Publicité et marketing

L'humanitaire ne donne plus faim : pubards réveillez-nous !

 
Qu’il s’agisse d’affiches dans les trains, les métros, les journaux, de jeunes gens croisés au détour d’une rue fréquentée, ou bien même de billets envoyés directement à domicile), les sollicitations pour des causes humanitaires sont omniprésentes: ces campagnes envahissent notre quotidien de manière à la fois uniforme et agressives… Pourtant, la culpabilisation provoquée par ces opérations ne permettrait plus aux ONG de parvenir à leurs fins (et de nous donner faim d’implication).
Volontouristes et slacktivistes: deux victimes du stéréotype
Le volontouriste est un occidental au grand coeur qui est prêt à payer très cher pour qu’on l’emmène en voyage dans un pays défavorisé ou il distribuera ses bontés. La belle aubaine que ces orphelins malgaches qui permettent de s’offrir des vacances sans culpabiliser. «Avec une goutte d’impérialisme s’il vous plait!»
Le slacktivist est celui qui s’agite au dessus de son clavier pour soutenir, toujours depuis son canapé, les multitudes de causes bio et humanitaires qui s’offrent à son écran. Certes, un like vaut de l’or mais si l’humanisme 2.0 est parfois fonctionnel, on lui reprochera de maintenir ses adeptes dans un état relativement passif. Il est bien facile en effet, de cliquer sur une dizaine de campagnes pour se déculpabiliser et de s’en retourner ensuite à sa pizza. Si par malheur une remarque est lancée, le cynique slacktivist lèvera son sourcil épilé et lancera un nonchalant «Le prix de mon billet pour l’lnde vaut au moins une vie de travail en Éthiopie.» Pas faux.
Doit on donc baisser les armes en rester là? Bien sur que non madame la marquise!
Allons donc scruter le banc des accusés: au premier rang s’y tiennent dignement les stéréotypes.
Breaking news: La pub, ça marche!

Convergence des regards: Coïncidence? Je ne pense pas…
Qu’il s’agisse de l’agence Excel, filiale de TBWA consacrée aux causes humanitaires qui est l’auteur de la publicité des orphelin d’Auteuil ou bien de l’agence Hémisphère pour «action contre la faim», force est de constater que les agences ne font pas toutes preuve d’une imagination débordante: on nous montre souvent des enfants au regard noir, faméliques, dont les plaies béantes dégoulinent du panneau d’affichage. Ils ont bien sûr terriblement besoin de nous et c’est souvent pendant qu’on mange notre sandwich.
À croire que pour pallier le caractère blasé de nos êtres sur-informés, la seule solution est le choc! Pas très agréable mais relativement fonctionnel: Les images de ces petits corps meurtris par la faim et les blessures sont maintenant incrustées dans l’imaginaire collectif.
Certaines mauvaises langues affirmeraient même que cette tendance véhiculée par les médias tend à réduire la notion d’humanitaire à ces sombres clichés… Pas faux, car, comme dit l’adage «il n’y a pas de fumée sans feu»!
De la culpabilisation à la culpabilité
D’ingénieux philanthropes locaux ont brillamment saisi le désir de l’occidental au grand coeur plein de culpabilité et à la tête remplie de campagnes action contre la faim: partir deux mois (rarement plus, ce serait un sacrifice) et entrer en contact avec de misérables et très jeunes orphelins. Ils ont donc saisi cette superbe aubaine qu’est le volontourisme et pris le parti de répondre à la demande: Âme récurée pour la modique somme de 2000 euros les deux mois, eau chaude comprise.
Ces philanthropes agissent notamment dans les orphelinats cambodgiens, où les enfants issus de familles défavorisées sont utilisés comme orphelins pour remplir les structures d’accueil où les volontouristes souhaitent réaliser leurs « vacances humanitaires ».
Vous avez bien compris, en véhiculant invariablement les mêmes stéréotypes, la publicité crée des «consommateurs de misère». Elle est à l’origine d’une véritable « invasion » du monde marchand au sein des activités promues par le monde associatif avec une idéologie et des finalités qui détruisent les principes fondateur de ce secteur.
Que faire alors? Des campagnes originales et humoristiques? Mais peut on rire de la faim, de la misère de la famine? Certainement pas, cependant, y réduire les personnes bénéficiaires des aides humanitaires leur fait affront.
«Stop the Pity, Unlock the Potential, join the campaign
Assez de pitié, élargissons le champ des possibles, rejoignez la campagne.
C’est le slogan d’un organisme humanitaire connu sous le nom de « Mama hope ».
Mama hope fut crée par l’Américaine Nyla Rodgers, suite au décès de sa mère où elle découvrit que cette dernière parrainait plusieurs dizaines d’enfants Kenyiens. Nelly Rodgers a pris le parti de se battre contre la pauvreté mais aussi contre les stéréotypes.. Mama hope met par exemple en scène des femmes Africaines au sein de leur tribu Masai, l’une des plus vieilles tribus africaines. Quelle n’est pas alors notre surprise en les voyant manier le clavier de leur mobile aussi habilement qu’un accro à world of warcraft face à son PC.
Mama Hope développe ainsi une communication plus transparente, ce qui n’apparaît pas comme une démarche superflue au regard des récents scandales que différentes ONG ont connus ces dernières années.
Nous nous rappellerons en effet que lorsque Sylvie Brunel claqua la porte de Action contre la Faim en 2007, elle déclara: «Alors qu’ils sont sensibilisés sur le Soudan ou la Somalie, les donateurs financent en réalité en grande partie tout autre chose. »
Bonne nouvelle: elle n’est pas seule!
Mama Hope n’est pas la seule à avoir développé une ligne de conduite fondée sur la transparence, on compte en effet parmi les adeptes de cette ligne les très hilarants membres de SAIH. Cette «organisation étudiante de solidarité» norvégienne a lancé l’année dernière un appel aux dons ainsi qu’un concours vidéo enjoignant les internautes du monde entier à voter pour la publicité la plus caricaturale, laquelle fut récompensée par la remise d’un officiel « Radiateur rouillé , mais aussi pour la meilleure, dont l’auteur s’est vu remettre un « radiateur d’or ».

 
Alors? Les problèmes générés par les stéréotypes sont multiples, ces campagnes agressives et culpabilisantes génèrent la lassitude, sont dégradantes pour les pays qui y en font l’objet et surtout, elles manquent de crédit.
L’oeil hagard de notre éthiopien étant utilisé comme motif par toutes les associations humanitaires, il prend peu à peu les apparences d’un prétexte, voire pire d’un écran de fumée. Laissez nous manger paisiblement notre sandwich dans le métro. Promis, on vous aidera d’autant mieux si vous ne nous racontez pas de salades.
Flore de Carmoy