Société

Quand les grands jouent dans la cour des start-up

 
Les grandes entreprises semblent avoir eu le déclic. Pour innover, il faut désormais compter sur les start-up, leur puissance créatrice et leur mode de fonctionnement.
Que cela n’en déplaise aux vieux de la vieille, la culture d’entreprise tend aujourd’hui au rapprochement : on se tutoie, on se donne rendez-vous au « showroom », on se rejoint à l’ « agora » et on s’assoit en tailleur dans l’« open space » pour mieux travailler en « co-working » et en « mode projet ». Cela paraîtra peut-être excessif, pas directement visible, et pourtant le management et la communication interne sont en pleine révolution : Quicksilver est un exemple parmi d’autres en France, où se déploient des programmes internes de formation destinés à développer l’esprit start-up chez les employés.
Dans le même esprit, tous ces grands veulent avoir leur « Lab » : Coca-Cola, British Airways, Nestlé ou encore SNCF avec Paris Incubateur… Et les grands gagnants de cette tendance sont les start-up. Les incubateurs fleurissent dans les entreprises pour leur permettre de challenger les « jeunes pousses » autour de projets essentiellement digitaux que sont les applications mobiles et les plateformes sociales : l’an passé, 86 milliards d’applications ont été téléchargées, soit une mine d’or pour les entreprises qui parviennent à s’y insérer efficacement. C’est ici que les start-up interviennent et bouleversent le modèle de la grande entreprise autonome et toute puissante. Il faudra compter sur ces petits, et même les imiter.
Toutes ces clés permettront de comprendre, dans un futur proche, la nouvelle entreprise de demain pour laquelle il faut se préparer dès maintenant. Pensez donc bien à remplir la ligne « valeurs » de vos CV, car elles seront sûrement le ciment de votre entreprise !
Céline Repoux
Sources :
Les Echos
PQR 66
Capitaldigital.fr
Influencia
Visual.ly
Crédits photo : Israelvalley.com

Société

De l’usage du stéréotype en communication

Lancée il y a quelques jours, la campagne d’affichage du mouvement de La Manif pour Tous a fait l’objet d’un amusant détournement sur les réseaux sociaux, et notamment sur Twitter. Des internautes ont en effet parodié les nouveaux visuels de la campagne, habillés aux couleurs d’un message stéréotypé (« Pas touche à nos stéréotypes de genre »), pour le moins déconcertant. À tel point qu’il devient même difficile de distinguer les affiches officielles de celles qui ont été parodiées…
Retour sur un dispositif communicationnel au slogan volontairement provocateur.
Stéréotypes et communication : à utiliser à bon escient

Jouer sur les stéréotypes peut être un moyen efficace de communiquer, puisqu’il s’agit de jouer sur des cadres de référence communs pour garantir la transmission rapide d’un message. Les clichés utilisés comme leviers de communication permettent ainsi d’entrer en résonnance avec des représentations socialement partagées et culturellement ancrées. Mais fonder une campagne entière de communication sur les seuls stéréotypes, en les affirmant comme vérité établie et en l’absence de ton décalé, s’avère une démarche périlleuse. Et encore plus quand celle-ci prend part à un débat social houleux.
La Manif pour Tous justifie sa campagne d’affichage comme se voulant provocante avec pour objectif de susciter l’intérêt autour de la question du genre et des modèles familiaux. Il est clair que s’appuyer sur de tels stéréotypes est un moyen affiché de provoquer, mais jusqu’à quel point est-ce une stratégie efficace de provoquer pour diffuser son message et faire parler de soi ? Peut-on aujourd’hui « provoquer pour provoquer » ? Sans nul doute que la provocation gratuite peine à faire sens et se révèle vite creuse.
Il apparaît aussi que le ton de cette campagne manque de subtilité, comme en témoignent les amusantes parodies qui ont surgi sur Twitter (cf. Bannière) dès la révélation des affiches par la Manif pour Tous. Appliqués aux adultes, les « stéréotypes de genre » prennent un tout autre sens, se révélant profondément drôles et absurdes : la femme est montrée comme affairée aux tâches ménagères, en contraste avec une figure masculine assise voire avachie – ou encore, l’homme promenant sa femme en laisse, traduisant la domination masculine sur une prétendue faiblesse du sexe féminin. Ce jeu de détournement des visuels par les internautes souligne le caractère quasi absurde des affiches de LMPT, faisant apparaître leur potentiel parodique intrinsèque.

Nouveau slogan de #manifpourtous ! « Pas touche à nos stéréotypes de genre » J’apporte ma contribution à leur combat ! pic.twitter.com/mD8GpJZPbm
— Allan BARTE (@AllanBARTE) 14 Janvier 2014

Cette appropriation parodique par les internautes révèle un certain rejet du message véhiculé par la campagne de LMPT. En effet, on peut analyser ces tweets jouant sur la parodie et l’humour comme des manières d’affirmer une opinion de désaccord, à l’image de La Fontaine qui utilisait le procédé de la métonymie animalière pour se moquer et dénoncer certains comportements de la Cour sous Louis XIV.
 
Le stéréotype : une fonction rassurante mais désuète ?
Jusqu’où l’usage des stéréotypes est-il pertinent dans une campagne de communication ? Ceux-ci peuvent en effet apparaître comme des archaïsmes communicationnels s’ils ne sont pas traités avec un second degré, lequel leur permettrait de revêtir une dimension contemporaine et moderne. L’argument du stéréotype de genre apparaît comme désuet, dans la mesure où il évoque un certain repli communicationnel, qui va à l’encontre de la « société ouverte » dans laquelle nous vivons (1). K. Popper avait bien analysé cet aspect de notre monde contemporain globalisé, caractérisé par le changement ainsi qu’un mouvement continu d’ouverture communicationnelle. Dans un contexte de dispersion et de discontinuité, se poser comme défenseur des « stéréotypes de genre » traduirait alors une volonté de retour à des valeurs originelles.
La campagne de LMPT peut se comprendre à l’aune de la pensée de D. Bougnoux (2) : le mouvement de LMPT aurait l’impression d’une perte de repères du fait des caprices d’une économie-monde qui n’est plus encadrée par l’Etat protecteur. La Manif pour Tous pourrait s’analyser comme l’une de ces communautés « aux identités manifestes » qui ressent le besoin de réaffirmer des valeurs qui s’inscrivent dans un mythe des origines du genre homme/femme, face à la dévastation des valeurs traditionnelles et aux désordres individualistes causés par le marché capitaliste mondial. La revendication de « stéréotypes de genre » semble exprimer comme une peur du changement, de la confrontation culturelle, des différences (ici sexuallo-identitaires).
Si la campagne de La Manif pour Tous a été parodiée aussi rapidement, c’est sans nul doute parce qu’elle brandit des stéréotypes socialement catégorisants qui s’opposent aux valeurs d’ouverture que prône notre société globalisée et ouverte au changement. D’un point de vue communicationnel, ce qui avait pour but d’être une campagne encourageant une lutte claire et affirmée, s’est mué en une campagne en contradiction avec son époque.
S’il est d’abord question dans cette campagne de légitimité des identités sexuelles/sexuées, il est aussi question de légitimité des identités mêmes qui nous fondent en tant qu’êtres particuliers.
 
Alexandra Ducrot
(1) La société ouverte et ses ennemis, Karl Popper (1945) : il y défend l’idée d’une société qui ne se tient pas à des connaissances établies mais reste ouverte à la réactualisation des connaissances avec l’idée d’un possible changement de la réalité qui nous entoure. En effet se revendiquer de vérité unique ou immuable dénierait le caractère profondément pluraliste et multiculturel de toute société démocratique.
(2) Introduction aux sciences de l’information et de la communication, Daniel Bougnoux (1993)
 
Sources :
Il était une pub : « Affiches Manif pour Tous : A peine dévoilées déjà parodiées »
Yagg : « Stéréotypes et escargots géants : Les affiches de la «Manif pour tous» parodiées »
Crédits photos :
Bannière : Il était une pub
 

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Publicité et marketing

La colère des étudiants des Beaux Arts de Paris face au mécénat et aux donateurs privés

 
« L’École n’est pas à vendre ». Voici ce qu’on pouvait lire sur les banderoles mises en place dans la cour des Beaux Arts le 4 octobre. Les étudiants dénoncent la mise en place de politiques de mécénat sans concertation des élèves. Les faits survenus ont prouvé les difficultés de faire concilier les activités des Beaux-Arts avec les évènements organisés par différents donateurs. En échange du financement de la rénovation de l’Amphithéâtre d’Honneur, Ralph Lauren a organisé un gala où les VIP ont pu déguster des petits-fours et… déposer leurs vêtements dans un des ateliers transformés en vestiaires. Ainsi, 12 ateliers d’étudiants sur 24 ont été fermés, sans qu’ils n’aient pu s’organiser.
Si le mécénat est un des moyens fondamentaux de soutenir l’École et ses étudiants, en rénovant des bâtiments et en payant du matériel et des voyages scolaires, il permet aux entreprises de trouver des avantages communicationnels et fiscaux indéniables :
Nespresso, Lanvin ou Neuflize investissent à l’ENSBA au moyen de 60% de déduction fiscale sur la somme avancée. Plus que la défiscalisation, ces opérations s’intègrent dans une stratégie de communication bien ancrée. Ralph Lauren y voit l’occasion de s’assimiler à la culture et le luxe français, en associant ses activités au patrimoine parisien. Les entreprises mécènes attendent de leur hôte une compensation symbolique, dont ces évènements huppés accompagnent l’image fastueuse de la marque donatrice.
Or c’est l’image même de l’École que les étudiants souhaitent conserver. Ils pointent du doigt ces financements privés qui cherchent à soutenir les projets les plus voyants, sans tenir compte des véritables travaux qui pourraient être utiles à la vie de l’école. Rénover une salle somptueuse est plus « communicable » que de financer la mise en place d’une isolation performante permettant aux étudiants de mieux travailler l’hiver…
Ainsi les valeurs des donateurs pourraient être repensées, en s’adaptant plus profondément aux valeurs de leurs bénéficiaires autour d’une communication plus pertinente qu’une communication de façade.
Joséphine Dupuy-Chavanat
Sources :
Slate.fr
Lemonde.fr

Société

Hugo Chavez : le deuil inavouable

 
Le Venezuela fut en deuil une semaine durant. Une semaine pour se remémorer d’un homme devenu symbole, puis parti politique. Une semaine pour faire le deuil d’un homme et d’un idéal. Pour la grande majorité des vénézuéliens, ce décès se doit d’être commémoré afin ne pas oublier ce qu’était le courage politique, ce qu’était leur vision de la politique.
 
Mouton noir et loup blanc
Cependant, focalisons-nous ici sur le traitement de l’annonce du décès par les différents média. Le deuil se doit d’être respecté par le journaliste, le défunt semble devoir être considéré, coûte que coûte. L’annonce du média ne prendra pas de position politique mais tentera plutôt de mettre en lumière la complexité du traitement de l’action politique et de la difficulté de dresser le bilan d’un homme de façon aussi rapide.
Quelle belle hypocrisie que celle-ci ! Les lecteurs et les spectateurs n’ont-ils pas de mémoire ? Un homme, décrit comme un loup agressif, moralisateur, violent et sanguinaire durant tout son règne est devenu, le jour de sa mort, le symbole de l’Argentine moderne, l’homme qui a su donner au pauvre et qui a su rediriger les bénéfices du pétrole. Le mort est sacré, la figure du défunt est lavée de tout soupçon, son souvenir reconsidéré. Peut-on enterrer un homme avec de la haine ? Slate.fr a rapidement enlevé de sa première page l’article faisant le bilan économique de ce président pour le remplacer par un article nous présentant Chavez comme un homme cultivé et admirateur de la littérature française.
Chavez n’était pas un saint. Malgré les milliers de pleurs qui raisonnent dans la belle et dangereuse ville de Caracas, pas une seule voix ne se fait entendre pour reconsidérer le bilan de son action politique. Les pleurs annihilent la critique par leurs caractères passionnels.  L’image communique l’émotion, la douleur se répand. On ne peut pas admettre la critique de l’homme alors que le cadavre est encore chaud.
« L’encre coule le sang se répand. La feuille buvard absorbe l’émotion » comme disait IAM.
 
Le deuil totalitaire
Voilà donc un obstacle à la mémoire, à l’histoire et au décryptage de l’œuvre d’un homme. La surexposition médiatique de l’émotion et de l’unité nationale derrière le décès d’Hugo Chavez a empêché de construire un autre regard et de mettre en lumière les phases les plus sombres de son pouvoir. La communication gouvernementale passe ici par le deuil. Le gouvernement utilise l’évènement comme un moyen de perpétuer l’œuvre de l’homme. Heidegger dans Etre et temps, montre que le deuil doit avant tout être considéré comme un renvoi permanent au passé. Le fait que le corps de Chavez ait été embaumé souligne clairement cette volonté de perpétuer son œuvre passée et de le faire entrer dans le panthéon historique qui devient l’identité du pays. Le musée est ici la représentation du figé, et cette volonté de thésauriser l’homme politique dans les vitrines du musée nous amène à comprendre le souhait de créer une sorte de deuil perpétuel presque mystique.
En effet, le Venezuela est en train de construire un deuil qui va annihiler toute possibilité de contestation de l’œuvre de Chavez. La puissance passionnelle du deuil va être poursuivie afin de transformer le travail de cet homme en point de fondation de la vie politique du Venezuela. Ici, la communication gouvernementale tente de perpétuer le souvenir pour transmettre l’image la plus positive possible du pays. Un tel déni du passé et une telle sacralisation de l’homme prouvent que le Venezuela est encore un pays qui a besoin de s’affirmer et d’illustrer la légitimité de la révolution socialiste. Cette position politique et cette indépendance dans l’échiquier mondial est ici mise en valeur par le deuil,  par les cérémonies et ce dolorisme inavouable.
D’un point de vue communicationnel, le deuil est donc un outil puissant, qui affirme les bases du régime en rendant hommage à celui qui a réussi à faire évoluer le pays. Le deuil est aussi un retour perpétuel vers le passé, un regard en arrière peut-être nostalgique, mais avant tout conservateur. De plus, ce deuil s’est magnifiquement bien propagé aux médias occidentaux qui mettent en lumière le caractère de l’homme, son courage et parfois son intelligence bien plus que son populisme, son culte de la personne et son égo surdimensionné. Une telle manipulation utilise comme outil ce respect universel de la mort, de la mémoire. Et cet aspect est bien puissant.
 
Emmanuel de Watrigant
Rendez-vous la semaine prochaine avec Laura Garnier pour Irrévérences qui traitera du deuil de Stéphane Hessel.