Société

Le numérique à l’assaut de l’art

« Parcourez le monde et voyagez dans le temps » : telle est l’expérience que vous propose l’application dédiée à la culture : Google Arts & Culture. Sur l’application créée en 2016, vous pouvez, en effet, avoir accès en ligne aux collections de plus de 1200 musées, galeries et institutions présents dans 70 pays. À cette riche bibliothèque culturelle s’ajoutent de nombreuses fonctionnalités pour pousser la découverte encore plus loin. Il est alors possible de voir les expositions sélectionnées par des experts, de s’accorder une pause culturelle par jour, d’explorer l’art en fonction d’une époque, d’examiner à la loupe les plus grands chefs d’œuvre de l’histoire, etc. Pour enrichir leur contenu, l’application a lancé en janvier : « Is your portrait in a museum ? ». Grâce à la reconnaissance faciale et l’intelligence artificielle, vous est présenté votre sosie pittoresque à partir d’un selfie. Retour sur ce buzz médiatique et les raisons de s’en méfier.

Découvrir l’art par vos selfies

Pour trouver votre portrait dans un musée, il vous suffit de prendre un selfie et l’application recherchera directement dans sa base de données le portrait qui vous ressemble le plus. Depuis la mise en place en janvier de cette nouvelle fonctionnalité, le succès viral est immense : l’application arrive en tête de téléchargement sur l’Apple Store et plus de 30 millions de recherches ont jusqu’à ce jour été réalisées !
Le but ?  « Let your face lead you to works of art ». En effet, comme l’a affirmé le porte-parole de l’entreprise, Patrick Lenihan, au Washington Post : « Nous essayons toujours de trouver des moyens fins et intéressants d’amener les gens à parler d’art, et c’était l’un d’entre eux. » Au degré de ressemblance entre l’œuvre et votre visage, s’ajoutent des précisions sur votre « sosie », à savoir des informations sur l’œuvre en question, l’auteur et la date de création. Une façon ludique de se cultiver donc, en apprenant ce que vous avez fait dans votre vie précédente…


L’Art et le selfie : Une nouvelle histoire d’amour ?

Cette fonctionnalité est un moyen original d’intéresser le public à l’art. Depuis l’apparition du selfie, on constate une invasion du phénomène dans le milieu artistique. En mars 2015, le Centre Pompidou, avec la campagne #LoveKoons, invitait les visiteurs à se photographier devant le Hanging Heart de l’artiste. En janvier 2013, Culture Themes lançait sur Twitter le #MuseumSelfieDay.

Avec cette fonctionnalité, Arts&Culture nous propose d’apporter l’art directement sur votre smartphone et qui plus est, un art qui NOUS ressemble. L’engouement pour l’application souligne le narcissisme prégnant de notre société contemporaine. À qui vais-je ressembler ? Ais-je plusieurs sosies dans l’histoire ? Finalement, je m’y intéresse car j’y suis.

Ce nombrilisme se voit décupler par le partage des photos sur les réseaux sociaux où les individus peuvent communiquer sur eux-mêmes, on parle alors de self-branding. Poster son sosie historique sur Facebook ou Twitter, c’est une façon de partager une partie de soi avec sa communauté, de faire lien avec les autres. Comme l’explique Pauline Escande-Gauquié, spécialiste en Branding et Stratégie de Marque : « Ce nouvel eldorado numérique propose un individu qui se fabrique des selfs multiples mais autocentrés et dévoués totalement au regard d’autrui ». Je transmets aux autres une partie de moi-même. Je montre que j’ai de l’humour et que je m’intéresse à la culture.

« Is your portrait in a museum ? » … et toutes vos données chez Google ?

D’apparence ludique, le selfie est une stratégie marketing connue des marques pour créer le buzz et servir leurs objectifs. On se souvient par exemple du très médiatisé partenariat entre Ellen DeGeneres et Samsung Galaxy Note en 2014 lors de la cérémonie des Oscars. Proposer au public une telle fonctionnalité est alors peut-être un moyen pour Google de montrer ses progrès dans l’intelligence artificielle, et servir de ce fait son image de marque face à un environnement de plus en plus concurrentiel, en témoigne Apple et son dispositif Face ID intégré sur l’IPhone X.
En effet, si cette fonctionnalité prête à sourire, elle soulève des questions. Que fait Google de nos images ? Bien que le groupe se veuille rassurant en affirmant que nos selfies ne sont conservés que durant le temps de recherche du portrait, des voix inquiètes se font entendre pour mettre en garde les utilisateurs. La prise en compte des ambitions marchandes et de constitution de base de données se doit d’être attentivement étudiée. En effet, le selfie, star des réseaux sociaux, est facilement réutilisable et exploitable par les grands groupes. Pour Pauline Escande-Gauquié, auteure de Tous Selfie, parler de « geste gratuit est donc une leurre » dans la mesure où ces informations sont susceptibles de se retrouver dans le Big Data. Comme l’explique le sociologue Michaël Dandrieux « Avec les réseaux sociaux on nous propose des services gratuits de communication et de divertissement moyennant quoi nous revendons vos données à des brokers qui les revendent à leur tour à des services de renseignement publics ou privés (…) l’intimité est ainsi en train de disparaitre, l’individu devient transparent. »
Si la fonctionnalité est aujourd’hui seulement disponible aux Etats-Unis, certains états comme l’Illinois et le Texas n’y ont pourtant pas accès en raison des lois plus strictes encadrant la biométrie. Comme le relève justement le webzine FrAndroid, on peut se demander si ce sont les mêmes raisons qui empêchent la France de l’utiliser.

Le système de reconnaissance faciale de l’entreprise chinoise Dahua Technology

À l’heure où la Chine parsème son pays de caméras dotées de système de reconnaissance faciale pour surveiller le comportement de chaque citoyen, il est plus que nécessaire d’ouvrir le débat. Alors, à vos selfies ?

Marine Aubenas

 

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