L’affaire Théo est partout, dans le paysage politique, dans tous les médias, sur toutes les lèvres : des policiers, un jeune ordinaire, un quartier dit « sensible », un viol. Cet événement a éveillé de nombreuses polémiques sur la question de la banalisation de la violence policière, sur la chape de plomb qui pesait jusqu’alors sur ces pratiques, mais aussi sur la condition sociale de la jeunesse de ces quartiers. Cet événement a eu diverses résonances, mais a notamment suscité l’indignation générale, caractérisée par des manifestations et des heurts violents. Ainsi, la France s’engage à sa manière derrière ce qu’incarne désormais Théo : une rupture entre les citoyens et la police.
Les Français et la police : la connexion est rompue
Suite aux attentats de Charlie Hebdo et du 13 novembre qui ont profondément bouleversé la France, une réconciliation s’amorçait entre les Français et les forces de l’ordre. Certaines personnes allaient spontanément remercier policiers et gendarmes pour leur dévouement, preuve d’une société désormais unie. Mais alors, où est passée la France de #JesuisCharlie ? Quelques signes de désamour semblaient toutefois poindre à l’horizon, notamment au moment de la loi travail, lorsque de nombreux faits de violence policière ont été recensés à l’encontre des manifestants, et les tensions ont continué de se cristalliser, avec la mort d’Adama Traoré, décédé dans des circonstances troubles suite à son interpellation par les gendarmes. L’affaire Théo, c’est donc une volonté de justice qui marque une rupture franche.
La police et la communication de crise
En plus des faits graves qui se sont déroulés, entachant l’image de respectabilité des forces de l’ordre, la communication de la police et de ses représentants qui en a découlé, a été pour le moins désastreuse : au lieu de montrer le caractère isolé de cet usage injustifié de la violence, la police a tenté de minimiser les faits, notamment par l’intermédiaire de l’IGPN, dont les premières déclarations niaient le viol et lui privilégiaient la thèse de l’accident. Mais personne n’est dupe. Les faits qui sont reprochés sont graves, et les constatations médicales rendent peu probable la thèse avancée. D’ailleurs, la juge en charge de l’affaire a bien retenu le chef d’accusation de viol à l’encontre de l’un des quatre policiers.
À cela vient s’ajouter l’intervention de Luc Poignant, syndicaliste policier, dans C dans l’air le 9 février, où il déclare sans sourciller que « bamboula est à peu près convenable ». Suite à la polémique déclenchée, le policier s’excuse, prétextant « une erreur sémantique ». Rappelons que « bamboula » est un terme aussi méprisant que raciste, apparu au XXème siècle en France pour désigner les tirailleurs sénégalais, et dont l’étymologie vient du mot « ka-mombulon », soit « tambour » dans les langues sarar et bola parlées en Guinée portugaise — l’erreur sémantique semble donc difficile. C’est un mot lourd de sens, lourd d’histoire, mais surtout chargé de haine. Ainsi, les propos de Luc Poignant résonnent comme l’aveu d’une violence verbale devenue ordinaire.
Théo : un symbole social
C’est indéniable : l’affaire Théo rassemble. Elle fédère dans l’indignation, la défiance, mais aussi le rejet du système dont la police est le principal représentant. Ces derniers jours, des heurts ont éclaté à Aulnay-Sous-Bois – ville de résidence de Théo – mais aussi dans d’autres villes comme Argenteuil, les Ulis, Bobigny… Tous réclament la même chose : « justice pour Théo ». On peut voir en cela une forme de solidarité, pour le moins démonstrative et violente. Cela rappelle les évènements de 2005, les émeutes qui avaient agité la France suite à la mort de Zyed et Bouna dans un transformateur électrique, tentant d’échapper aux policiers.
Des faits qui se font écho — mais comment donc expliquer l’embrasement de ces quartiers ? Tout d’abord, y sont pratiqués des contrôles d’identité quotidiens, au cours desquels les débordements sont fréquents de part et d’autre. Ces contrôles sont souvent montrés du doigt car prétendument basés sur des critères discriminatoires. Et comme le dit Sébastian Roché, sociologue de la délinquance et auteur de De la police en démocratie, « ce sentiment d’être ciblé est constitutif d’une défiance vis-à-vis des autorités. Ces personnes systématiquement visées à cause de leur couleur de peau ou en raison de critères socio- économiques ont le sentiment d’être des citoyens de seconde zone. »
Cette idée de stigmatisation semble donc être la clé pour comprendre ce qui se déroule aujourd’hui : les jeunes des quartiers s’identifient à Théo en tant que « jeunes de banlieues ». L’existence même de ce terme générique de « jeunesse de banlieue », ou de la version plus péjorative « banlieusards », constitue une forme de marginalisation et de stigmatisation sociale, mais aussi de délimitation géographico-sociale, dont la frontière semble être le périphérique. D’ailleurs, la localisation semble particulièrement importante, puisque dès la médiatisation de l’affaire, la ville d’origine de Théo faisait la une de tous les journaux. Ainsi, le fait d’habiter en banlieue, lieu infraordinairement associé à la violence quotidienne, « diminuerait »-t-il la gravité de tels actes ?
Dans le cas de Théo, « je ne pense pas que les choses se seraient déroulées de la même manière si on avait été avenue de l’Opéra », s’inquiète le député PS Daniel Goldberg, qui se demande si le maintien de l’ordre dans les quartiers est « toujours républicain ». Aussi, les méthodes employées par la police pour les contrôles seraient différentes selon les lieux et cela ne serait, toujours d’après l’interview de Luc Poignant, qu’une « juste réponse de la police envers une population hostile à leur égard ». C’est la loi du Talion.
En mesure d’apaisement, le Président lui-même se déplace pour rencontrer Théo, des propositions de lois sont faites, notamment pour la « caméra-piétonne », une Gopro portée par les policiers lors des contrôles. Cela semble bien maigre pour tenter d’apaiser la flamme qui s’est allumée dans le cœur de la jeunesse des quartiers, et qu’un slogan semble rassembler : « Tout le monde déteste la police ».
Ces slogans, ces heurts et ces manifestations semblent relever de la fonction expressive d’un langage verbal et non verbal, témoignant d’une émotion sincère à mi-chemin entre révolte et indignation, mais aussi symptôme d’une crise sociale, crise que Théo semble incarner, un peu malgré lui.
Lucille Gaudel
Sources :
• Julia PASCUAL, Le Monde, « Violences policières : un rapport dénonce un risque d’impunité des forces de l’ordre », 13/03/2016, consulté le 11/02/2017
• Blandine LE CAIN, Le Figaro, « Affaire Théo : la police des polices privilégie la thèse de l’accident plutôt que celle du viol », 9/02/2017, consulté le 12/02/2017
• Frantz VAILLANT, TV5 Monde, « Bougnoul, fatma, youpin, négro : l’ADN des mots racistes révélé », 8/01/2016, consulté le 11/02/2017
Crédits :
• Régis Duvignau, Reuters
• Julien MATTIA, AFP
• Patrick Kovarik, AFP