Contre bien-pensants : Houellebecq, Zemmour, Finkielkraut
Société

Le Déclinisme a la côte !

Ils sont partout : sur vos écrans, dans vos journaux, à la radio, sur les réseaux sociaux… Ils sont pamphlétaires, romanciers ou encore philosophes. Ils s’appellent Alain Finkielkraut, Eric Zemmour, Michel Houellebecq ou encore Michel Onfray. Ils se revendiquent contre bien-pensants et ont pour ennemi commun la bien-pensance.
L’ennemi commun
Les contre bien-pensants se définissent en opposition à ceux qu’ils désignent comme étant l’ennemi du peuple français : les bien-pensants. De Bernanos à Finkielkraut, en passant par France culture, Zemmour et Dieudonné ou encore la droite, le terme « bien pensant » semble être devenu un « mot-valise ». Ce terme fortement lié à une critique de l’immigration, désigne aussi le politiquement correct ou encore pour Finkielkraut, un refus de la réalité, « tout ce que l’on n’a pas le droit de savoir ». Pour ce dernier, le contre bien-pensant est un marginal qui risque d’être qualifié de raciste. Le bien-pensant semble donc plutôt de gauche et on lui dispute la légitimité de sa parole morale.
L’assaut de l’espace public
Aujourd’hui le contre bien-pensant est partout. Il fait la Une de nos journaux, il est invité dans de nombreuses émissions. Il y a peu de temps, Libération titrait « Nos réponses à Michel Onfray », Le Point quant à lui annonçait « Régis Debray achève la gauche ». Ou encore plus récemment, L’Express faisait son dossier sur « La grande colère des intellectuels, Alain Finkielkraut contre les bien-pensants ».
La programmation de l’émission « On n’est pas couché » est particulièrement révélatrice de cette place grandissante. Les invités des dernières semaines n’étaient autre qu’Alain Finkielkraut, Michel Onfray et Michel Houellebecq.
Les contre bien-pensants plaisent. Ils sont aussi incorrects que structurés. Ils écrivent des livres et siègent à l’Académie Française avec Alain Finkielkraut. On a beau les détester, on ne peut que l’admettre : ils parlent bien. Finkielkraut écrit particulièrement bien, et Zemmour est un orateur remarquable. Ce sont de véritables « intellectuels médiatiques », comme on peut le lire dans Le Monde.

Une alternative aux politiques ?
Il y a quelques semaines, Valeurs actuelles faisait sa Une avec Zemmour et cette exclamation : « Zemmour Président ! ». Les penseurs médiatiques semblent avoir pris une telle place dans l’espace public, qu’on pourrait les envisager à la tête du pays : « Les hommes politiques ont peu d’importance, et plus on avance et plus ils reculent », scande Zemmour. La présence politique grandissante de Zemmour ou encore d’Onfray reflète le contexte de notre époque. La défiance dans notre pays est telle que l’on en vient à penser que ces personnes seraient sans doutes mieux placées pour nous gouverner, exit l’ENA. Une chose est sûre, ces intellectuels prennent désormais plus de place dans l’espace médiatique que les politiques.
Mais pourquoi ? Pourquoi sont-ils partout à l’instar des politiques ? Dans le milieu de la télévision on le sait, il ne faut pas trop de politiques, personne ne veut les regarder. Les raisons pour lesquelles ces intellectuels font systématiquement la Une de nos journaux sont similaires : nul doute que les ventes du Point se portent particulièrement bien en ce moment.

Les contre bien-pensants un mouvement ?
Dans son ouvrage Ce pays qui aime les idées. Histoire d’une passion française, Sudhir Hazareesingh, professeur à Oxford, soutient que ce qu’il se passe actuellement avec les contre bien-pensants en France est très particulier. D’abord parce que cela s’apparente à un mouvement très bien construit, « mouvement quasi philosophique du déclin ». Il s’agit d’un pessimisme qui s’inscrit dans une sorte de tradition nationale que nous connaissons bien : amour des raccourcis, de la diabolisation et des visions apocalyptiques qui tendent à dire que la France est en déclin. Si il existe beaucoup d’anti-modernes nostalgiques d’un certain âge d’or, d’une culture passée à travers l’Europe, cela reste des idées réactionnaires de droite. En France, ce n’est plus le cas. Il s’agit plus d’un mouvement à l’ambition intellectuelle au delà des clivages politiques, notamment avec Michel Onfray, dont certains se demandent si il n’est pas passé à droite. De plus, ce mouvement est très franco-français. En effet, Zemmour, Onfray ou encore Finkielfraut sont très peu lus à l’étranger. Ils écrivent à destination des français. La vie intellectuelle française est maintenant centrée sur la France et son rayonnement international relayé au second plan.
Une dynamique réactionnaire dépassée
Il ne fait aucun doute que nous avons besoin d’une critique construite de la bien-pensance. Le politiquement correct ne doit pas réduire de manière drastique notre liberté d’expression. Néanmoins, on peut douter de l’efficacité et de la justesse de celle des contre bien-pensants. Le plus étonnant chez eux, c’est qu’ils se réclament républicains et laïcs. Or, cela paraît en opposition totale avec leurs idées anti-modernes. Les valeurs républicaines ne sont-elles pas bâties sur la foi en le progrès et l’égalité ?
Ce mouvement s’est construit par opposition. Ces intellectuels élevaient leurs voix contre tous, se posaient en marginaux. Est-ce encore le cas ? La bien-pensance n’est plus le discours dominant en France, bien au contraire. Face à cette véritable invasion de l’espace public par les contre bien-pensants, qui y a-t-il en face ? Il n’y a plus de débat, car plus de contre-discours. Ces intellectuels contrairement à ce que beaucoup croient, n’ont pas un discours libérateur. C’est ce dont témoigne leur volonté avide d’ordre et de retour en arrière.
Yasmine Guitoune
Sources : 

Le Monde, « A droite comme à gauche, la bien-pensance n’est plus le discours dominant », Nicolas Truong, 26.09.2015.

Le Monde, « Quand les polémistes supplantent les politiques », Thomas Wieder et Ariane Chemin, 26.09.2015.

Le Monde, « Les antimodernes ont cannibalisé l’espace public », Thomas Wieder, 26.09.2015.

L’Express, « La grande colère des intellectuels », N°3353 semaine du 7 au 13 octobre 2015.

Marianne, « Réacs et bien-pensants », Jacques Juilliard, 10.10.15.

Crédits images : 

Photo de une : marclarge.fr. 
Libération
L’Express
Le Point
Valeurs actuelles

zemmour fnc
Agora, Com & Société

L'affaire Zemmour ou les dérives d'un chroniqueur

Le 15 décembre 2014, Jean-Luc Mélenchon publiait sur son blog un article intitulé « Zemmour se lâche en Italie : déporter 5 millions de musulmans ? Ça peut se voir ! ». Il y dénonce les propos tenus par le polémiste Eric Zemmour dans une interview donnée au journal italien Corriere della Serra le 30 octobre 2014. Celui-ci n’a pas hésité à suggérer la déportation des musulmans de France qui vivraient « en communauté », obéissant à leurs propres règles et poussant les « Français » à s’en aller. Le chroniqueur d’ITélé qui n’en est pas à son galop d’essai en matière de propos provocateurs s’est vu renvoyer de la chaîne après que les journalistes de RTL se soient « désolidarisés de ses propos ». Cette affaire n’est pas sans rappeler l’affaire Dieudonné en ce qu’elle nous interroge sur la liberté d’expression dans les médias. Mais surtout, elle parait être le symptôme d’une dérive du rôle des médias en ce qu’ils rendent légitime et possible cette parole, lui offrant une très large diffusion au sein de l’opinion publique.
De la légitimation par la télévision
L’émission Ça se dispute ne sera plus diffusée. La chaîne du groupe Canal+, ITélé, à mis fin à sa longue collaboration avec le polémiste et chroniqueur Eric Zemmour. La directrice de la rédaction de la chaîne, Céline Pigalle, pointe du doigt l’ampleur et l’écho inquiétant qu’ont pris les propos d’Eric Zemmour depuis quelques temps : « Le dialogue [avec Eric Zemmour] est devenu de plus en plus difficile, voire impossible. On a l’impression qu’il se parle à lui même et à son public » confit-elle au Monde. Elle rappelle que Ça se dispute est une « émission de débat ».

Au delà de la véracité ou de la fausseté de ses propos, se pose la question de la légitimité d’Eric Zemmour à se prononcer sur des sujets politiques ou de société. C’est là qu’intervient le dispositif de « l’émission de débat » qui octroie aux différents participants un statut et les autorise à parler. Le statut d’Eric Zemmour est celui de « journaliste-chroniqueur ». On pourrait penser qu’il s’agit d’un journaliste spécialisé dans un domaine de la vie sociale en mesure d’apporter des explications plus approfondies, des analyses plus poussées que de simples commentaires en rapport avec des faits d’actualité. Il devrait marquer une certaine distanciation, qui est celle des intellectuels et des chercheurs, ainsi que confronter de manière constructive différents points de vue en dehors de la polémique, des réactions à chaud et provocatrices. Cela n’empêche pas le journaliste d’agrémenter sa chronique, ses propos ou son article d’un point de vue un peu plus personnel du moment que celui- ci se distingue d’une analyse plus objective et générale de la situation. C’est le cas, par exemple, du journaliste Bernard Guetta dans sa chronique Géopolitique sur France Inter.
Un journaliste ne peut pas prétendre porter des jugements définitifs, c’est une question de déontologie. La « désolidarisation » des journalistes de la radio RTL relative aux propos d’Eric Zemmour le 17 décembre, marque la distance que les professionnels prennent non seulement avec ses propos mais aussi avec ses méthodes.
La disparition des intellectuels et le culte du clash
Dans un son ouvrage La destitution des intellectuels paru en 2010, le philosophe Yves Charles Zarka dénonce la disparition des véritables intellectuels « dotés d’une autorité morale incontestable […] mus par un simple idéal de vérité ». Ceux-ci auraient disparu au profit de « prédateurs médiatiques, qui s’auto-définissent, arbitrairement, comme des intellectuels ». Une des explications à ce phénomène pourrait être la marchandisation inhérente au capitalisme des entreprises de médias. En effet, il semble que la plupart des chaines, notamment privées (TF1, Canal+…) soient motivées par des finalités financières et non pas d’intérêt général. Il s’agit de faire de l’audience et non d’instruire les publics. La polémique fait vendre : grâce à Zemmour, ITélé à dépassé l’audience de BFM TV, sa concurrente.

Cela peut paraitre dangereux pour la démocratie en ce que les dispositifs médiatiques rendent légitime la parole de ceux qui s’expriment dans les médias. Eric Zemmour apparait comme un symptôme de ce phénomène : Ça se dispute n’est pas une émission d’information ni un débat démocratique mais plutôt un divertissement où sensationnalisme et provocation semblent être les mots d’ordre. Même si l’infotainment est sensé faire cohabiter information et divertissement, il semble que la deuxième notion ai largement pris le dessus et que les chaines de télévision, en mélangeant les genres, permettent à ce type de personnalité de monopoliser la parole médiatique.
Le faux argument de la liberté d’expression

Suite au renvoie d’Eric Zemmour, ses défenseurs s’offusquent : Zemmour représenterait le malaise de la société française, une société malade dont les valeurs sont menacées par l’immigration, la « bien pensance » et la gauche au pouvoir. Il aura fallu peu de temps pour que le FN dénonce une « censure » (Marine Le Pen sur Twitter). Pour Louis Alliot c’est une « atteinte au pluralisme des idées ». L’argument de la censure ou de l’atteinte à la liberté d’expression parait assez bancal. En effet, la liberté d’expression dans un « débat démocratique » suppose un droit de réponse, de réplique ou du moins un adversaire. Or, c’est loin d’être le cas du compère de Zemmour, Nicolas Domenach dans l’émission Ça se dispute dont le ton semble assez complaisant. Pour finir, la liberté d’expression interroge la légitimité de celui qui parle : Eric Zemmour n’est pas un homme politique qui exprime des convictions. Les propos populistes d’un homme au statut de « journaliste » ou de « chroniqueur » sont plus dangereux que ceux de Jean-Marie Le Pen par exemple, en ce qu’ils se veulent plus objectifs et influenceront d’avantage l’opinion.
Alice Rivoire
Sources :
lemonde.fr
médiapart.fr
lefigaro.fr
lepoint.fr
Crédit photo:
lemonde.fr
closermag.fr
francetvinfo.fr