VLOGGING
Médias

Une vidéo de moi, par moi, sur une idée originale de moi

Le vlogging, à l’origine, désigne un phénomène très vaste : des gens de tout type et de tout âge qui « font des vidéos » dans lesquelles ils apparaissent et parlent d’une multitude de sujets différents – cuisine, musique, culture, beauté… Depuis plusieurs années, un nouveau phénomène se développe et commence à toucher la webosphère française : des gens se filment en train de vaquer à leurs occupations ou de raconter ce qu’ils ont fait dans la journée. A titre d’exemples, allez voir la chaîne Youtube de Zoella (pour les plus bilingues anglais d’entre vous) ou celle de Marie sur EnjoyVlogging.
Créer du lien
Le vlogging a besoin de deux éléments : une caméra et une plate-forme qui servent d’interface entre le vlogger et son public. Car l’essence du vlogging reste le partage et le but, la création d’une communauté. Une grande partie des vloggers commencent leur vidéo par un « hey guys » ou son équivalent français « bonjour à tous ». Cette petite phrase introductive qui connaît autant de variations qu’il y a de vloggers a la vertu d’instaurer une relation simple, presque amicale, avec le spectateur croisé au détour de ses pérégrinations sur Internet. Elle permet également de convoquer non pas un seul mais toute une communauté de spectateurs, réunissant par cette formule magique le vlogger, la personne qui le regarde et toutes celles qui ont regardé ou vont regarder la vidéo.
Cette impression de lien est renforcée par le fait que le vlogger se montre : là où le blog permettait la distance par le biais de l’écriture, le vlog exige de s’exposer davantage pour créer l’illusion d’une conversation instantanée. C’est ainsi que s’instaure une relation plus immédiate avec une personnalité d’autant plus dense qu’on la voit, qu’elle est là. La matérialisation du lien avec le vlogger appartient ensuite au spectateur qui peut suivre activement la chaîne – donc augmenter ses vues et sa popularité –, s’abonner ou commenter. Ces actions donnant lieu à des réactions de la part du vlogger, une discussion s’installe.
Une logique spectaculaire
L’échange semble pourtant biaisé. D’une part, l’authenticité revendiquée par les vloggers est à remettre en question, d’autre part le rapport de force entre ceux-ci et leur public est déséquilibré. Les vloggers font en effet acte de création dans leurs vidéos. Ce qui apparaît comme une intervention spontanée s’obtient par un véritable travail et passe par une grande quantité de filtres. Du sujet au titre de la vidéo en passant par le texte, le cadre, les prises et le montage, un certain nombre d’éléments peuvent ainsi faire l’objet de choix qui influent sur la composition finale. Celle-ci ressemble donc moins à une prise de parole informelle et beaucoup plus à une performance, propulsant les vloggers du statut de meilleur ami virtuel à celui d’artiste. Un exemple extrême d’acte créatif assumé en tant que tel : Nothing much to do qui adapte « Beaucoup de bruit pour rien » de Shakespeare en série-vlog.
 

 
Le rapport des spectateurs à ces vidéos semble le confirmer en s’inscrivant dans une logique du spectacle. Le vlogger s’expose, le public dispose. Il peut en effet décider d’un grand nombre de paramètres dans cette discussion d’un nouveau genre. C’est lui qui choisit avec qui elle aura lieu (« j’aime pas du tout Untel, je vais regarder Untel »), quand (« je me ferais bien un épisode de Untel avant de me mettre à bosser »), combien de temps (« en fait c’est pas si intéressant, je vais fermer la vidéo alors qu’Untel est au milieu de sa phrase ») et surtout, si elle aura lieu (« finalement je vais regarder Orange is the New Black »). Pour poursuivre la métaphore du spectacle on peut dire que c’est l’adhésion du public et ses commentaires positifs qui décident de la réussite d’un vlog. Dans un second temps, lorsque le vlog est un succès, c’est l’existence-même de ce public qui impose aux vloggers un certain rythme de création. Il n’est ainsi pas rare d’entendre un vlogger promettre une vidéo pour une certaine date ou parler de son rythme de publication (en moyenne une vidéo par semaine). Le public semble donc dominer dans une relation qu’il définit par sa présence ou son absence.
Vers une nouvelle télé-réalité ?
D’une semaine à l’autre le public suit un vlogger comme il suit une série, impatient de voir ce que ce dernier lui réserve. Certains vlogs reprennent même les codes de la série en insérant, par exemple, un générique au début de la vidéo (voir theschuermanshow). Des prix ont même été créés pour récompenser les meilleurs vlogs, leur conférant une reconnaissance semblable aux contenus primés aux cérémonies du genre des Golden Globes. Ils marquent également la tendance à la professionnalisation de certains vlogs. Cette logique a atteint son sommet avec la mise en place de cérémonies spécialement dédiées aux contenus en ligne.
Mais on peut aller plus loin et inscrire le phénomène du vlog dans le cadre que la télé-réalité a imposé au paysage du divertissement. L’idée de montrer des vrais gens en guise d’« entertainment » s’est peu à peu déclinée : sont apparues des émissions de réalité scénarisée comme « Petits secrets entre voisins », des émissions de télé-réalité dont disparaissent les présentateurs et dont les commentaires sont de plus en plus pris en charge par les participants – voir « Les reines du shopping » et autres « Quatre mariages pour une lune de miel » … Le vlog semble en être une évolution logique parce qu’il montre des personnes dans leur quotidien commentant eux-mêmes ce qu’il se passe. Étant donc à la fois acteur, producteur, réalisateur et présentateur du contenu, les vloggers proposent une nouvelle forme de divertissement, plus proche d’eux et plus proche de leur public.
Sophie Mikovitch
Sources :
O’Neill, Megan. « The Top 5 Youtube Vloggers And Why People Love Them. » Social Times.  13/04/2010. Consulté le 10/11/2015. http://www.adweek.com/socialtimes/top-youtube-vloggers/11285
Samuelson, Kate. 25 « Vloggers Under 25 Who Are Owning The World Of Youtube », The Huffington Post UK. 26/12/2014. Consulté le 10/11/2015. http://www.huffingtonpost.co.uk/2014/12/17/25-vloggers-under-25-who-are-owning-the-world-of-youtube_n_6340280.html
Leloup, Damien. « Les « Family vlogs », ou la téléréalité faite maison », Le Monde.fr. 09/10/2015. Consulté le 10/11/2015. http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/10/09/les-family-vlogs-ou-la-telerealite-faite-maison_4786496_4408996.html#sZIUdBPgyzdfOtbH.99
Crédits photo :
MacEntee, Sean. Tyler Parker. Random Thoughts From My Random Mind. Consulté le 12/11/2015.
http://blog.tylerparker.ca/?cat=38