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Noter… Pratique qui se développe d’abord en entreprise où les salariés sont gouvernés par des objectifs, puis évalués. Ce qui était limité à l’entreprise s’est ensuite insinué dans la société civile. Les gens se sont appropriés ce moyen de donner son avis, et avec eux est née une société de notation. Le numérique a permis de servir l’ambition du consumérisme, fournir une évaluation indépendante des biens et des services proposés.
Agréablement surpris **** / Sympathique *** / Peut mieux faire **
Une émission, un hôpital, un restaurant, un pays, un appartement, un film, un livre, un conducteur, un musée, un professeur, un élève et même une route. Aujourd’hui, tout le monde a des notes. Ces notes sont en général distribuées sous formes d’étoiles et se déclinent de plusieurs façons : avis, commentaires qui eux-mêmes sont jugés utiles ou non. Et oui, les notes des notes existent. Et nous notons également ceux qui notent. Omniprésentes sur le web, mais aussi dans les magazines, les émissions, ces notes ont un pouvoir énorme. Mais pour quelle légitimité ? Être noté par quelqu’un qui ne nous a pas compris, qui n’a pas les mêmes goûts que nous, ou qui simplement, s’était levé du pied gauche ce matin-là, est une grande source de frustration. Mais c’est la règle : tout le monde peut noter et se faire noter à son tour. Ainsi, cette société de notation diffuse, et c’est là sa légitimité, une logique méritocratique et démocratique. Si je m’estime satisfait, je donne une bonne note. Je suis personne, je suis tout le monde, j’ai le droit de donner mon avis. Hormis quelques exceptions, ces notes sont d’une apparente objectivité. Très appréciées des internautes, elles représentent un idéal de vérité, une expérience de consommation, un petit oasis de justice dans ce monde avide de profit … Ces formes d’évaluations donnent lieu à l’amélioration de produits, les producteurs prenant au sérieux ces évaluations et essayant de satisfaire leur consommateur. Ainsi, les notes peuvent être le reflet d’une démocratie et d’une méritocratie poussée à l’extrême. Mais à chaque extrême sa dérive.
La guerre des étoiles
Certains milieux sont soumis à une grande pression et notamment l’hôtellerie et la restauration, dont les notes et les avis agissent directement sur leur bon fonctionnement (le célèbre guide Michelin a dévoilé il y a quelques jours ses nouvelles critiques et étoiles, qui feront la gloire ou non de quelques centaines d’hôtels et de restaurants). Dans tous les milieux, les notes ont des effets sur les ventes. Les systèmes de notations sont présents dans la majorité des sites de e-commerce et bouleversent certains secteurs comme le tourisme, obligé à présent de compter avec la prise de parole des consommateurs. TripAdvisor, par exemple, collecte et publie les avis et conseils de touristes et connaît un succès énorme.
Les notes sur internet deviennent le nerf de la guerre. Elles apportent à l’entreprise une publicité gratuite, lue et jugée véritable. Les meilleurs commentateurs, ces poules aux œufs d’or … Ce sont ces internautes qui laissent beaucoup d’avis et de notes positives. Les entreprises, présentes sur des sites comme Amazon (dix avis postés chaque minute dans le monde), ne les paient pas (ah l’éthique…) mais les couvrent de cadeaux. Elles s’offrent ainsi l’assurance d’une bonne publicité, pérenne, efficace et gratuite. Les notes apportent la gloire, la reconnaissance et le travail.
Ce pouvoir notable entraîne bien d’autres névroses. Les entreprises suppriment les mauvaises notes, en laissent des bonnes, engagent des cabinets d’e-réputation pour veiller à être toujours bien notée. Derrière la notation se cache un autre enjeu : la visibilité sur le web. Une bonne évaluation entraîne automatiquement une meilleure visibilité, synonyme de profit pour l’entreprise. Névrose contemporaine du rendre visible, logique perverse qui fait que nous recherchons la certification de la qualité plus que la qualité elle-même. Petit outil surprenant que les notes.
Surveiller, punir, noter …
La logique de l’évaluation va au-delà des sites marchands. Le fait de rendre visible des gestes, des actes ou des expériences par des notes entraîne tout à chacun dans une logique compétitive. Se sachant possiblement en danger, possiblement noté, et possiblement jugé, et sachant que cela peut être rendu visible, les entreprises repoussent leurs limites et s’engagent dans une course effrénée à la bonne note. Dans l’entreprise, les sanctions sont réelles et perceptibles : perte d’un travail, perte de confiance, redoublement à l’école. Sur la toile, et pour les autres entreprises, la sanction est plus insidieuse. Un hôtel ou un restaurant qui perd une étoile sur TripAdvisor sera moins bien répertorié et verra son chiffre d’affaire chuter, punis par les notes qui se révèlent être un instrument de tri, de hiérarchisation et de contrôle. Par exemple, sur l’application Uber, il est possible de noter les conducteurs et les clients en attribuant de une à cinq étoiles. Uber explique ce système par le fait que la notation permet de s’assurer que passagers et chauffeurs sont respectueux les uns des autres. Tout comme le conducteur peut subir des sanctions si ses avis sont négatifs, il peut également refuser la course d’un client ayant une mauvaise réputation … Surveillés et punis!
Notes : enfants d’une société malade ?
Ebay est le premier à reprendre ce système de notation pour l’appliquer à son site de vente en ligne, pour évaluer les vendeurs et avoir confiance dans l’achat. Le début de cette épidémie notoire est donc lié à la confiance, ou plutôt la méfiance. Globalisation, interconnexion, externalisation, délocalisation : des mots qui font toujours peur et qui font le nid du scepticisme. Si les notes connaissent un tel succès aujourd’hui, c’est parce qu’elles permettent a priori de s’assurer que la personne avec qui on est en contact – pour vendre, acheter, échanger – est fiable, bien notée. Et puisqu’on aime pouvoir se rassurer en choisissant un covoitureur cinq étoiles, on fait de même et on note. Certains moyens de notation restent secrets et parfois douteux, comme l’algorithme de Tripadvisor. Mais tout va bien, car tout le monde a en moyenne quatre étoiles sur cinq.
Victoire Coquet
Sources :
France Inter
Liberation
Crédits images :
Astronoo.com
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Ladepeche.fr