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Le « jeu » du marronnier : parler pour ne rien dire.

Ici nous ne parlons pas d’arbre ni de botanique, mais bien d’un outil journalistique et communicationnel. Il remplit les blancs des planning éditoriaux en période creuse et nous rappelle les évènements incontournables comme la migration saisonnière des grenouilles. Mais plus que de combler des trous, le marronnier va même jusqu’à se transformer en un véritable support publicitaire, comme ce fut le cas lors de la Journée internationale des droits des femmes.

Le marronnier à la rescousse de la page blanche

Késako ? Dans le jargon journalistique, le marronnier est un sujet qui revient de façon cyclique au fil des saisons. Vous ne voyez toujours pas ? Ce sont ces infos sans grand intérêt et ces petites histoires de quartier si bien racontées par Jean-Pierre Pernaut le mercredi midi. Elles reviennent généralement en boucle pour combler le manque d’inspiration des marques et des journalistes lorsque les nouvelles fraîches se font rares. Un peu comme la rentrée des classes, le rush des cadeaux de Noël ou les premiers Marcel en été.



Pour les marques, ces dates chroniques sont devenues des prétextes pour communiquer autour de leurs produits et services en faisant des offres promotionnelles ou du brand content*. Ainsi, à la Saint Valentin c’est l’occasion de communiquer autour de l’amour, des couples et de s’engager pour la cause LGBT tandis que les marques nous rappellent annuellement, lors de la Journée internationale des droits des femmes, que le combat ne fait que commencer pour l’égalité entre les sexes. Cependant, ces dates ne devraient pas être des rendez-vous ponctuels utilisés pour combler des pages blanches ou comme des espaces commerciaux.

Effet mouton et dérapage : alerte à l’originalité !

L’engagement c’est à plein temps, un peu comme les relations de couple vous me direz. Théoriquement, la Saint Valentin n’est pas nécessaire pour prêter attention à son conjoint puisque l’amour c’est tous les jours et pas une fois par an. Enfin, chacun sa vision du couple. Alors pas besoin de périodes creuses pour parler des causes importantes car comme le dit si bien G. Perec dans L’infra-ordinaire, « Les « malaises sociaux » ne sont pas « préoccupants » en période de grève, ils sont intolérables vingt-quatre heures sur vingt-quatre, trois cent soixante-cinq jours par an ».
Les lecteurs finissent par devoir choisir entre du beurre et de la margarine puisque les médias et les marques parlent de la même chose au même moment. En voulant attirer les consommateurs par la publication de contenu en phase avec le calendrier, les marques deviennent invisibles dans le flot continu d’opérations et de campagnes dédiées. Les consommateurs finissent par fuir un refrain monotone qu’ils connaissent par cœur. La marque Yves Saint Laurent a essayé – à sa manière – de casser les codes et bien mal lui en a pris. Il faut dire qu’on ne comprend toujours pas à quoi elle pensait lorsque qu’elle a lancé une campagne d’affichage sexiste et archaïque mettant en scène des mannequins filiformes dans des postures plutôt vulgaires et suggestives à la veille de la Journée internationale des droits des femmes. À choisir, c’était peut-être plus judicieux de suivre le mouvement au détriment de la visibilité, en valorisant les femmes comme l’ont fait Nike Women ou Contrex. La marque YSL a donc été immédiatement épinglée sur les réseaux sociaux par le hashtag #YSLRetireTaPubDegradante et a fini par être condamnée par l’ARPP* suite à la réception de 200 plaintes jugeant la campagne comme « dégradante » pour l’image de la femme. Finalement, à vouloir sortir du troupeau on tombe dans le ravin …



« Pas de pub, merci »

Pour certains, le marronnier peut apparaître comme une redondance inévitable et un sujet d’ennui, alors que pour d’autres c’est un problème sérieux qu’il faut régler. Plutôt que de mettre en valeur des grandes causes pendant une journée dédiée, le marronnier contribue à les banaliser jusqu’à alimenter des stéréotypes. Ainsi, Raphaëlle Rémy-Leleu, la porte-parole de l’association Osez le féminisme ! dénonce la commercialisation de la journée internationale des droits de la femme : « La plupart de ces campagnes sont en outre sexistes : les clichés sur les femmes sont un vieux ressort publicitaire et sont encore, malheureusement, largement employés, résultat, on décrédibilise une journée qui est censée servir les droits des femmes. »



Les journalistes, mais surtout les marques ont donc des responsabilités à prendre quant aux contenus qu’ils publient notamment pendant la trêve des confiseurs et doivent s’interroger sur la pertinence d’entretenir un tel système de publication répétitif qui n’attire plus grand monde voire même qui agace le lectorat. S’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, ne dites rien, on ne vous en voudra pas d’alléger notre fil d’actualité.
PS : Merci à Intermarché de ne PAS avoir publié le spot #lamourlamour signé par l’agence Romance le jour de la Saint Valentin. Résultat : une visibilité incomparable et un buzz réussi avec plus de 2,7 millions de vues en moins de deux jours.

Bonus pour briller en société : pourquoi appelle-t-on un marronnier « un marronnier » ?

Flore Voiry

Glossaire
Brand content
Terme anglais qui désigne les contenus éditoriaux qui sont créés ou diffusés par une marque dans une logique de marketing des contenus. Généralement, la marque adopte un discours non commercial, mais informatif, divertissant, engagé ou humoristique pour créer du lien avec les consommateurs et les mener à l’achat.
ARPP ou Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité
Organisme déontologique de régulation visant à promouvoir une publicité saine, véridique et loyale ainsi qu’une communication responsable.
 
Crédits photo
Image 2 : dessin de James via @michel_denisot @instagram
Captures d’écran : Etam, Birchbox, Twitter, affiche STB Le Havre
 
Sources
Marie-Violette Bernard « La Journée des droits des femmes n’est pas une opportunité commerciale » : des marques épinglées pour leurs pubs sexistes francetvinfo.fr http://www.francetvinfo.fr/societe/droits-des-femmes/la-journee-des-droits-des-femmes-n-est-pas-uneopportunite-commerciale-quand-les-marques-se-font-epingler-pour-leurs-publicites-sexistes_2085459.html
Rédaction l’EXPRESS.fr « Une publicité Yves Saint Laurent jugée « dégradante » pour les femmes » lexpress.fr http://www.lexpress.fr/actualite/societe/une-publicite-yves-saint-laurent-jugee-degradante-pour-lesfemmes_1886102.html
Rédaction de Midi Libre « Une pub pour Intermarché fait le buzz sur internet » Midilibre.fr http://www.midilibre.fr/2017/03/14/une-pub-pour-intermarche-fait-le-buzz-sur-internet,1478602.php
Philippe Vandel « Pourquoi dans la presse appelle-t-on un marronnier un « marronnier » ? » Les Pourquoi francetvinfo.fr http://www.francetvinfo.fr/replay-radio/les-pourquoi/pourquoi-dans-la-presse-appelle-t-on-un-marronnierun-marronnier_1791805.html

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