Société

Les nouvelles formes d’expression du soi sur LinkedIn

« On s’ajoute sur LinkedIn ? », « Regarde qui vient de m’envoyer un message sur LinkedIn », ou encore « Je n’ai toujours pas de stage je crois que je vais demander à mes contacts LinkedIn »… Tout le monde ou presque a déjà entendu ces phrases au détour d’une conversation et c’est plutôt normal : ce réseau social, connu pour être le terrain de jeu des professionnels de tous horizons est utilisé par environ 115 millions d’utilisateurs réguliers dans le monde. La firme de Mountain View, créée en 2003 et rachetée par Microsoft en 2016, a su se tailler la part du lion dans un marché qui n’était pas encore réellement exploité : celui des réseaux sociaux dédiés au networking.

LinkedIn est cet autre géant bleu californien qui a réussi le pari de réinventer nos manières d’échanger, de prospecter et même de recruter. Dans cet océan concurrentiel de profils toujours plus attrayants les uns que les autres, la tâche principale qui incombe aux utilisateurs est de se démarquer, de sortir du lot, d’exercer un nouveau pouvoir d’influence par le truchement de différentes saillies qui apparaitront sur le feed. Un nouveau territoire d’expression est né, aux utilisateurs d’en tirer avantage avec toute la créativité qu’il convient ou non d’appliquer.

Le nouveau panoptisme à l’heure du digital

Le réseau social de Mountain View est un paysage singulier, où l’expression du soi est un art dans lequel certains excellent. Selon un dernier rapport Stratégies, nous aimerions nous qualifier de « stratégique », de « spécialisé » ou d’expert, tout un vocable spécifique utilisé dans le but de séduire les recruteurs mais également ses pairs. Les utilisateurs souhaitent se montrer sous leur meilleur jour sur ce réseau social où l’auto-surveillance est de mise. Les travaux de Foucault sur le panoptisme mettent en exergue la notion de surveillance carcérale. Le principe est simple, le surveillant est installé dans une tour centrale autour de laquelle des cellules sont disposées de manière à ce que le geôlier puisse observer chaque prisonnier. La lumière se diffuse du côté du prisonnier pour laisser transparaître son ombre au surveillant. Seul le gardien, invisible aux yeux des incarcérés, peut les scruter disposant ainsi du pouvoir de la visibilité.

Crédit image : compagnie panoptique

Ce panoptisme carcéral s’adapte désormais à la sphère numérique et aux réseaux sociaux. La société serait ainsi passée d’un panoptisme des espaces concrets à un panoptisme des espaces digitaux, synonyme d’une délégation du pouvoir de surveillance, auparavant réservé à une poignée d’hommes vers la masse informe des utilisateurs de réseaux sociaux. Le sentiment de veille continue nous oblige à anticiper l’image que l’on va donner de soi sur LinkedIn : on anticipe le fait d’être analysé et de fait réduire au maximum l’incertitude liée à la faiblesse interne de nos profils. Car être, c’est être perçu : nous sommes alors les acteurs consentants à notre propre surveillance.

Invasion des nouveaux winner, contre-attaque de la parodie

Afin d’être le plus désirable sur le réseau social, certains usent avec zèle de quelques ritournelles inévitables à la chasse aux likes. LinkedIn est devenu un territoire à la gloire du travail et des réussites personnelles, un espace qui chante les louanges du stakhanovisme et de la persévérance. De nombreux influenceurs tels que Gregory Logan (fondateur de The Shared Brain) ou Ludovic Huraux (fondateur de Shapr) irriguent le feed de leurs contacts de posts qui vantent les mérites de leurs différents échecs et autres galères entrepreneuriales. Dans cette course effrénée à l’influence et à la visibilité, de nouveaux acteurs souhaitent se lancer dans le bain de la communication motivationnelle. Ce fut le cas de Marie Soudré-Richard qui relate avec fierté la fibre business de son enfant, arguant que « ses premiers mots étaient cash-flow avant de dire maman ». Cet exemple, un parmi tant d’autres, montre à quel point il est  devenu essentiel d’afficher sa vie, ses expériences et parfois ces « malheurs » pour exister en tant qu’influenceur sur le réseau social. Partant d’une intention louable (n’en doutons pas) ces saillies ont le don d’en agacer certains ou du moins de les amuser. Prenant le contre-pied de cette culture très corporate : de nouveaux visages apparaissent et tournent en dérision les chantres de l’abnégation et de la longanimité. Deux noms sont sur le banc des accusés : Walter Laouadi et monsieur Minutes. Le premier détourne sous sa véritable identité les dérives des différents posts linkedIn dans un langage fleuri de statupper, expliquant qu’il aime travaillé au bureau jusqu’à 3h du matin tout en mangeant des pizzas domino’s pour démontrer sa pro-activté.

Crédit image : Compte LinkedIn de Walter Laouadi

Le deuxième utilisait sous un faux compte l’identité d’un homme replet et moustachu qui prêchait l’efficience et le bon « mindset » dans l’open space. Désopilant, Walter Laouadi continue d’abreuver le fil d’actualité de plus de 4300 abonnés, ce qui n’est malheureusement plus le cas de Monsieur Minutes qui a vu son compte fermé à peine un mois et demi après sa création. Car la blague n’a pas été du goût de LinkedIn, qui se refuse à voir pulluler les comptes parodiques sur sa plateforme. En effet le réseau social californien n’a guère envie de voir sa crédibilité entachée à coup de posts drôlatiques et cyniques, chez LinkedIn on network, un point c’est tout. Il est le dernier des mohicans, le seul réseau social à n’avoir pas cédé aux sirènes de l’humour, des GIF et des memes. Dans un monde régit par le parler start-up, le management sain et les morning routines alimentées au jus d’épinard détox, un peu d’auto-dérision sur cet univers si particulier est plutôt salutaire. Espérons que la blague dure encore un peu.

Martin Blanchet

Sources :

One thought

  • Bonjour Martin,
    Intéressant article, dont les coquilles restent à réduire en poudre :
    « il aime travaillé »
    « sa pro-activté »
    « Dans un monde régit par »
    Bon networking 😉

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