Politique

Ecotaxe : bonnets rouges et bonnets d’âne

Mercredi 8 mars, la Cour des Comptes publie son rapport annuel sur la régularité des comptes publics. Le conseil des magistrats honore ainsi annuellement son credo « S’assurer du bon emploi de l’argent public, en informer le citoyen », et comme chaque année blâme les gaspilleurs. Cette année c’est un épisode marquant du quinquennat de François Hollande qui se trouve dans son collimateur, celui d’un projet de taxe autoroutière impopulaire, d’une fronde bretonne coiffée de rouge, et d’une débandade gouvernementale.
Si l’épisode avait retenu l’attention à l’époque pour ses coups d’éclats et ses bévues médiatiques, c’est aujourd’hui l’essence économique du sujet qui revient sur la table. La cour estime les pertes à plus d’un milliard d’euros, et les pots cassés sont injustement redistribués. Un fiasco qui tient beaucoup à la gestion de crise désastreuse du gouvernement, et aux grossières lacunes de communication au sommet de l’État. Un feuilleton médiatique qui interroge aussi sur la valeur du débat démocratique en France.
Retour sur une taxe controversée et avortée

Issu du Grenelle de l’Environnement, le projet d’écotaxe est voté à l’unanimité par le Parlement en 2009. Le but est de transférer le financement de l’entretien des autoroutes du contribuable aux usagers, selon le principe du pollueur-payeur : ceux qui les usent le plus, à savoir les camions, paient le plus. Outre l’objectif de justice fiscale, les retombées doivent également être économiques pour réduire l’avantage concurrentiel des transporteurs étrangers par rapport aux routiers français, et écologiques, pour faire gagner en attrait l’alternative du fret ferroviaire.
La mise en place commence au printemps 2013, dans un contexte politique délétère. Le quinquennat de François Hollande a commencé un an plus tôt par une pression fiscale sur le contribuable qui exaspère les ménages français. L’annonce de la création de portiques de télépéages sur plus de 15 000 km d’autoroute, génère des premières protestations en Bretagne, une région particulièrement incandescente à cause de la fermeture d’usines (comme l’abattoir Gad) et la détresse des éleveurs. La mesure est perçue comme un énième matraquage envers les petites gens, en somme, la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Pendant ce temps, les syndicats de transporteurs routiers s’insurgent. Le gouvernement reporte la collecte de la taxe au 1er janvier 2014, et la fronde, loin de dissiper, s’organise en groupes d’action sur le terrain et face aux médias. Destruction de portiques, manifestation géante des « Bonnets Rouges » à Quimper le 2 novembre 2013, opérations « Escargot » des routiers sur les autoroutes… La pression finit par faire reculer le gouvernement, qui annonce le 29 octobre 2013, la suspension de l’écotaxe.
« Un gâchis patrimonial, économique, financier, industriel et social »
La formule n’est pas tendre, signe de l’ébahissement des magistrats de la Cour des Comptes devant le gaspillage. 958 millions d’euros d’abord, indemnité à verser au prestataire EcoMouv’ que l’État avait missionné pour installer le dispositif, assurer sa maintenance et collecter la taxe, et qui aurait dû être rétribué à hauteur de 2,5 milliards d’euros sur dix ans. S’y ajoutent 70 millions d’euros, déboursés pour mettre en œuvre cette taxe (investissement dans EcoMouv’, salaires de 309 douaniers) et la démanteler (démontage et destruction des portiques). Enfin, 270 millions d’euros, coût hypothétique en prévision des contentieux auxquels l’État s’expose, vis à vis des sociétés de contrats public-privé. Au final, l’ardoise s’élève potentiellement à 1,258 milliards d’euros, auxquels s’ajoute ce qu’aurait dû rapporter l’écotaxe sur dix ans (sa durée de vie initialement prévue), c’est à dire près de 10 milliards d’euros.
La faillite de l’État dans les négociations
L’État a de quoi apprendre de ses erreurs, tant les failles ont été nombreuses. D’abord comme négociateur avec les différentes parties du projet, il s’est rapidement mis en position de faiblesse. Quand il veut rassurer les transporteurs en leur annonçant qu’ils pourront répercuter le coût de cette taxe sur les commandes de leurs clients, il sait sa promesse inapplicable, en raison du principe de liberté des relations commerciales.
La colère sociale devenant trop forte malgré les concessions, le gouvernement doit alors suspendre l’écotaxe « dans la précipitation pour tenter de répondre à une situation d’urgence » selon la Cour des Comptes. Cette décision est tout aussi problématique : sans concertation avec Ecomouv’, l’État se met en difficulté dans les négociations qui l’opposeront à son prestataire, sur le montant des indemnités de résiliation à verser.
Au départ cramponné à son projet d’écotaxe, le gouvernement a refusé un véritable dialogue avec ses partenaires syndicaux et privés, en envoyant de fausses promesses aux uns pour calmer la fronde des transporteurs, et en imposant des décisions unilatérales aux autres sans porter attention à sa fiabilité commerciale.
Les atermoiements du gouvernement
Ce problème de communication avec les professionnels trouve ses origines dans les hésitations du gouvernement quant à la conduite à adopter. La dégradation du déficit budgétaire annoncée fin 2013 pousse en effet le Premier Ministre à s’emparer du dossier et défendre une posture court-termiste. Alors que le ministère de l’Ecologie souhaite aller au plus vite pour avoir des chances de collecter l’écotaxe, Manuel Valls préfère retarder le plus possible le paiement des loyers à EcoMouv’.
De cette division gouvernementale résulte une position extrêmement floue pour l’année 2014 : éviter tout paiement à EcoMouv’, et ne prendre aucune décision définitive. Ecartant une solution de secours recommandée pourtant expressément par l’Assemblée Nationale, le gouvernement s’embourbe dans l’indécision. Dans ce dossier complexe et multilatéral, le gouvernement a ainsi avancé en terrain miné, sans stratégie claire, et l’ardoise est celle que l’on connaît aujourd’hui.
Happy-ending
En réponse au rapport de la Cour, Manuel Valls souligne pourtant les bienfaits de la mesure de remplacement trouvée à l’époque : la majoration du prix du gazole, qui génère annuellement 1,139 milliard d’euros de recettes (contre 1,129 milliard estimé avec l’écotaxe).
Petit problème : cette mesure sape totalement l’ambition de justice sociale de l’écotaxe. Les grands gagnants de cet abandon sont en effet les camions étrangers, qui font le plus souvent le plein dans les pays voisins où le gazole est moins cher. Les perdants sont donc les automobilistes et ces mêmes routiers français qui protestaient contre l’écotaxe, et qui se retrouvent aujourd’hui lésés par rapport à leurs concurrents.
Autre gagnant, l’État lui-même : alors qu’il s’engageait à partager les recettes de l’écotaxe avec les collectivités territoriales, cette taxe sur le gazole lui reviendra entièrement, au détriment de collectivités qui souffrent pendant ce temps de la fonte drastique des subventions.

Les bonnets rouges sont rangés
57% des Français jugeaient en novembre 2013 que l’État devait abandonner définitivement l’écotaxe (sondage CSA/Les Echos/Institut Montaigne). Cette affaire est une démonstration parfaite de l’impact que peut jouer l’environnement politico-médiatique sur la protestation populaire, et en bout de chaîne sur les politiques publiques : contre une mesure comme l’écotaxe, qui avait pourtant le mérite d’alléger le contribuable et de faire payer ceux qui usent directement les autoroutes, le débat a été totalement dévié de ses vrais enjeux.
Relayant largement les déboires du début de mandat de François Hollande, les médias ont offert un terreau fertile à la contestation. Sur-médiatisés, les « Bonnets Rouges » ont ainsi emporté dans leur sillage l’opinion publique, polarisée par ce grand mouvement de ras-le bol envers le pouvoir.
Toutefois, quand l’État instaure en remplacement une mesure qui pénalise l’automobiliste lambda et les collectivités de proximité, l’information est peu partagée dans les grands médias et ne suscite aucune polémique. Une lassitude médiatique pour un feuilleton qui avait trop tourné. Et un grand silence démocratique.
Hubert Boët
Sources :
• Marc Vignaud, www.lepoint.fr, rubrique « Economie », « Cour des comptes : le fiasco de l’écotaxe poids lourds », publié le 08/02/2017
• Hervé Chambonnière, www.letelegramme.fr, rubrique « France », « Abandon de l’écotaxe. Un gâchis d’un milliard d’euros », publié le 08/02/2017
Crédits :
1. http://www.letelegramme.fr
2. s1.lemde.fr
3. o.aolcdn.com
4. Fo.aolcdn.com

Politique

La Valls-mania : splendeurs et misères d’un virtuose de la communication

Camps de roms, émeutes, violences urbaines, tueries policières… L’effervescence politico-médiatique autour du Ministre de l’Intérieur révèle une fascination pour celui qui fut aussi le directeur de communication de la campagne de François Hollande,  à tel point que certains le rêvent déjà à Matignon.
 Comment ce virtuose de la communication parvient-il à incarner la figure du chef dans un gouvernement en recherche de leadership ?  Si l’actualité brûlante et le charisme du Ministre pèsent lourd dans la balance, M. Valls est toutefois parvenu à se tailler, seul,  un costume de leader du gouvernement.
Depuis l’été, les projecteurs sont braqués sur lui. Toujours  plus populaire, l’« hyperministre » ne cesse de séduire l’opinion et l’exécutif, et de s’attirer les sympathies de l’opposition. C’est à l’Université de la Rochelle que le  phénomène Valls s’est  déployé dans toute sa splendeur, à travers un discours ferme, aux accents sécuritaires : « Je continuerai à mener le démantèlement des campements là où il y a de la misère sociale et sanitaire, de l’insalubrité. » Manuel Valls, adepte des formules grinçantes, a même tonné que la gauche devrait rétablir l’ordre républicain dans les quartiers où il y a « un ordre de la jungle ».

Le Ministre de l’Intérieur a profité d’une actualité estivale ultra-chargée.  Des émeutes d’Amiens en août aux règlements de compte en série à Marseille, en passant par les manifestations islamistes ou le double meurtre d’Echirolles, Manuel Valls  a pu mettre en œuvre son art de  manier le verbe et de maîtriser l’image, revêtant le costume du tribun et séduisant les médias. Il aurait ainsi donc  tenu le pari de l’alchimie complexe qu’est la communication politique, alors que les courbes de popularité de l’exécutif s’affaissent.

Cet accomplissement scelle une longue métamorphose, si on se souvient des premiers pas de M. Valls en politique à la tête des jeunes socialistes européens. Toutefois, il ne suffit pas à étouffer certains paradoxes : il n’est en effet  pas rare de lire dans la presse que la femme du Ministre, Anne Gravoin, influence les prises de position de son mari avec, dernièrement, une sortie  sur la « tolérance zéro » envers les SDF “fleurissant” sur les trottoirs, suite à une brève agression de la violoniste dans la rue. Si le Ministère a assuré qu’il n’y aurait aucune mesure privative, on se souvient  des déclarations de Mme Valls cet été à propos de la femme de Jean-Marc Ayrault,  affirmant qu’il était plus glamour d’être violoniste que « prof’ d’allemand ». Autant de couacs qui pourraient finir par porter préjudice à l’image de son mari.

Dans un paysage politique où le Premier Ministre peine à incarner l’autorité auprès de ses ministres, Manuel Valls apparaît, d’une certaine manière,  comme son héritier naturel, se saisissant des valeurs de courage et de fermeté dans un contexte de violences urbaines. Il joue aussi le rôle de l’homme d’action dans  un gouvernement trop souvent taxé d’ « attentisme ».

 Danaé DM