Versailles, plus voltairien que Voltaire ?
Voltaire n’a qu’à bien se tenir, « en 2013, Versailles cultive son jardin. »
La qualité Le Nôtre
S’il était encore vivant, André Le Nôtre fêterait cette année son quatre-centième anniversaire, battant ainsi au passage tous les records de longévité. Mais le créateur des jardins du Château de Versailles-a-t-il jamais cessé de vivre ? Les siècles n’ont pas altéré la renommée de celui qui a poussé au plus haut l’art du « jardin à la française ».
Le Château de Versailles a donc décidé de lui rendre hommage en faisant de 2013 l’«année Le Nôtre ». L’occasion de mettre en lumière l’œuvre de cet architecte et paysagiste de génie, également fin collectionneur d’art et confident de Louis XIV. Des expositions, restaurations, événements et spectacles sont prévus tout au long de l’année sur l’ancien domaine royal.
Le vert saillant
« L’année Le Nôtre », c’est tout l’objet de la nouvelle campagne d’affichage qui a été lancée en mars 2013 par le Château de Versailles. Sur les visuels, le château s’efface au profit des jardins verdoyants mis en lumière sous un ciel estival. Et dans ce décor champêtre, les statues à l’antique reprennent vie, presque à la façon de la Vénus d’Ille fantasmée en son temps par Prosper Mérimée.
Cette mise sous silence du château sur les affiches n’est pas anodine : elle donne à appréhender le lieu d’une façon différente et originale.
En effet, à travers les perspectives de ses jardins à la française, Versailles se donne finalement avec plus de profondeur et de poésie que jamais. Loin des dorures des intérieurs et de la Galerie des Glaces (victimes malgré elles de leur « débris d’aura »[1]) c’est un appel à la verdure, à la contemplation des paysages, et à la réflexion qui est ici lancé au visiteur.
« Et si la véritable beauté du lieu résidait ailleurs que dans les fastueux salons du Château ? » semble nous interroger cette affiche, avec un petit sourire en coin. (Si tant est qu’une affiche puisse sourire !)
Avec la représentation des statues en action dans le jardin, c’est comme si tout le patrimoine et le passé de Versailles reprenaient vie, s’actualisaient, et se mettaient à l’ouvrage pour s’offrir au visiteur sous un jour nouveau, inattendu et inédit. Le passé renouerait donc avec le présent pour se construire un nouvel avenir.
« En 2013, Versailles cultive son jardin »
Mais le plus marquant sur les affiches reste sans doute cette formule : « En 2013, Versailles cultive son jardin ». Au-delà de l’humour, comment ne pas y voir un clin d’œil à la dernière phrase de Candide, par laquelle le héros éponyme conclut toutes ses (més)aventures en déclarant qu’« il faut cultiver notre jardin »?
A ce petit jeu, il semble que le Château – pourtant symbole emblématique d’une monarchie absolue critiquée en leur temps par les philosophes des Lumières – se montre paradoxalement plus voltairien que Voltaire en 2013.
En effet, en cette « année Le Nôtre », Versailles ne se contente pas de retravailler (cultiver) au sens propre son (ou plutôt ses) jardin(s), et de vouloir nous (cultiver) apporter un éclairage nouveau sur son histoire et son patrimoine. Non !
C’est à une remise en question bien plus profonde que le Château de Versailles nous invite sans doute si nous daignons l’écouter : au-delà l’éclat de ce qui brille, ne serait-ce pas finalement dans l’expérience pure et simple d’un « jardin », où l’homme renoue contact avec la (sa) nature, que serait à chercher la véritable beauté ?
L’historien Pierre Gaxotte avait déjà décrit cette vocation élévatrice propre au Château de Versailles, dès 1958 :
« Union de la civilisation antique et de la civilisation moderne, symbole d’humanisme, modèle d’art de vivre, Versailles représente ce qu’il y a de plus universel dans notre patrimoine. Il ravit les sens. Il comble l’esprit. Il ennoblit les âmes qui veulent bien écouter sa leçon. »
Ses quelques mots valent bien tous les articles que je pourrais écrire à ce sujet.
Grégoire Noetinger
Sources et références :
Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique.
Franck Ferrand, Versailles après les rois.
Marie Peigné, Olivia Traub, Hugo Sénécat, Benjamin Gastaud, et Grégoire Noetinger, tutorés par M.Olivier AÏM, Enquête de terrain sur « Le château de Versailles »
Pour plus d’informations, consulter le site internet du Château de Versailles.
[1] Pour Walter Benjamin, une œuvre bénéficie pleinement de son aura lorsqu’elle est saisie dans son contexte (spatial, temporel, etc.). C’est alors qu’elle s’exprime dans sa toute puissance. Mais lorsqu’elle est extirpée de son contexte, et ce d’autant plus à l’heure de la « reproductibilité technique», une œuvre ne jouit plus que d’une aura affaiblie, ou débris d’aura, qui peut s’exprimer notamment à travers l’expérience du kitsch. (Pensons notamment à la Galerie des Glaces, utilisée récemment dans le jeu « Château de Versailles » de la Française des Jeux)