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Société

Après OKLM.COM, la tempête

 
En septembre dernier, le site OKLM.COM, élaboré par le rappeur Booba, a fait son apparition sur le net et a donné lieu à de nombreux teasing au sujet de son ouverture « imminente ». Mais depuis trois mois, les « pirates », fans du rappeur que l’on ne présente plus, demeurent dans l’attente. Le site se dédie à la découverte de nouveaux talents: sportifs, cuisiniers, humoristes ou encore musiciens sont invités à envoyer leur vidéo à destination du site dès lors que leur performance est « incroyable » selon les termes du rappeur.
L’objectif de OKLM.COM est bien de devenir un « média » tel que l’annonce Booba dans la vidéo d’accueil du site en reprenant un dispositif similaire au télé­crochet sur certains points.
Toutefois, il est nécessaire de rappeler l’origine du terme OKLM dans le vocabulaire du représentant des Hauts­-de-­Seine afin de comprendre les enjeux de l’arrivée d’un tel média dans l’univers du rap ainsi que de la communication. OKLM reprend l’expression « Au calme » sous forme d’abréviation désignant le bien­être, l’aise et le confort. Reprise par beaucoup de rappeurs, elle est directement assimilée au langage urbain puisque c’est dans l’argot français actuel qu’elle est née. Or, c’est en chanson que Booba l’a largement médiatisée avec son tube OKLM de sorte qu’il a modifié la prononciation initiale de l’expression désormais épelée sous forme d’abréviation et non plus de manière phonétique.
A cet égard, les jeux de langage mis à l’œuvre dans le rap, et qui en font l’héritier moderne de la poésie, ne semblent plus être de simples moyens de communication mais faire du rap une communication en elle-­même. Le recours à la métaphore très présent dans l’écriture hip-hop souffrirait dès lors d’une mise en abyme c’est-­à-­dire que le rap deviendrait une simple métaphore qui n’exprimerait rien d’autre que de la forme pure. Alors, le rap produit par le dispositif de Booba peut-­il encore représenter le ghetto qui constitue son essence ou est-­il condamné à rentrer dans les cadres de la culture de masse en tant que médiateur de celle­-ci ? S’il se fait pur média de communication, le rap peut-­il encore faire des suggestions créatives qui relèvent de l’art ?
Le rap comme objet de communication
L’ouverture du site OKLM.COM matérialise la transformation progressive du rap en tant que pur moyen de communication autour de la marque « Booba » grâce à différents procédés marketing à la fois innovants et traditionnels.
C’est d’abord la fédération d’une communauté d’internautes autour d’un événement sans cesse repoussé, celui de la mise en ligne des premiers contenus du site. Actuellement, la page d’accueil ne contient qu’une vidéo de présentation du concept OKLM avec Teddy Riner en invité. Le système médiatique de la vidéo est lui­-même travaillé pour générer le désir et la curiosité de l’internaute. Booba y est interviewé furtivement dans un espace bruyant, sans doute afin d’accentuer la dynamique de l’événement, de sorte que l’ouverture officielle fonctionnera comme un rendez­-vous commun à ne pas rater fédérant internautes et nouveaux talents.
C’est d’ailleurs avec un lexique emprunté aux télé­crochets « incroyable » que Booba qualifie et caractérise les artistes qu’il présente sur son site. Oklm.com
Néanmoins, à la différence des télé­crochets que l’on retrouve sur les chaînes de télévision, c’est bien par le rap et par la création métaphorique que la figure de Booba construit le trailer d’OKLM.COM. Si les logos successifs d’OKLM et de Tallac Records fonctionnent comme des marques, ils invitent tout de même à penser une sémiologie du graphisme encore plus évidente sur le corps même du rappeur, véritable objet d’art. De fait, la vidéo qui présente l’interview de Booba s’ouvre par une question où ce dernier est appelé « Kopp » jouant à la fois sur le signe, le marketing et la construction d’une narration autour du personnage qu’incarne Booba.
« Kopp » signifie hélicoptère et renvoie d’une part au vrai prénom de Booba qui est Eli mais également au terme anglais cop (flic). Or, sur la main gauche de Booba figure un tatouage avec inscrit « Kopp » surélevé d’une tête de mort afin de réutiliser l’expression « mort aux flics ». Du reste, ce tatouage est davantage visible dans le clip de la chanson OKLM réalisé par Chris Macari. Cependant, le signe ne s’arrête pas là, puisque « Kopp » désigne également le biopic sur la vie de Booba lui-­même sorti récemment. En ce sens, le moyen de communication devient lui­-même objet de communication à travers des imbrications de sens.
C’est pourquoi, les dispositifs de communication mis en place sur le site OKLM.COM interrogent directement l’essence même du rap et sa nouvelle place dans la société. Certes, le film Kopp a été réalisé par Ange Jisa, à l’origine de la société JisaMedia mais aussi de la websérie Kebab caviar inspirée de South Park. Dans cette série, le réalisateur confronte des personnalités issues du milieu politique, médiatique ou plus généralement d’une élite sociale face à des personnalités issues d’un milieu plus urbain comme des rappeurs. C’est ainsi qu’un des épisodes oppose le polémiste Eric Zemmour au rappeur Youssoupha.
Lors d’une interview pour Streetpress, Ange Jisa entendait assumer ce décalage humoristique qui faisait se rencontrer deux mondes habituellement isolés l’un de l’autre dans les représentations médiatiques traditionnelles.
Or, cet exemple de websérie fait foi d’un véritable changement quant au statut du rap puisqu’elle comptabilise d’une part des millions de vues et qu’elle incarne d’autre part la récupération de plus en plus massive de la culture dite « urbaine » par des couches sociales plus aisées que les classes populaires voire par l’élite économique et/ou intellectuelle, lors même que le rap s’adresse initialement aux minorités exclues des normes sociales dominantes.

La massification d’une sous-­culture
Les exemples d’OKLM.COM ou encore de Kebab caviar permettent en effet de comprendre la récupération de plus en plus massive du rap par les élites telle qu’elle a pu avoir lieu avec le jazz. Toutefois, c’est bien à cause de la finalité communicationnelle à l’œuvre autour de ce genre musical que s’opère davantage cette transition. Faisant appel aux métaphores, au rythme, à l’oral, au clash, aux battles, le rap emprunte également à la rhétorique et apparaît de ce fait comme un outil communicationnel fort et précieux pour une marque. Or, ce qui est en jeu autour du personnage de Booba n’a plus à voir avec la musique mais bien avec la figure de l’entrepreneur avec l’expansion de sa ligne de vêtement « Unkut » et aujourd’hui le lancement de son propre système de production à travers OKLM.COM.
Mais, si la musique sert à développer l’image et cultiver une légende autour du récit proposé par Booba, elle n’est plus une finalité et ne représente plus les populations des « cités ». C’est effectivement en businessman que Booba se présente en suggérant par l’implicite la fin de son parcours musical. « Ma carrière est incroyable » rythme en effet le refrain du morceau OKLM. En conséquence, la sortie de l’album Temps mort 2.0 illustre la volonté d’établir une légende à travers l’implicite, le récit du personnage de B2o. Mais, le vécu de Booba ne sera plus que fictif comme le démontre la sortie du biopic Kopp puisqu’il s’agit bien d’un format 2.0, une version virtuelle et donc revisitée de l’album de 2002 du même nom.
En somme, à mesure que le rap s’appuie sur les nouveaux moyens de communications, il est possible de croire à une capitalisation nouvelle du rap en tant qu’objet de langage, de communication, comme une nouvelle fonctionnalité. A l’occasion d’un autre article Booska P dressait le récapitulatif des trente principales expressions issues du rap et transférées au langage quotidien. Cette peinture générale témoignait de l’influence de plus en plus prégnante de la culture Hip-Hop sur les modes de langage. Ainsi, la performativité des images construites par le rap sur le langage institue un nouveau capital culturel dans la société.
Quel futur pour le rap ?
Si ce capital culturel investi dans l’imaginaire créé autour du site OKLM.COM fonctionne pour faire de Booba une marque rentable, peut-­on malgré cela considérer que cette capitalisation ne nuit pas à l’essence même du rap ?
Né des sous-­cultures urbaines, le rap a certes utilisé la métaphore, le rythme et beaucoup de procédés stylistiques empruntés à la poésie afin de créer des images. Or, c’est bien à travers ces images que le rap s’est attelé à représenter sa différence, à construire un discours à part entière et désintéressé de toute utilitarisme. De ce fait, un paradoxe semble se creuser davantage dans le milieu du Hip-Hop.
D’une part, le rap est réutilisé comme moyen de communication et de rhétorique marketing par exemple chez Booba. D’autre part, le rap dans sa forme la plus artistique c’est­-à-­dire désintéressée de toute récupération médiatique, ne semble pas permettre aux rappeurs qui le pratiquent de vivre de leur art comme en témoigne cet ultime article de Booska P.
Si Booba a enterré le rappeur, peut-­ê-tre peut-­il encore permettre aux nouveaux talents de faire naître un grand producteur. Ainsi, l’attente générée par OKLM.COM n’a qu’une alternative : produire de talentueux artistes ou faire du site un énième média de divertissement.
Marie Vaissette
Sources
Booska-p.com (1), (2)
Streetpress.com
Wikibooba.blogpost.fr
Oklm.com
Jisamedia.com
FastNcurious.fr
Genius.com
Remerciements : Jean­Paul Gagey