Politique

Cartographie des flux migratoires : mode d’emploi pour faire paniquer l’Europe.

Eté 2015. Depuis 4 ans, le Nord de l’Afrique et le Moyen-Orient sont en proie à des mouvements insurrectionnels violents qui nourrissent les flux migratoires vers le vieux continent. Au sein de l’Union européenne, c’est la cacophonie : tandis que la chancelière allemande Angela Merkel semble ouvrir ses bras aux demandeurs d’asile, les pays en première ligne comme l’Italie ou la Grèce développent une rhétorique de l’invasion qui finit par innerver l’ensemble des positions politiques de l’Union. Dans les médias, les expressions “crise migratoire”, “crise des réfugiés” ou “tsunami migratoire” se développent. Dans ce contexte, des cartes en tous genres se multiplient pour tenter de comprendre et représenter la gravité de la situation. Or, en s’appropriant l’objet cartographique, certaines institutions et acteurs de la société civile modifient en profondeur la réalité des phénomènes migratoires. Car la carte est un objet complexe ; outil scientifique à part entière, elle est surtout une production humaine qui demande à faire des choix et qui ne peut donc totalement s’extraire de celui ou celle qui la conçoit. A travers cet article, il s’agira de comprendre que la carte ne peut qu’offrir une vision subjective de la réalité, celle de son auteur. Par de multiples exemples et analyses sémiologiques approfondies, on tentera d’expliquer comment la carte peut alors devenir un objet communicationnel, véritable outil de propagande au service d’une idéologie particulière. Enfin, pour sortir de l’impasse, il faudra esquisser une “cartographie de l’attention” pour représenter les phénomènes migratoires à des échelles bien plus fines. La Carte ne peut offrir qu’une vision subjective des territoires qui déforme la réalité et influence nos représentations.  La carte ne peut par définition être qu’un outil d’interprétation du monde. Si elle se propose en effet de représenter la réalité des territoires à différentes échelles sur un support facilitant son étude, elle ne peut cerner dans toute sa complexité et sa diversité l’essence même de l’espace. Oeuvre d’un cartographe-géographe, elle est donc le produit de ses choix et offre la vision d’un territoire sous le prisme de son auteur. Prenons une carte du monde ; on y voit l’Europe en son centre. Est-ce à dire que l’Europe est le centre du monde ? Au contraire, le modèle eurocentré selon la projection Mercator ne permet-il pas de légitimer un discours de domination de l’Europe sur le monde en affichant une place de centralité sur de nombreux planisphères ?  Un détour par la Chine permettra de mieux fixer notre réflexion. Le pays cherche en effet depuis plusieurs décennies à devenir une véritable puissance en Arctique comme en Antarctique. Mais la tâche est difficile, l’Empire du milieu se situant à 4 500 kilomètres du pôle Nord et plus de 11 000 kilomètres du pôle Sud. Il s’agit donc avant tout de légitimer sa place dans la gouvernance de ces régions. Pour ce faire, la Chine a développé le concept d’Etat du “proche arctique” et propose, par des représentations cartographiques, une vision à son avantage de la réalité. Le travail de Hao Xiaoguang (Figure 1) permet ainsi d’afficher la Chine dans une position de centralité mais surtout en proximité directe avec les pôles, le pays faisant graviter l’Arctique et l’Antarctique autour de lui. Les routes commerciales passant par l’Arctique apparaissent même beaucoup plus courtes que celles plus traditionnelles passant par le canal de Suez ou le canal de Panama. La réalité est ici exagérée par une projection qui agrandit les distances en périphérie de la carte.       Figure 1. Source : Hao Xiaoguang, http://www.hxgmap.com/imag3/1106north.jpg Ainsi, la carte devient un véritable outil de communication au service d’une politique particulière. Afin d’asseoir sa domination ou toute autre idéologie, la représentation d’un certain espace sur la carte permet d’influencer nos représentations et de légitimer certains discours. Faire une carte, c’est donc avant tout faire des choix. Opter pour une projection, une échelle particulière, un type de figuré ou même un titre, c’est produire une vision d’un territoire, non sa stricte représentation. En érigeant la carte comme un objet scientifique et institutionnel, à l’image de celle de Hao Xiaoguang reprise notamment par l’armée populaire de libération comme carte militaire officielle, la Chine fait valoir une réalité déformée à son avantage. Elle rend acceptable ce que Jack Goody appelle la “distorsion de l’espace”, soit les déformations engendrées par la représentation cartographique et les différents modèles de projection. De fait, la projection Mercator, centrée sur l’Europe, déforme les territoires aux latitudes les plus hautes : si le Groenland semble plus gros que l’Afrique, il est en réalité 14 fois plus petit que le continent. En affichant des modèles de représentation du monde, la carte influence notre conceptualisation de ce dernier, sa perception dépendant de l’outil cartographique. Comment alors faire comprendre que l’Europe n’est pas le centre du monde quand toutes les représentations de notre monde en font son centre ? Et Si d’autres projections plus fidèles existent, le rôle communicationnel de la carte reste encore lui très prégnant, comme le montre la cartographie des flux migratoires en Europe. Un “tsunami migratoire” vers l’Europe ? Ainsi, à partir de 2011 et du déclenchement du Printemps Arabe, l’Union européenne se trouve en proie à l’une de ses failles institutionnelles : la gestion et l’accueil des réfugiés et des migrants. Les tentatives de législation sur le sujet sont fortement critiquées à la fois par des Etats qui souhaitent garder la main sur leur politique migratoire mais aussi par les pays qui se retrouvent en première ligne face à la hausse du nombre de demandeurs d’asile, notamment ceux du pourtour méditerranéen. En 2015, ce sont 1,2 millions de demandes d’asile qui sont enregistrées en Europe, un chiffre deux fois plus élevé que l’année précédente. Devant l’ampleur du phénomène, les discours se durcissent et la carte devient le symbole d’une anxiété généralisée pour illustrer la situation. Or ces cartes sont souvent trompeuses, voire délivrent de fausses informations dont les partis anti-immigration tirent profit. En qualifiant cette hausse subite de l’immigration de “crise migratoire” ou “crise des réfugiés”, les partis politiques et médias européens utilisent l’objet cartographique comme illustration d’un phénomène dramatique à résorber. Maniant à leur guise échelle de représentation, code couleur ou encore types de figuré, il produisent une version déformée de la réalité et véhiculent un sentiment de peur au profit d’une idéologie politique particulière : celle de la fermeture des frontières.  L’étude sémiologique des deux cartes suivantes, publiées pendant la prétendue crise, permet de mettre en lumière certains des arguments mis en évidence plus haut et lève ainsi le voile sur l’outil de propagande que peut être la carte. La première carte (Figure 2), au titre évocateur, a été réalisée par Alberto Lucas Lopez en octobre 2015 et récompensée par plusieurs prix. Elle se veut être une représentation de l’exode syrien, véritable “marée de réfugiés” selon les dires de l’auteur. Si la carte a le mérite de représenter des flux migratoires en dehors de l’Europe, elle délivre au premier coup d’œil une vision erronée de la réalité. En effet, si la légende indique une multiplication par 24 de l’échelle des flux vers l’Europe par souci de visibilité, la taille et l’emplacement de la notation la rendent quasiment illisible. Il semble alors qu’un pays comme la France a accueilli plus de réfugiés que la Jordanie alors même que cette dernière a effectivement accueilli 630 000 exilés en provenance de la Syrie en 2015 contre seulement 30 000 pour la France. Notons également l’importance du bleu, tant dans la représentation des mouvements migratoires que dans le graphique au bas de la carte. En faisant écho à la “marée” du titre, le cartographe laisse présager un tsunami migratoire vers l’Europe. En voulant produire un document pédagogique devant faciliter la lecture de la réalité, l’auteur contribue à la création d’une appellation erronée, celle de “crise des réfugiés”. Ainsi, des études ont montré que les ressortissants syriens constituent 0,13 % de la population des 28 en 2016, contre plus de 16 % au Liban par exemple. L’appellation de crise semble donc largement exagérée au regard des situations extérieures.   Figure 2. Source : The tide of refugees, Alberto Lucas Lopez Mais la grande majorité des cartes produites n’ont même pas le mérite d’étendre leur schématisation de l’espace et des dynamiques migratoires au-delà de l’Europe, participant ainsi d’une invisibilisation totale des autres flux migratoires, pourtant plus importants. C’est le cas de la deuxième carte sélectionnée (Figure 3), produite par Frontex, l’agence de surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne. Conçue en 2015, la carte représente l’origine des personnes entrées de manière irrégulière en Europe entre juillet et septembre 2015. Le jeu des couleurs est une nouvelle fois révélateur : au bleu symbolisant le havre de paix qu’est l’Europe se superpose le rouge représentant les flux migratoires vers le continent, couleur associée au mal et à la peur dans notre imaginaire collectif. La grosseur des flèches laisse à penser l’importance du phénomène, renforcée par l’absence d’échelle ou de flux migratoires autres que vers l’Europe. Enfin, comme dans la carte précédente, le choix des flèches fausse la réalité des trajectoires migratoires et laisse imaginer un voyage facile et direct, d’un point A à un point B. Ici, la production d’une telle carte répond à des objectifs politiques ; les institutions européennes cherchent à se légitimer par l’émission de cartes. En véhiculant une image faussée de la réalité et eurocentrée, Frontex produit un tableau anxiogène de la situation et contribue ainsi de la création d’une panique morale complètement déconnectée de la réalité. Elle parvient de par cette occasion à justifier l’importance des fonds qui lui sont alloués : contre la menace que représente la migration, Frontex entend bien mettre un terme à ce qu’elle considère comme une invasion. Figure 3. Source : Frontex Ainsi, on l’a vu, la cartographie obéit à des logiques contradictoires qui rendent flous ses objectifs et les motivations de son auteur. Si la carte semble être un objet scientifique de description des territoires, elle peut aussi devenir un véritable outil de propagande au service d’intérêts divers. L’enjeu contemporain des migrations permet de révéler les dérives de l’utilisation de cartes à des fins politiques afin de légitimer des institutions particulières au détriment d’une vision claire et limpide de la réalité. Parfois, au contraire, c’est la trop grande simplification de cette réalité qui amène à une distorsion du réel. Pour faire face à ces écueils et sortir de l’impasse, une autre cartographie est possible, celle de “l’attention”. Il s’agit d’appliquer la méthode cartographique à des échelle bien plus fines afin de mieux cerner certains phénomènes en privilégiant une “prise en compte du singulier” (Olivier Clochard). Ainsi, représenter les trajectoires individuelles des migrants ou des réfugiés permet de resserrer le lien entre la carte et la réalité. En faisant apparaître les détails du parcours, les arrêts ou les détours, le cartographe peut produire un véritable travail scientifique et dépasser les attributs communicationnels de la carte qui peuvent lui nuire.  Pour aller plus loin et étayer notre réflexion, on conseille l’excellent ouvrage de Camille Schmoll Les Damnées de la mer qui centre sa réflexion sur les femmes dans les migrations et insiste sur la nécessité de rendre visible les phénomènes migratoires dans toute leur complexité aux échelles les plus fines. On conseille également les excellents articles suivants qui ont contribué à la réalisation de cet article et qui sont disponibles sur Géoconfluences : Comment cartographier les circulations migratoires ? Quelques pistes de réflexion à partir du cas des exilés syriens (David Lagarde) ; Le concept de troisième pôle  : cartes et représentations polaires de la Chine (Olga V. Alexeeva et Frédéric Lasserre). Enfin, pour mieux cerner le contexte de la dite “crise des migrants” en Europe, on recommande le dossier Comprendre la crises des migrants en Europe en cartes, graphiques et vidéos disponibles sur Le Monde (Les Décodeurs). Martin Clavel
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Politique

Le Brexit, un échec médiatique et communicationnel

Quel a été le rôle des médias dans le vote du Brexit ? La campagne de communication des pro-Bremain a-t-elle été défaillante ? Un an et demi après le référendum et alors que l’heure est encore aux négociations, le rôle des médias et les campagnes de communication des pro-Bremain comme des pro-Brexit sont toujours pointés du doigt.
 La plupart des journaux britanniques doivent leur existence à un petit groupe de « barons de la presse » – des hommes d’affaires tels que Lords Beaverbrook, Northcliffe et Rothermere – qui ont fondé des journaux à but lucratif et politique et exigé qu’ils reflètent leurs opinions sociales et politiques. Un mythe ? Que nenni. En effet, en Grande-Bretagne, les médias sont très engagés et ont souvent influencé le résultat des élections et des référendums : une tendance qui s’est une nouvelle fois vérifiée lors du Brexit.
Une presse divisée au sujet du Brexit
Le paysage médiatique anglais était partagé sur le sujet du Brexit. Les opinions divergentes étaient perceptibles à travers le traitement de l’actualité. La presse pro-Brexit jouait la carte de l’insécurité et celle de l’immigration massive, en pointant du doigt la libre circulation des personnes dans l’Union Européenne, tandis que les médias pro-Bremain mettaient en avant l’incertitude économique si la Grande-Bretagne venait à quitter l’Union Européenne. Ainsi, à la lecture des journaux, les électeurs ayant choisi de quitter l’Union Européenne associaient les problèmes sociétaux (crise migratoire, politique d’austérité, difficultés du marché du travail…) à la présence de la Grande-Bretagne dans l’Union Européenne. Influencés par la presse pro-Brexit, les citoyens pensaient faire disparaître ces problèmes en votant pour.

Une prise de position engagée de la part des médias
Les convictions pro-Brexit de la presse britannique sont donc allées bien au-delà de la simple analyse, et de l’objectivité qui incombe à la presse. Ainsi, la couverture médiatique a en partie été biaisée par des préjugés et autres fake news… un processus déjà utilisé par le passé dans les journaux britanniques. Les journalistes auraient-ils délaissé la déontologie au profit de leurs opinions personnelles ? C’est en tout cas ce que laisse imaginer le traitement médiatique du Brexit. Les journaux anglais ont, par exemple, véhiculé des fake news au sujet du coût de l’adhésion britannique à l’UE et de l’adhésion de la Turquie à l’UE. Des informations inexactes rendues crédibles par leur médiatisation. Les médias pro-Brexit affirmaient, par exemple, que la Turquie rejoindrait l’UE d’ici 2020 tout en soulignant qu’il y aurait une migration illimitée provenant de ce pays et de ses voisins tels que l’Iran et la Syrie. De plus, les médias pro-Brexit ont accordé leurs unes à des fausses informations notamment en insistant sur les éventuels dangers qu’encourait la Grande Bretagne avec l’immigration : « Les migrants ne paient que 100 livres pour envahir la Grande-Bretagne », « 20 000 migrants prêts à envahir la Grande Bretagne », … The Mail a même été jusqu’à affirmer que les migrants étaient responsables de 700 meurtres par semaine, une information qu’il a été forcé de corriger tant elle était fausse. Il semble ainsi que les médias ont essayé de provoquer la peur des électeurs afin qu’ils la traduisent dans les urnes. Ce qui prouve que dans le discours politique « post-vérité », l’exactitude de ce que vous dites compte finalement moins que la force et la fréquence à laquelle vous le répétez.

 
Une méconnaissance globale de l’Union Européenne
Mais comment une institution aussi puissante que l’Union Européenne a-t-elle pu perdre l’un de ses membres les plus importants ? Comment une institution censée rassembler peut-elle aujourd’hui être aussi contestée et clivante ? Il semble que le manque de communication de l’Union Européenne sur son rôle justifie en partie le Brexit, les citoyens n’ayant pas été suffisamment informés sur l’Union Européenne et n’ayant pas véritablement saisis ses enjeux. Dominique Wolton dans son texte « Dix chantiers pour aider à penser l’incommunication en Europe » constate que la part de l’information européenne dans les médias est dérisoire, que les citoyens européens méconnaissent l’histoire de l’Union Européenne ou encore qu’il y a une méfiance envers la diversité culturelle. Il propose ainsi d’accroître le volume et la diversité de l’information sur l’Europe, d’enseigner la vie politique européenne dans toutes les écoles, de populariser l’histoire de l’Europe, ou encore de faire de la question des réfugiés un symbole de la solidarité de l’Union Européenne. Des propositions pouvant mener à un nouveau plan de communication efficace de l’Union Européenne afin d’éviter des situations telles que le Brexit.

Une communication numérique réussie
À l’inverse des pro-Bremain, les pro-Brexit ont réussi leur campagne de communication en misant sur le digital et en donnant le ton au débat sur les réseaux sociaux. Les nombreux partisans actifs du Brexit leur ont permis de dominer Facebook, Twitter et Instagram, influençant des foules d’électeurs indécis. Selon l’étude « impact of social media on the outcome of the EU referendum », les partisans du Brexit sur Instagram étaient cinq fois plus actifs que les partisans du Remain. De plus, les 3 hashtags les plus utilisés provenaient du camp du Brexit : #Brexit, #Beleave et #VoteLeave. Le message du camp du Brexit était ainsi beaucoup plus intuitif, direct et émotionnel, ce qui a facilité la propagation virale des idées pro-Brexit. En effet, les messages émotionnels se propagent plus rapidement que les messages axés sur des arguments rationnels ou économiques. Ainsi, l’erreur communicationnelle des pro-UE a été de ne pas dominer les médias sociaux. Internet a changé la nature des campagnes politiques et continuera à jouer un rôle clé dans les futures élections politiques.
De nombreux électeurs du Brexit semblent maintenant souffrir de ce qu’on appelle « Bregret ». En effet, ils ont voté pour quitter l’Union Européenne, et maintenant, ils auraient aimé ne pas le faire. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas vraiment compris les implications des choix offerts. Ce qui est si inquiétant, c’est qu’avec une meilleure communication des différents camps et un traitement médiatique plus neutre, les électeurs auraient au moins pu prendre une décision éclairée, quelque soit le camp qu’ils avaient choisi.
Sandrine Roul
Sources :

Abott James, Brexit : les prises de position engagées des médias britanniques, RTL, 23/06/2016, consulté le 01/11/2017.
Lessons From Brexit: How Not To Communicate Your Cause, Entrepreneur Middle East, 10/07/2016, consulté le 01/11/2017.
Polonski Vyacheslav, Impact of social media on the outcome of the EU referendum, EU Referendum Analysis 2016, consulté le 01/11/2017.
Malherbe Michael, Réflexions post-Brexit sur la communication de l’Union européenne, La Com Européenne, 13/07/2016, consulté le 01/11/2017.
Simon Hinde, Brexit and the media, Hermès, La Revue 2017/1 (n° 77), p. 80-86.
Dominique Wolton, Dix chantiers pour aider à penser l’incommunication en Europe, Hermès, La Revue 2017/1 (n° 77), p. 243-247.

Crédits photos :

Photo à la une : L’Express
Photo 1 : Reuteurs Institute fort the Study Journalism
Photo 2 : scoopnest
Photo 3 : Vyacheslav Polonski

Politique

Rêve-veillez-vous !

 
Lendemain des élections européennes, triste mine que fait la France. On s’indigne et on pointe les coupables du doigt : les abstentionnistes d’une part, les électeurs du Front National de l’autre.
Et il y a de quoi s’indigner en effet, lorsqu’en France, le parti d’extrême droite parvient à rafler le quart des sièges au Parlement Européen et que l’abstention atteint 56,50%.
Loin de moi l’idée de féliciter les extrémistes mais l’emballement médiatique qui s’empare de ce sujet m’exaspère. D’une part, les partis politiques, excepté le FN – a priori – , ne font plus rêver comme cela a pu être le cas jusque dans les années 1980. Relayée par les médias, l’aphasie ambiante enfle quotidiennement. Concernant l’Union Européenne d’autre part, la majeure partie des citoyens ne semble pas comprendre (même en cherchant) comment fonctionne le système et surtout, quel est l’impact de l’UE sur leur vie quotidienne. Au lieu de fustiger la partie de la population qui ne s’intéresse pas à la politique, ne devrait-on pas plutôt remettre en cause un système qui représente moins de la moitié des Français ?
Et cela est une question de communication, la question de communication majeure de notre génération peut-être : comment penser un système fondé sur le dialogue, c’est-à-dire un système où l’institution se fait comprendre du peuple qu’elle représente et inversement ?
Les vieilles recettes ne fonctionnent plus, tout est à réinventer aujourd’hui : de la forme des partis aux modes de suffrages.
Alors, profitons de ces résultats pour construire une Europe qui ressemble à ses Européens.
 
Mathilde Vassor
Crédit photo : susauvieuxmonde.canalblog.com
Source : Le Monde

Politique

Agir, réagir, accomplir

Trois petits mots pour mettre en branle toute la machine électorale européenne. C’est en effet ce slogan qui a été retenu dans le cadre d’une campagne de communication du Parlement Européen ; l’objectif est de mobiliser sur un scrutin encore largement ignoré par une grande partie de l’électorat. Pour preuve, un taux d’abstention qui oscille entre 55 et 60 %.
C’est également une réponse apportée par l’institution européenne à la montée du populisme de droite comme de gauche en Europe et à la crainte de voir surgir les extrêmes au cours de ce scrutin. Une telle campagne ne doit pas laisser indifférent : il est en effet remarquable qu’une telle distance subsiste entre les Européens et « leurs » institutions.
La campagne prend notamment la forme d’une courte vidéo, qui s’étale tout de même sur près d’une minute trente ; ce qui, à l’heure d’Internet, est diablement long pour une publicité.
On peut y voir une succession de situations rythmée par une voix off, rauque, qui juxtapose images fortes et mots évocateurs. Extraits choisis :
« Commencer » (Images d’un nourrisson)
« Mettre fin » (Démantèlement du mur de Berlin)
« Penser globalement » (Une salle de marché en effervescence)
« Penser localement » (Une femme tient une poule à bout de bras)
« Rêver » (Ce qu’on suppose être des clandestins qui tentent de rejoindre l’Europe)
« Changer » (Une immense déchèterie)
« Ne jamais changer » (Un berger qui mène son troupeau)
Au-delà de certaines scènes qui sont un peu troublantes (que doit-on comprendre en ce qui concerne les clandestins ?) il est admirable de voir que l’incarnation d’une pensée globale est, aux yeux du Parlement, une salle de marché. Cela s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans la politique libérale actuellement conduite par les institutions européennes.
Bien évidemment tout cela est noyé au milieu des clichés : penser local, c’est penser une poule ; ne jamais changer c’est être berger.
Sur cette tartine déjà bien chargée on ajoute tout de même une légère couche historico-idéologique avec le démantèlement du mur de Berlin, histoire de rappeler aux braves Européens un moment historique censé les unir tous.
Sauf que voilà, en dépit de toutes ces qualités, cette publicité ressemble à s’y méprendre à une publicité pour Total, Orange, EDF… Aucun format nouveau, des ficelles grosses comme le poing, rien de bien excitant, et probablement pas de quoi remédier à l’abstentionnisme qui rend si dérisoire les élections européennes.
Certains pourraient être tentés de faire remarquer que les citoyens sont libres d’exprimer leur désaccord vis-à-vis de la politique européenne justement en votant.
On objectera que les préoccupations des Européens paraissent parfois si éloignées des actions menées par les institutions européennes qu’on pourrait avoir du mal à savoir si c’est bien à nous de choisir plutôt qu’à eux.
Que l’on soit pro ou anti européen, il paraît évident qu’il sera difficile de faire croire à ceux dont on a volé un référendum qu’il leur reste du pouvoir.
Et voilà la vraie difficulté si l’on est opposé à la politique Européenne d’aujourd’hui : doit-on jouer son jeu et voter, ou l’ignorer et la subir ?

Oscar Dasseto