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Société

Wax Tailor, la révolution numérique s'exprime aussi par la musique

La révolution numérique est paradoxale. Certes, Internet, les blogs, les smartphones et Twitter ont révolutionné notre rapport à l’écrit et sacralisent une écriture intuitive, rapide et fragmentée; mais ces mêmes outils s’inscrivent dans une tradition de l’écriture et revendiquent bien souvent des référents anciens (l’icône correspondant à la composition d’un nouveau tweet est celle d’une plume et d’un parchemin).
Toutes les formes d’art sont touchées par le paradigme propre au numérique de l’articulation du passé et du moderne. A l’heure ou David Fincher est qualifié de cinéaste du numérique; dans le milieu musical aussi, l’innovation prend forme. Les musiques dites « électroniques » sont une fusion détonante entre la nostalgie et l’innovation. Wax Tailor explique très bien cette synthèse, lorsqu’il expose dans le blog de l’Atelier, son double rapport au vinyl et aux platines: « Il faut garder le meilleur des deux mondes […]. J’ai une collection de Mp3, des outils qui me permettent de voyager léger. Quand je vais faire un DJ set, je vais être capable d’aller jouer avec des fichiers […] mais cela ne m’empêche pas de collecter des vinyls. Il y a un rapport affectif à l’objet, à son histoire. C’est quelque chose qu’on ne peut pas nous enlever. » 
Zoom sur Wax Tailor, alias Jean-Christophe le Saoût, compositeur et Dj mixant le trip-hop, le hip-hop et la down tempo. Voici 6 raisons pour lesquelles sa musique me semble particulièrement emblématique des nouvelles tendances la révolution numérique.
 
• La duplication et la répétition
 
Dans la chanson We be (clip ci-dessous), l’anaphore du « We be », la répétition du même discours en fond (« Power to the people! ») semble faire écho au matraquage médiatique, au flux incessant des réseaux sociaux… Cette pratique est à lier à celle du morcellement, du découpage en petites unités, qui est au fondement d’un média comme Twitter. Wax Tailor utilise des petites phrases répétées inlassablement, des répliques de films sorties de leur contexte et re-mixées avec d’autres paroles. Ces segments sont comme ces phrases volées par les médias et journalistes, partagées et naviguant d’utilisateur en utilisateur grâce au partage et au retweet, qui personnifie pleinement cette notion de fragmentation.
 
• L’importance de l’écriture
 
La pratique de l’écriture est une forme de communication hyper prégnante et magnifiée par les nouveaux médias (le règne du commentaire, de l’ « exprimez vous! », l’application « Notes » pour les Iphones designé comme du papier brouillon…)
Dans l’univers visuel de Wax Tailor, c’est une forme de communication efficace. Dans ses clips, on retrouve souvent de l’image et du texte mixés ensemble. Dans Positively Inclined (2e clip ci-dessous), le graphe est mis en valeur, et les mots qui s’inscrivent ont un pouvoir performatif qui doit donner l’inspiration au rappeur-poète :« inspiration », « insulation », « intonation »…
 
• Les thématiques du rassemblement
 
Dans son morceau We be, les paroles expriment un besoin de se regrouper autour d’une identité commune, de se rassembler en transcendant les différences: « We be… Joinin’ the endless convoy of cultural hegemony. »; « We be…oh so many… like the multitudes of souls, lost… in the wars of men…/Over gold, over power, over god & hate/; « Why can’t we be more peaceful? Why can’t we be… nicer… to one another? Why can’t we be… we be… what we were meant to be: LOVE ». C’est un discours souvent tenu par les nouveaux médias et qui se matérialise par la création de plus en plus de communautés virtuelles qui transcendent les nationalités, les âges, les idées politiques pour se concentrer sur d’autres intérêts tel que la musique, justement.
 
• L’emprunt, le patchwork
 
« Wax Tailor », le tailleur de cire en anglais: la matière est celle qui est commune à tous. Ici, le tailleur, c’est celui qui mixe, qui fait un montage, un patchwork: les musiques de Wax Tailor sont un vrai « melting pot » d’influences diverses et d’emprunts.
Dans le clip Positively Inclined, cette pratique est illustrée par le flux de couleur noire, le matériau de l’inspiration musicale qui passe de personnage en personnage, de l’objet à l’humain dans un mouvement constant de va-et-vient. On rejoint la pratique du partage, qui est commune à tous les médias 2.0.
 
• L’héritage du passé
 
Cet emprunt se fait selon des référents universels, une sélection parmi une culture populaire qui symbolise notre héritage.
Comme les multiples applications smartphones opérant un fascinant retour au vintage (Vintage caméra, Instagram), Wax Tailor utilise (et c’est bien sa marque de fabrique) des répliques de films (la plupart des années d’après-guerre: Welles, Lubitsch, Ford, Hitchcok.. ou des années 70 Forman, Cassavetes) pour ponctuer des rythmes innovants. De plus, il recycle des musiques cultes (comme le « Feeling Good » de Nina Simone dans How I Feel).
 
• Le laboratoire de l’innovation : réaliser un synthèse
 
Mais ces emprunts nostalgiques ne s’inscrivent justement pas dans une vision passéiste et poussiéreuse.
Le collectif franco-suisse-argentin de tango Gotan Project est un autre exemple d’artiste de la génération 2.0. Ils expliquent en 2010, interviewés par l’Express, que le titre de leur dernier album « Tango 3.0 » « symbolise la collision entre l’ancien et le moderne, le tango qui a un siècle d’histoire et le Web 3.O qui commence tout juste la sienne. Notre parti est celui d’une expérimentation autour du tango et de la musique électronique. ». En mixant par exemple des instruments très traditionnels avec du rap ou de la techno minimale allemande, le projet de Gotan Project peut somme toute, résumer celui des NTIC: elles innovent et créent des usages sans précédant, mais restent néanmoins fidèles aux usages hérités du passé, s’inspirent de traditions instituées pour les faire rentrer dans des nouveaux cadres, ceux de la modernité.

Wax Tailor « We Be » By Mathieu Foucher

Wax Tailor, « Positively Inclined » by Tenas
 
Camille Principiano

Sources :
« l’Express.fr » : interview de Julien Adigard
« le blog de l’Atelier », Lila Meghraoua