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Déclarons la guerre au vulgaire !

Le langage vulgaire, jusqu’alors plutôt mobilisé dans le cadre de conversations informelles et par des citoyens « lambda », tend aujourd’hui à se généraliser dans les hautes sphères de la société. Rappelons qu’à travers l’expression « langage vulgaire » j’entends un langage peu châtié. En effet, personnalités médiatiques mais également hommes politiques s’autorisent de plus en plus de familiarités voire de grossièretés assumées.
Le point d’amorce de cette tendance peut sans doute être attribué au mythique « Casse toi pov’ con ! » prononcé par Nicolas Sarkozy au Salon de l’Agriculture en 2008, alors qu’il exerçait la plus haute fonction de l’Etat. Si à l’époque, cette apostrophe avait suscité un tollé médiatique, pas sûr que l’on s’émeuve autant du manque de correction dans les discours publics d’aujourd’hui.

Des (mauvais) leaders d’opinion

Rappelons qu’en termes d’image et d’exposition médiatique, les hommes politiques ont une certaine responsabilité vis-à-vis du grand public. Sans tomber dans une caricature du schéma élite/plèbe, il faut garder à l’esprit que leur parole influence le reste de la population et véhicule, voire constitue un certain modèle. Ces personnalités sont porteuses d’un discours légitime (ou du moins censé l’être) destiné à être diffusé publiquement, et donc à être écouté par un grand nombre de la population. En cela, toutes les figures médiatiques doivent jouer un rôle exemplaire par leur rhétorique.
Pourtant, des expressions sèches et désinvoltes telles que « ça va pas la tête » ou « c’est n’importe quoi » sont devenues monnaie courante au sein l’espace public, il semble même qu’on assiste à une normalisation de la pure et simple grossièreté. Dernièrement, c’est Alain Rousset, président socialiste de la Nouvelle-Aquitaine, qui a fait parler de lui en scandant « Celui qui s’exprime là-dessus depuis cinq ans, devrait la fermer ». Ces propos au sujet de la courbe du chômage et de la croissance, ont retenu l’attention des médias parce qu’on les supposait adressés à François Hollande. Rousset dira ensuite qu’il songeait au Ministre de l’Economie, Michel Sapin – comme si l’identité du destinataire modifiait quoi que ce soit au caractère déplacé d’un tel discours.
La vulgarité langagière revêt également des formes plus insidieuses ; on songe aux remarques méprisantes d’hommes politiques envers certaines franges de la population (souvent les mêmes), comme ce fut le cas d’Emmanuel Macron en mai 2016 à l’encontre des grévistes qui le prenaient à parti. L’ex ministre de l’Economie n’a pas su garder son sang-froid et s’est permis de répondre : « Vous n’allez pas me faire peur avec votre tee-shirt : la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ». Une injonction qui révèle sans délicatesse un certain mépris de classe…
Enfin, n’oublions pas le déchaînement sémantique à coups d’insultes et de sifflements qu’ont respectivement subis Cécile Duflot et Pamela Anderson lors de leur passage à l’Assemblée Nationale en juillet 2012 et en janvier 2016. Un laps de temps de plus de trois ans qui suffit à illustrer une forme de décadence qui se diffuse au sein de toutes les strates de la société. Le tweet de Frederic Nihous, membre du parti Chasse, Pêche, Nature et Traditions (CPNT) à l’égard de Pamela Anderson suffit à décrire la situation : « Une dinde gavée au silicone parade à l’assemblée contre le gavage des oies… Quelle farce ! Qui en sera le dindon ? ».

Quand l’exception devient la norme

Le manque de correction n’est pas un fait entièrement nouveau, si ce n’est qu’il se diffuse désormais dans toutes les couches de la société à grande vitesse. En mai 1991, Edith Cresson, alors Première Ministre de Mitterrand, proférait en ces termes : « La Bourse ? J’en ai rien à cirer ! ». Il ne s’agissait encore que d’un cas isolé. Aujourd’hui, la tendance générale à la dérision et à la peoplisation est vectrice d’une normalisation de ce type de langage, et pire encore, d’une acceptation tacite de la vulgarité et des insultes comme outils de communication.
Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. D’abord, il s’agit d’une forme de démagogie de la part de certaines élites politiques, le registre familier est utilisé dans le but de plaire au peuple. Il s’agit de se fondre dans la masse, de se mettre à leur niveau, un moyen de susciter l’identification, des plus condescendants finalement. Plus largement, on peut associer la recrudescence du langage familier au déclin des idéologies et à la perte de substance du débat politique. On assiste aujourd’hui à un véritable abaissement du débat public, dans lequel les idées et les propositions, si elles ne sont pas inexistantes, sonnent creux. Il est vrai qu’à force de chercher à formuler différemment des propositions similaires, mais surtout moins innovantes les unes que les autres, les mots vous manquent.
Alain Juppé, dont on connaît l’attachement aux lettres et à la culture, nous a même gratifiés d’un « Je les emmerde » en réponse à une observation de Franz-Olivier Giesbert, à l’intention de ceux qui le jugent trop « conventionnel », dans un documentaire diffusé sur France 3 en octobre 2016. Alors qui peut affirmer que ce n’est pas le début de la fin ?

Déborah MALKA

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Crédits :

  • afp.com – Georges Gobet

 

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