». Ambiance.
Certaines autres femmes politiques reprochent aux dix-sept ex-ministres d’élever leurs voix trop tard, après des années de silence, alors même qu’elles avaient « les moyens de s’exprimer et de se défendre ». Bref, l’appel n’a clairement pas été entendu de tous, lui qui pourtant semblait incarner l’unité au-delà mêmes des familles politiques.
 

Tout reste encore à faire
Pourquoi alors la tribune peine à faire l’unanimité ? On peut évoquer deux raisons possibles à cela. Tout d’abord, l’absence d’hommes. En effet, aucun homme politique n’a signé la tribune. Et pourtant, eux aussi peuvent être témoins de harcèlement sexuel vis-à-vis de leurs collègues féminines, et prendre le parti de le dénoncer. François Hollande n’a-t-il rien à répondre à ces femmes qui décident de lever l’omerta ? Silence radio. La prise de parole, la dénonciation du geste, le brisement du tabou du harcèlement sont autant du ressort des femmes que de celui des hommes.
Surtout si l’on prend en compte le fait qu’eux aussi peuvent se retrouver à la place de la victime. Ils sont 7% à affirmer avoir déjà été victimes de harcèlement. Malheureusement, la prise de parole masculine sur le sujet reste très délicate, en témoignent les noms des associations d’aide aux victimes de harcèlement, comme Femmes solidaires ou encore Fédération nationale solidarité femmes… N’en déplaise à Patrick Juvet, on aurait envie de crier : où sont les hommes ?
Enfin, il est difficile de faire sortir les victimes de leur silence puisque pour la plupart d’entre elles, la dénonciation s’accompagne d’un licenciement en bonne et due forme. Pour en finir avec cette double peine, il faut agir au niveau de la loi. Or, si bien évidemment des propositions sont faites dans la tribune, telles que l’allongement des délais de prescription en matière d’agression sexuelle, la possibilité pour les associations compétentes de porter plainte en lieu et place des victimes, la création d’un référent ‘agression ou harcèlement sexuel’ dans les commissariats et gendarmeries, une meilleure indemnisation des victimes de harcèlement sexuel, à la fois par les auteurs condamnés et par leurs anciens employeurs quand elles ont été contraintes de quitter l’entreprise entre autres, il n’en reste pas moins que le chemin de l’acceptation et de la mise en application sur le terrain dans les années à venir risque d’être long et tumultueux.
On peut néanmoins considérer, avec cette tribune publiée le 15 mai dernier, que la prise de conscience a eu lieu et que les prises de position s’affirment au sein de la classe politique. Cette classe qui est précisément en charge des lois et qui a donc le pouvoir de faire bouger les choses.
Manon Depuiset
LinkedIn 
@manon_dep
Sources:
Libération, Harcèlement sexuel: «Nous ne nous tairons plus», disent 17 anciennes ministres, 15/05/2016
Le Point, Harcèlement sexuel : Christine Boutin a « honte » pour ses consœurs, 16/05/2016
Libération, Harcèlement sexuel : les hommes ne doivent pas se taire non plus, 15/05/2016, Johan Hufnagel
Crédits photo:
Le JDD
Twitter @Denis_Baupin
Twitter @christineboutin
 

Société

 Journalisme participatif et communication : le Club Med entre deux eaux

A l’issue de l’OPA la plus longue de l’histoire de la Bourse française (plus de dix-huit mois), le Club Méditerranée a été acheté, le 2 janvier dernier, par le conglomérat chinois Fosun. Si la décision de l’autre acheteur potentiel, l’homme d’affaires italien Andrea Bonomi, de retirer son offre a été saluée par la direction du Club et a suscité l’ire du Front National, ce sont les stratégies de communication à l’éthique douteuse mises en place à l’occasion de ce rachat qui nous intéressent ici. En effet, le Journal du Net a repéré sur plusieurs sites d’information en ligne (Challenges, Les Echos-Le Cercle, Mediapart, le Journal du Net lui-même…) des articles défavorables à l’offre de M. Bonomi, écrits non pas par des journalistes, mais par des contributeurs extérieurs à leurs rédactions sous la forme de tribunes libres.
Après enquête, le JDN a déterminé que ces tribunes étaient écrites sous de faux noms : leurs auteurs sont des prête-nom créés pour l’occasion, avec des profils LinkedIn ou Google+ et de faux diplômes. Il semble donc qu’une des parties prenantes de l’OPA ait tenté d’influencer les marchés en utilisant la désinformation. La tentative de désinformation, si elle est prouvée, pourrait faire l’objet d’un procès pour diffamation et faux et usage de faux, et d’une sanction de l’AMF qui contrôle les opérations boursières. Le propos de ce billet n’est pas d’accuser, qui plus est sans preuves, mais d’interroger à la lumière de cette affaire la pratique des espaces de libre expression sur Internet et les limites éthiques des relations publiques.

L’une des tribunes incriminées
L’expression libre, pour le meilleur et pour le pire
Pour les médias en ligne, les tribunes libres et autres blogs participatifs répondent à plusieurs objectifs : proposer des contenus plus nombreux et plus variés face à une concurrence pléthorique, donner la parole à des contributeurs experts sur des sujets pointus, intéresser leur lectorat par l’effet de proximité ou encore expérimenter des formes de journalisme citoyen. Comme l’illustre l’affaire du Club Med, ces formes d’expression sont plus vulnérables à la manipulation que les articles publiés par des journalistes, dont les auteurs sont connus, les sources vérifiées et qui mettent directement en jeu la crédibilité du média qui les publie. Mais pour l’usager des médias en ligne, il n’est pas toujours évident de différencier les deux types d’articles : Les Echos-Le Cercle ou les blogs du Journal du Net utilisent par exemple la même charte graphique que les articles de la rédaction de ces médias. En conséquence, les contributeurs invités profitent de la réputation du média qui les accueille, sans être soumis aux mêmes contraintes.
En outre, il est manifestement difficile pour les rédactions de contrôler l’ensemble des articles publiés sur leurs plates-formes participatives : la subjectivité de leurs auteurs est assumée, elle fait notamment partie intégrante de la forme éditoriale du blog. Dans ces conditions, et en particulier lorsqu’un article traite d’un sujet complexe, comment déterminer s’il est volontairement manipulateur ou seulement l’expression d’une opinion tranchée ? On peut supposer que dans l’hypothèse d’une manipulation, les rédacteurs, conseillers en communication rompus au style journalistique, soient habiles à camoufler leur intention trompeuse.
Relations publiques contre journalisme ?
La deuxième question soulevée par cette affaire concerne justement le rôle des relations publiques dans la production de l’information. Tout comme la publicité, pour capter l’attention et l’intérêt de ses cibles, cherche à adopter l’apparence de l’information ou du divertissement (le publi-rédactionnel en est un exemple), les relations publiques, qui promeuvent des intérêts politiques ou économiques, agissent avec davantage d’efficacité si les prises de positions qu’elles défendent sont relayées par des sources non intéressées, comme des journalistes, des blogueurs ou des experts. L’anonymat et l’identité virtuelle caractéristiques d’Internet permettent donc à des professionnels peu scrupuleux, comme le montrait une série d’articles du Journal du Net parue en 2013, de créer des experts fictifs qui bénéficient d’une présomption d’objectivité.
Mais cette pratique, outre sa légalité douteuse, est doublement néfaste sur le long terme aux professionnels de la communication. D’abord parce qu’elle nuit à la confiance des usagers dans les médias sur Internet, alors que ceux-ci souffrent encore d’un déficit de crédibilité notamment face à la presse papier ; mais aussi parce qu’elle court-circuite les journalistes, interlocuteurs privilégiés des relations publiques, accroissant leur méfiance vis-à-vis des métiers de la communication.
Emmanuel Bommelaer
 
Sources :
Challenges.fr 1 & 2
Journaldunet.com 1, 2, 3 & 4
bfmbusiness.bfmtv.com
Lemonde.fr
Tns-sofres.com
Lefigaro.fr

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