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La publicité pour éduquer Trump

Le 12 Février dernier, John Oliver, présentateur de l’émission politique américaine, Last Week Tonight, fait part d’une idée brillante : « glisser des faits utiles dans [le] menu media »¹ du président des États-Unis.

Comment s’y prend-il ? En rachetant des espaces publicitaires pendant les matinales de Fox News, MSNBC et CNN — des chaînes que Donald Trump semble regarder, d’après son compte Twitter, pour diffuser des infomercials².

 

Trump vs Truth

L’animateur, célèbre pour son humour, confronte Trump à la vérité (« Trump vs Truth »). En constatant que le président des Américains est « capable d’être sous la pluie tout en affirmant qu’il fait beau », il se propose de répondre aux quatre questions suivantes : « Comment avons-nous hérité d’un menteur pathologique à la Maison Blanche? D’où viennent ses mensonges? Pourquoi les gens le croient-ils? Et que pouvons-nous y faire? ».

Depuis l’élection de Mr Trump, selon L’Express, le fact checking est une activité qui s’est de plus en plus développée du fait des nombreuses fausses informations et hoax diffusés sur le web. Le problème serait dû aux sources d’information du président américain, provenant de sites controversés comme Breitbart et Infowars.

Comme si cela ne suffisait pas, à plusieurs reprises, Donald J. Trump a tweeté en référence à des déclarations faites, quelques minutes plus tôt, sur des chaînes comme MSNBC, CNN et Fox News. Critiquant un relais ou une appropriation d’informations non vérifiées souvent erronées, John Oliver a produit et diffusé des publicités éducatives pour s’adresser directement à Trump, en espérant ainsi limiter la casse.

Le cowboy, un pédagogue

Les spots réalisés détournent une publicité pour des cathéters, souvent diffusée sur ces chaînes et mettant en scène un homme présenté comme un cowboy professionnel. La parodie démarre de la même façon et reprend les mêmes codes esthétiques. À une exception près : le cowboy se met par la suite à expliquer des enjeux politiques comme le réchauffement climatique ou encore la définition de la triade de l’arsenal nucléaire américain. Cette dernière notion fait référence à un débat pendant la campagne présidentielle, où Trump semblait ignorant à ce sujet. Et tout cela sur un ton éducatif et amical : « Ce n’est pas parce qu’il fait parfois froid, que le réchauffement climatique n’existe pas. Tu confonds le temps et le climat, mon pote. ».

Toutefois les publicités imaginées par John Oliver abordent des sujets plus triviaux. Il est ainsi expliqué à Trump de quel type de fourchette il doit se saisir pour manger une entrée, ou encore où se trouve le clitoris.

Petit florilège des divers sujets abordés :

–    « Tous les Afro-Américains ne vivent pas dans les quartiers pauvres. Tous les habitants des quartiers pauvres ne sont pas noirs. »

–    « Je sais que vous pouvez avoir l’impression d’être la seule personne dans le monde. Mais si vous regardez bien, vous verrez, qu’en fait, il y a plein de gens qui ne sont pas vous. On les appelle les autres. »

–    « Le Gabon est un pays situé sur la côte ouest d’Afrique ».

–    « Faire exécuter les familles de terroristes peut sembler être une démonstration de force, mais selon la convention de Genève, c’est un crime de guerre ».

Pour l’instant Donald J. Trump n’a pas dit s’il avait visionné ces publicités spécialement réalisées pour lui. Quoiqu’il en soit, la communication est ici utilisée comme moyen de renforcer l’image négative d’une personnalité. Et précisons-le, l’humour est une arme qui ne faillit jamais.

L’utilité de la parodie

Mise à part l’idée inédite de John Oliver, un concept est mis en exergue par ces informercials : le rôle citoyen et l’utilité que la publicité, dans une société dirigée par une idéologie de surconsommation de produits et d’informations, peut avoir. Avec la parodie comme moyen, la réutilisation de codes permet de véhiculer un message différent.

Divers exemples d’une utilité, autre que marchande, de la publicité ont vu le jour. Goodeed par exemple vous propose de faire un don gratuitement pour une œuvre caritative en regardant une publicité. Mais là où John Oliver est ingénieux, c’est dans son utilisation de la parodie. En effet, cette dernière est une technique satirique connue de tous, c’est le mécanisme qui s’y cache derrière qui nous intéresse. Ce système repose sur la réutilisation des codes esthétiques et des invariants plastiques³ qui font l’identité d’un objet. Rejoignant dès lors ce que Jean Marie Floch relève dans le chapitre « La voie des logos » d’Identités Visuelles. Il démontre une symétrie inversée entre invariants plastiques et messages de deux objets distincts.

En d’autres termes, deux objets, soit deux publicités, possèdent des invariants plastiques, des codes esthétiques opposés, leurs messages peuvent être identiques. Mais lorsque ce sont les invariants plastiques qui sont identiques alors leurs messages s’opposent. La publicité éducative de John Oliver reprend les invariants plastiques de la publicité du cowboy vendeur de cathéter pour véhiculer un message qui s’oppose à celui de cette dernière. En reprenant les invariants plastiques de cette pub l’animateur se focalise sur le message qui s’adresse au président des États-Unis.

John Oliver conclut son émission en s’amusant : « Jusqu’à ce qu’on ferme, nous sommes prêts à éduquer Trump sur chaque sujet qu’il ignore probablement. ». Conscient des risques de sa démarche, l’animateur se complaît tout de même dans ce procédé attrayant : critiquer et éduquer son Président par le rire, un cocktail parfait !

Ulysse Mouron

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Notes :

¹ : Traductions faites de l’émission de John Oliver

² : Infomercials : Information + commercials ( pub en anglais), pubs éducatives, informatives

³ : constantes esthétiques d’un objet

Sources :

• J. Dy, Le Soir, « L’humoriste John Oliver dévoile sa stratégie pour « éduquer » Donald Trump » 13/02/17

• Agence France-Presse, Le Devoir, « De la publicité pour « éduquer » Trump » 14/02/17

• Audrey Kucinskas, L’Express, « Nucléaire, climat… John Oliver veut « éduquer » Donald Trump grâce à la pub » 16/02/17

• Jean-Marie Floch, Identités Visuelles, PUF, 17/092015

Last Week Tonight, episode 90, TRUMP vs TRUTH, 12/02/17

Crédits  :

• Photo 1 : Emily Shur/HBO

• Photo 2 : capture d’écran, Last Week Tonight e90, 21min45

• Photo 3 : capture d’écran, Last Week Tonight e90, 22min46

• Photo 4 : capture d’écran, Last Week Tonight e90, 22min59

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