Société

Tu la veux celle-là ?

 

Il y a une dizaine de jours, la Fondation pour l’Enfance lançait la diffusion d’un spot déjà copieusement discuté, « La Gifle », avec une frappante (mes excuses) phrase finale : « Il n’y a pas de petite claque ».

Moins mélodramatique que le précédent coup d’éclat de la Fondation (2011), ce spot joue cependant sur le même ressort essentiel, que l’on retrouve dans la majorité des opérations de sensibilisation : le choc.

Comme « Under my skin » de la British Heart Foundation en 2009, « Kan c non, c’est… » du CFCV la même année, ou encore le remarqué « Insoutenable » de la Sécurité Routière en 2010, les avatars des différentes formes de prévention ne peuvent échapper à ce registre s’ils prétendent toucher efficacement les publics. C’est par exemple ce qui a été vérifié par Karine Gallopel et Christine Petr dans L’utilisation de la Peur dans les campagnes de Prévention : la peur, associée à une phrase, une image ou un concept qui la cristallise et la rattache à la banalité du quotidien, n’a pas son pareil pour faire changer les comportements.

Mais l’ennui avec une gifle – qu’au reste beaucoup trouvent salutaire dans le spot – c’est qu’elle ne porte aucunement les mêmes enjeux que les exemples cités plus haut : à moins d’être extrêmement commune (mais nous basculons alors dans la maltraitance pure et simple), elle ne sera jamais synonyme de mort, de crime ou de vie détruite.

Les statistiques abondent pour relier déséquilibres, alcoolisme ou violences à l’âge adulte avec la réception de claques durant l’enfance, mais il est bien sûr proche de l’impossible d’établir rigoureusement le cheminement d’un éventuel traumatisme.

Il en va de même pour les avis d’experts qui se manifestent autour de la campagne : la gifle serait un aveu d’échec pour l’adulte et un apprentissage de la violence pour l’enfant, mais ces suppositions laissent chacun libre d’y aller de son contre-exemple personnel.

Et c’est par ce biais que la campagne est censée se rattraper : le commentaire. Là où le spectacle d’un accident sanglant sur la route est avant tout reçu personnellement par le spectateur, une simple déclaration appelle au contraire à la conversation. « Il n’y a pas de petite claque » devient le motto à abattre ou à défendre selon celui qui l’aborde, et chaque internaute peut se laisser aller au plaisir double de contredire quelque chose et de le faire à coups d’exemples à première vue pertinents, tirés de sa vie ou de celles de ses proches. L’agitation qui en résulte peut même être récupérée par les médias qui lui donnent voix, puisqu’elle est un prétexte parfait pour matérialiser l’existence d’une communauté sur, par exemple, un site d’actualités.  Une sorte de Big Picture (The Guardian, 2012) à moindres frais.

Si le message de « La Gifle » en lui-même n’aura probablement qu’une portée discutable, le spot n’est pas un Flop complet. Car à travers les critiques soulevées, la Fondation pour l’Enfance a réussi à faire entrer une nouvelle discussion dans l’espace public – même la « petite claque » a son intérêt, car elle ne forme qu’une phrase courte, plus proche du proverbe que du slogan et qui peut aisément devenir un lieu commun dans les conversations – c’est exactement ce qu’ont accompli, en leur temps, le « Non c’est non » dans un contexte d’agression sexuelle, ou le « Si j’étais un homme, tu me parlerais comme ça ? » en matière de sexisme. Reste à savoir si la mayonnaise prendra sur le long terme.

Et pour le plaisir de soulever la question, il est tentant de se demander quelles adaptations cette recette pourrait connaître. Si la gifle parentale peut devenir si aisément le centre de l’attention, quels autres messages pourraient être transformés en proverbes de sagesse populaire ?

 
Léo Fauvel
Sources :
RTL
France Info
La Croix
Causeur

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