Société

Les shampoings à barbe passés à la loupe

 
En ce décembre 2012, l’antenne zurichoise de la célèbre agence publicitaire Publicis vient de publier une campagne d’affichage de trois visuels assez atypiques à la demande du client Garnier. Pour la promotion de leur nouvelle gamme Fructis, les shampoings Garnier ont fait le pari d’une campagne drôle et décalée. Et il faut dire que le pari est réussi. Le slogan reste le même « Prends soin de toi. » mais l’accroche « Pour tous types de cheveux » prend ici un tout nouveau sens. En effet, les images publicitaires mettent en scène trois personnages masculins, un roux, un brun, un blond (afin de respecter la sacro-sainte trinité) possédant chacun une magnifique barbe ondulante. Au lieu des traditionnels cheveux de femme, Garnier semble ici adresser ses vertus nutritives aux hommes et à leurs barbes. Quelle est la raison ? Une envie d’élargir leur cible ? De développer une approche universelle et mixte ? De briser le conservatisme des codages sociaux ?
Que nenni. En analysant un peu plus les prints ci-dessus, force est de constater que la stratégie marketing employée ici par Garnier n’est pas tant de diversifier ses consommateurs que d’en donner l’illusion pour mieux flatter leur cible originelle et fidèle : les Femmes. Par la mise en place d’un territoire publicitaire humoristique et décalé, Publicis développe ainsi une campagne en plusieurs couches visuelles, très subtile et subversive.
Le double parcours de lecture
Si notre premier contact visuel se focalise sur la pilosité des barbes soyeuses de ces messieurs, notre deuxième contact nous révèle l’astucieux trompe-l’œil. Il faut en effet quelques secondes à notre oculaire pour assimiler le fait que cette crinière appartient à une femme vue de dos que l’homme serre contre lui. Cet effet d’optique opère une séparation très nette entre les deux couches visuelles et donc relève une disparité analytique. Ce double parcours de lecture est un classique dans les analyses iconiques (cf : le schéma de Freud ci dessous qui contient consubstantiellement un homme à lunettes et une femme nue). Le deux en un trompeur assoit et légitime une profondeur de l’interprétation de l’image. Le deuxième plan devient alors plus important que le 1er car secret et sujet à réflexion. Ici, le cœur de l’affiche, celui qui fait objet de devinettes et qui ne se laisse pas découvrir au premier abord, n’est rien d’autre qu’une femme …

Garnier, des shampoings féministes ?
À l’image d’un Brad Pitt devenu nouvelle icône du parfum Chanel n°5, les publicités pour femmes développent de nos jours une nouvelle tendance féministe : introduire des hommes pour être les mannequins de leurs produits à l’instar des produits masculins qui eux ont depuis toujours utilisé les femmes pour attirer les panels de mâles dans leurs filets. Peut-on y voir là un moyen de contrecarrer le sexisme en renversant les codes ? Chez Garnier, l’homme devient appât et cela donne un côté jeune et dynamique en affirmant sans tabous la sexualité décomplexée des femmes. En effet, chez Garnier, ce ne sont plus des femmes qui parlent aux femmes des secrets de beauté dans un langage mièvre mais une émancipation sexuelle qui s’affirme : il faut des hommes pour attirer les femmes. C’est l’affirmation de l’homme-objet dans la publicité. Au lieu d’engendrer la femme à ressembler à un idéal féminin dicté par des lois canoniques, Garnier lui tourne le dos (sans mauvais jeux de mots) et masque le visage de la femme pour affirmer celui de ses désirs : l’homme, qui lui nous regarde face caméra. Pour autant, la publicité ne se fait pas anachronique car celle qui détient les cheveux et qui est au cœur de l’interprétation iconique reste la femme. Cette instrumentalisation de l’homme, qui devient un simple accessoire pour la femme, permet un renversement des codes genrés traditionnels.
Les trois prints publicitaires de Garnier se révèlent ici très brillants : leur forme, iconique et esthétique, sert ici le fond à savoir le message symbolique délivré. En effet, l’analyse à deux étages de l’image dont le centre est la femme, permet de révéler et de souligner la profondeur de l’interprétation féministe.
Une campagne intelligente et vraiment pas « barbante » …
 
Claire Lacombe

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