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Société

"Des nouvelles merdes, ça reste des merdes"

Le mardi 3 mars dernier, l’adaptation française de l’émission néerlandaise « Adam looking for Eve » a fait son entrée sur la chaîne D8. Le concept ? Trouver l’amour sur une île déserte, le tout entièrement nu. Après « L’amour est dans le pré » et « L’Ile de la tentation », la chaîne a franchi un nouveau cap. Repoussant toujours plus loin les frontières du « politiquement correct », le nouveau bébé de D8 a-t-il autant séduit en France qu’à l’étranger ? Lumière sur cette nouvelle émission, toujours plus voyeuriste et hypocrite.

« Une expérience romantique extrême »
La filiale de Canal + n’y est pas allée de main morte sur la communication autour de ce nouveau programme, en tentant une approche sociologique du concept, à coups d’ « Expérience de retour à la nature », d’ « expérience romantique extrême », de « vérité nue, sans tricherie », ou encore de « renouvellement du genre du jeu de séduction »… Xavier Gandon, directeur des flux et divertissements de D8 a défendu la reprise de cette émission – qui fait un carton en Espagne, aux Etats-Unis et en Allemagne – en nous assurant qu’il s’agit d’un « truc mignon, joli, l’ultime expérience romantique de deux personnes revisitant le mythe du jardin d’Eden […] Il n’y a pas d’argent à la clé : une manière de s’assurer que les gens sont dans une démarche amoureuse ». Ah oui, vraiment ?
« Des gens normaux »
« On a pris des gens normaux », proclamait la chaine dans son communiqué. Alors oui, les participants sélectionnés (sur environ 300 candidatures) ne sont ni maquillés, ni coiffés, ni habillés, et ne font plus du 34-36 mais du 38-40 ; mais ce n’est pas pour autant que leurs corps sont ceux de monsieur et madame Tout-le-monde. Le casting, réservé aux 25-37 ans, privilégie en effet les anatomies plutôt avantageuses, qui ne laissent paraître aucun réel défaut à l’écran. De plus, Marie-Hélène Soenen, rédactrice pour Télérama, nous indique que la production aurait déclaré avoir tout fait pour « éviter les gens en quête absolue de notoriété ». Pourtant, la journaliste nous explique que l’on y retrouve des « Adam et Eve » ayant déjà participé à des émissions comme « Séduis-moi si tu peux », ou encore un ancien « Mister National » qui aurait été candidat au titre de Mister World. Des gens normaux, donc, qui ne sont là que pour trouver l’amour pur et « naturel ».

D’ailleurs, en parlant de naturel, la chaîne proclamait d’être « loin de la bimbo ». Or Lina, 27 ans, première candidate, aurait pris cette émission comme le défi de s’assumer naturelle, elle qui ne sort jamais sans maquillage. Blonde, un brin superficielle et avec une poitrine généreuse, il est difficile de dire que l’on est vraiment loin de la bimbo des autres émissions du genre. A ce propos, nous pouvons noter la réaction « spontanée » d’Anthony, participant à la même émission, qui aurait dit « Pour moi, Lina c’est pas une bimbo, je pense pas en tout cas. Non, je pense que c’est une fille simple ». Serait-ce pour démentir la réflexion d’un journaliste hors champ ? Le mystère reste à élucider.
 
 
« Des nouvelles merdes, ça reste des merdes »
 
Quoi qu’il en soit, l’hypocrisie de la chaîne ne s’arrête pas là. En effet, contrairement à l’émission néerlandaise, la version floute les sexes des participants (ce qui était pourtant la seule chose que les gens attendaient !), ne laissant apparaître « que » leurs seins et leurs fesses. Un programme que D8 ne semble assumer qu’à moitié, donc. « On leur a dit que cela allait être soft, mignon, plein de bons sentiments » précise Caroline Ithurbide, la présentatrice de l’émission, qui espérait surement que le CSA l’entende. Même notre chère Enora Malagré, qui a honte de sa propre chaîne, s’est révoltée sur le plateau de Touche Pas à Mon Poste : « C’est d’une hypocrisie. Moi je suis horrifiée ! Ça y est, pour moi, on a touché le fond ! Pardonnez-moi, mais j’ai honte ! J’ai honte vraiment qu’on diffuse ce programme ! ». C’est vrai quoi, quitte à vouloir faire de l’audience, autant y aller à fond la caisse ! Elle a même rétorqué face à la présentatrice que « des nouvelles merdes, ça reste des merdes ».
 

 
En résumé, on assiste donc à un réel décalage entre les dits de la production et la réalité. Ce nouveau programme qui selon la chaîne devait « renouveler profondément le genre du jeu de séduction », s’apparente clairement aux autres émissions de la sorte – comme si il n’y en avait pas assez – en bien plus mou. En effet, passé la découverte des corps nus, des seins et des fesses, absolument rien ne se passe, l’émission ne voulant pas entrer dans le vulgaire. Qu’est-ce qu’on se marre. Pourtant, le programme est diffusé assez tôt dans la soirée pour permettre à des adolescents de tomber dessus, ce qui a bien évidemment déplu à de nombreux parents.
 
Mais ne nous faisons pas trop de souci, l’émission est actuellement au stade de l’agonie, passant de 1,3 millions de curieux le 3 mars, à 647 000 le 7 avril dernier. Avec une crédibilité zéro, un scénario plus creux qu’un porno amateur et une absence totale de rebondissement, le programme est voué à l’échec. Mais jusqu’où ira la télé-réalité pour faire de l’audience ? La question se pose…
 
Pour les curieux, voici la première émission :

 
Louise Bédouet
@: Louise Bedouet
 
Sources :

 
television.telerama.fr (1) et (2)
teleobs.nouvelobs.com (1) et (2)
leplus.nouvelobs.com (1), (2), (3) et (4)
Crédits photos :

 
images.telerama.fr
referentiel.nouvelobs.com
mcetv.fr
media.melty.fr

L'amour est aveugle TF1
Société

L'amour est aveugle ou le triomphe du corps à télévision

 
Le titre de l’émission nous laisse instantanément entendre que les producteurs n’ont décidément rien compris à cette expression.
Le principe de l’émission est simple : vous trouvez que les programmes de téléréalité sont trop superficiels ? Pas de problème ! TF1 est là pour nous sauver de tous ces artifices, surjoués et inutiles. Il s’agit dès lors de sélectionner 3 femmes et 3 hommes qui ne pourront se rencontrer que dans une pièce totalement obscure où il leur sera impossible de se distinguer les uns des autres. Place à la parole, aux découvertes de l’âme, aux échanges constructifs…
…Mais en fait non. Paradoxalement, c’est bel et bien un éloge de l’apparence que construit ici l’émission. La première chose que les candidats font dans cette pièce sombre n’est pas véritablement de discuter ; que neni! Il s’agit de se toucher, de découvrir les tailles (dans les deux sens du terme), les formes, les signes distinctifs de chacun. Et, peu à peu, c’est évidemment ce contact de la chair à la chair qui se développe : on se caresse, on se tient la main… TF1 a même l’amabilité de laisser traîner une huile de massage dans la pièce ! Tiens donc !

Le film L’art d’aimer d’Emmanuel Mouret, diffusé sur Arte la semaine dernière, nous explique sans le vouloir la fine stratégie de l’Amour est aveugle : être privé du sens de la vue favorise l’abandon du corps et l’éveil des sens érotiques. Dès lors, nul besoin de pousser les participants au contact physique par de quelconques directives : les candidats s’y livreront d’eux-mêmes.
De plus, bien que les jeunes cobayes se parlent, échangent quelques informations triviales sur leurs opinions de l’amour idéal, les conversations tournent vite autour, précisément, du fantasme de l’apparence : à quoi peut-il bien ressembler ? Comment va-t-il me trouver ?
N’oublions pas que le point d’orgue de l’émission est précisément celui de l’apparition du corps de l’autre. La mise en scène  est d’ailleurs si exagérée qu’elle en est presque embarrassante. Une douche de lumière dévoile les candidats dans une sorte de halo surnaturel, le tout rythmé par une musique tonitruante, mélodramatique au possible. On filme la réaction du prétendant qui se trouve face à sa possible âme-sœur enfin révélée et, là encore, on montre que le corps est essentiel : il provoque des effets, il conduit à des réactions, il existe  et fait exister. Un dévoilement de l’autre au sens propre.

Mais le regard le plus intéressant dans cette émission reste celui du téléspectateur. En effet, déjà habitué à être propulsé  en situation de voyeur vis à vis des émissions de téléréalité, ce voyeurisme est ici poussé à son paroxysme. Non seulement le spectateur voit les candidats alors que les candidats ne voient pas le spectateur et n’ont pas toujours conscience de son regard, mais il va jusqu’à observer les interactions des participants quand ces derniers ne se voient même pas entre eux ! Ce regard intrus est d’autant plus délectable qu’il est englobant voire même emprisonnant. Le spectateur surveille une situation qui échappe à ses participants.
On ne peut s’empêcher de songer ici à une scène clé de « La Princesse de Clèves » de Madame de Lafayette. La princesse, légèrement dénudée, ne se doute pas qu’elle est observée par le duc de Nemours. Mais le duc de Nemours ne se doute pas qu’il est lui-même déshabillé par le regard du lecteur.
Le contrat de lecture, dans le livre comme dans l’émission, reste le même : offrir au regardant l’impression qu’il est le seul à avoir tous les éléments clés pour saisir ce qui est en train de se passer ; donner l’illusion, en quelque sorte, d’être un narrateur omniscient.
De fait, n’est-ce pas le téléspectateur le véritable aveugle de cette émission ?
 
Chloé Letourneur