Société

Idoles

 
J’entends souvent pester contre le football. Trop de violence, trop d’argent, trop de médiatisation, répète-t-on à satiété. A entendre certains, on tiendrait presque là l’origine de tous les maux terrestre, ou du moins d’un bel échantillon. Alors, ils s’inquiètent, ils méprisent, ils s’insurgent, ils condamnent, ils dénoncent… Ils s’acharnent et pourtant il tourne, le ballon rond, il continue de tourner, et d’entraîner toujours autant d’enthousiasme et d’adhésion à sa suite. Alors quoi ? L’humanité est-elle devenue irréparablement vicieuse ?
Ce n’est apparemment pas l’avis de l’Archevêque de Rennes qui, pour la Pentecôte, a décidé d’organiser un grand rassemblement au Stade de le Route de Lorient, où se retrouvent d’habitude plutôt… les supporteurs du Stade Rennais (football club local pour les incultes en la matière, qu’on pardonnera vu le contexte). C’était sûrement beaucoup déjà pour certains défenseurs de la vertu dans le sport mais Mgr Pierre d’Ornellas ne s’est pas arrêté là : il a choisi d’axer la communication de l’événement sur la proximité entre football et foi.
Ainsi, l’agence Yeti a été mandatée pour concevoir plusieurs visuels, dont l’un représente un groupe de faux joueurs du Stade Rennais. Un des ces joueurs est photographié de dos, les bras en croix, portant un maillot sur lequel est inscrit « messie » et voit ses coéquipiers converger vers lui. En bas de l’affiche est inscrit : « un seul but : le rencontrer. » Pour le quotidien Ouest France, l’idée est simple : « le diocèse de Rennes joue l’humour pour la Pentecôte. » D’ailleurs, Yann Béguin, responsable de la campagne, le confirme : « on a choisi de jouer sur le décalage et sur l’humour. Cela participe à notre volonté de toucher un public plus large que celui de nos fidèles. » Et en effet, l’image surprend, interpelle et prête à sourire.
Du coup, elle marque, elle s’imprime dans la mémoire du public. C’est la théorie mathématique de la communication : moins une information est attendue plus elle est intéressante. L’humour, dans un univers qu’il ne caractérise pas, est donc un moyen redoutablement efficace pour attirer l’attention. Le public n’est pas habitué à ce que les autorités religieuses usent de cette tonalité. Il est donc nécessairement marqué par le message. Par ailleurs, l’utilisation métaphorique de l’univers du football joue sur la même mécanique. Audacieuse, elle fait le « buzz, » et donc recette.
Cette métaphore est d’ailleurs particulièrement intéressante. Le choix du football n’est pas anodin, loin de là. En effet, s’il soulève autant de passion, d’enthousiasme et de controverses, c’est que ce sport a une place bien particulière dans nos sociétés. Il n’en est d’ailleurs plus tout à fait un sans doute ou plutôt, plus seulement un. Le football est un spectacle et donc une histoire que l’on raconte sur scène, mais aussi avant et après la représentation. Le parallèle se dresse aisément avec l’Évangile, qui est avant tout un récit, qu’on lit ou non en croyant. Ainsi, Lionel Messi, actuel superstar du football planétaire, n’est pas seulement un athlète doué mais aussi une figure mythologique, adulée par des milliers de gens. Sans faire d’un footballeur le nouveau Christ, il y a ici un lien fort et donc une résonance. En effet, la force du football, ce qui explique peut-être son hégémonie, c’est sans doute qu’il est un spectacle fait réalité, ou une réalité faite spectacle. Les personnages du roman du football sont réel, comme l’est le Christ pour le croyant. On touche là à un fantasme fondamental de l’humanité : voir son imaginaire devenir réalité.
Autre similarité, la religion, comme le football, n’est pas seulement un lien vertical, elle est aussi un lien horizontal. Le culte fait la communauté, la rassemble et la soude. Si la tenue d’un événement religieux dans un stade peut étonner en premier lieu, elle fait en fait entièrement sens si l’on y pense bien. Le stade est cet endroit où tous se rassemblent, se regardent, et se reconnaissent. Chose intéressante d’ailleurs, la télévision n’a jamais réussi à le vider. L’expérience du match à huis-clos télévisé est d’ailleurs toujours assez troublante pour l’amateur. C’est que le football, dans les travées ou devant la télévision, est comme la cérémonie religieuse un moment d’émotion collective intense, où l’on chante, où on exprime avec les autres des sentiments. Si le football a du succès, c’est aussi parce qu’il remplit cette fonction. Au détriment du culte, réduit à le copier ? Vaste question sans doute.
Quoi qu’il en soit, figures mythologiques ou pairs, un seul but en fin de compte : les rencontrer.
 
Romain Pédron
Sources :
Pentecoteensemble.fr
Yetibox.com

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