Les nouvelles séries interactives: coup de com’ ou révolution?
Qui, raidi sur son canapé, n’a jamais hurlé au personnage d’un film d’horreur de ne pas ouvrir la porte, de ne pas emprunter le chemin de gauche ? C’est un instinct inné pour les cinéphiles et autres amateurs du dimanche de marathons Netflix. Un phénomène d’identification naturel, volontairement suscité par les réalisateurs pour nous rendre acteurs du contenu que nous regardons. Rassurez-vous, ce sentiment d’impuissance pourrait finir par disparaître grâce à une nouvelle génération de contenus interactifs qui donnent au spectateur une part de contrôle sur la narration. Le géant du streaming Netflix a annoncé début octobre la sortie d’un épisode de la série futuriste Black Mirror, inédit et surtout interactif qui laisse le choix au spectateur du déroulement de l’épisode.
Alors, coup de com’ ou phénomène de fond ? Pouvons-nous parler d’une remise en cause des modèles traditionnels de visionnage, voire même d’une petite révolution au sein du paysage audiovisuel? De même, il semble que nous soyons désormais confrontés à une nouvelle porosité des frontières avec les jeux vidéo. Une nouvelle posture du spectateur se construit ainsi, entre égocentrisme et interactivité. Ce dernier, en devenant acteur et réalisateur de sa propre expérience de visionnage, ne participe-t-il pas à la définition d’une hégémonie du Moi toujours plus prégnante dans le paysage audiovisuel ? Qu’en est-il finalement de la pérennité de cette tendance ?
La création d’un besoin
Il semblerait d’abord que cette annonce ne soit pas la première en son genre. En effet, l’interactivité dans les séries avait déjà été imaginée en France à la fin des années 80. Plus récemment, Netflix avait déjà proposé le même modèle concernant une poignée d’épisodes de programmes animés pour enfants: « Choisissez votre propre aventure ». Cette entrée dans l’interactivité des séries fut amorcée avec un épisode de Buddy Thunderstruck, très bien accueilli par la critique, louant la transformation de l’enfant en acteur de son expérience de visionnage. L’un des réalisateurs de la série voyait déjà dans les programmes des plus petits le principe même de la narration interactive. Ils ont « tendance à regarder les choses encore et encore. Le fait qu’ils puissent les regarder à nouveau et que ce soit différent à chaque fois […], c’est unique », remarque Eric Towner, interrogé par l’AFP. Le développement de la télévision interactive a donc posé les bases d’une innovation narrative bien plus ambitieuse. Il ne restait qu’à l’expérimenter. C’est en cela que l’épisode de Black Mirror révolutionne cette expérience de programmation interactive jusque-là restée au stade d’embryon, car il est le tout premier spectacle interactif conçu à grande échelle pour les téléspectateurs adultes.
Porosité et remise en cause du modèle traditionnel de visionnage
« Quand vous avez la possibilité d’interagir, vous avez le champ libre pour tout essayer »
Reed Hastings, patron de Netflix
Remarquons que le choix de la série Black Mirror comme support de ce pari dément ne relève pas du hasard. Créée par Charlie Brooker, elle peint une dystopie de la société en se projetant à chaque épisode dans une époque dominée et surtout minée par les nouvelles technologies. Quoi de plus cohérent avec l’univers de la série que d’impliquer le spectateur dans une telle expérience d’interactivité ? Et c’est ainsi que semble s’être amorcée une quasi-révolution du modèle traditionnel de visionnage. Sa force ? Le mélange des genres: une expérience inédite à la charnière de la télévision et du jeu vidéo. Par ailleurs, Reed Hastings, à la tête de Netflix, a déclaré : « Quand vous avez la possibilité d’interagir, vous avez le champ libre pour tout essayer ». Ainsi, le spectateur devient actif, acteur et réalisateur de sa série préférée, et ne subit plus les décisions des scénaristes. L’audiovisuel contemporain est en perpétuelle évolution, et comme le soulignent Étienne Perényle et Étienne Armand Amato dans leur article « Audiovisuel interactif » paru dans la revue Communications, ce « chassé-croisé » entre la télévision et le jeu vidéo assouplit et recompose sans cesse les formes de l’audiovisuel. Ainsi Netflix révolutionne les pratiques de visionnage et permet au spectateur de se placer toujours plus dans une forme d’égocentrisme assumé. En effet, la société californienne l’a bien compris, « Il y a une fascination pour les chemins qui bifurquent » confirme Florent Favard (Docteur en études cinématographiques et audiovisuelles à l’Université de Bordeaux Montaigne). Fascination, oui, et ce d’autant plus si Je est à l’origine de cette bifurcation et si Je est confortablement installé dans son canapé.
Quand le coup de com’ semble préfigurer une nouvelle tendance au sein de l’univers audiovisuel
Depuis, la tendance s’embrase. Les producteurs de télévision interactive sentent le vent tourner avec l’investissement croissant de Netflix en la matière. HBO, l’un de ses plus redoutables concurrents, a lui aussi lancé sa toute première émission interactive en janvier 2018 : Mosaïc, dans laquelle les spectateurs peuvent influencer directement le scénario via une application dédiée. En fin de compte, tout porte à croire que le coup de com’ peut devenir phénomène de fond, voire même une future industrie de l’interactif. C’est en tous cas ce que soutient Jim Spare, directeur de l’exploitation d’Eko, une société de production d’émissions interactives, en affirmant: « Le temps est venu pour la télévision interactive de devenir une expérience grand public ». Néanmoins, la réalisation de telles séries nécessite que l’histoire se tienne, peu importe les choix du spectateur. La production d’un épisode devient donc beaucoup plus complexe, condamnant ainsi l’interactivité à peut-être rester marginale dans l’ensemble de l’industrie des séries TV.
Désir de liberté, de faire éclater les codes traditionnels de visionnage. En plaçant l’individu au cœur de l’expérience, le processus des séries interactives se construit sur une composante essentielle : le jeu vidéo. Un mélange des genres qui constitue une petite révolution au sein de l’univers audiovisuel, toujours plus de possibles, toujours plus de pouvoirs cédés au spectateur. Une nouvelle interactivité qui ne se réduit plus qu’à un droit à l’interruption et à la réaction comme c’est déjà le cas avec les jeux télévisés mais qui se focalise désormais sur une fascination presque originelle de l’humain pour l’exploration des possibles. Mais la force de cette tendance réside d’abord dans son objet même: les séries sont en plein essor, elles nous font vibrer, rythment notre journée; quoi de plus satisfaisant que de voir la destinée de son personnage préféré bouleversée en un simple clic ?
Ambre VENEL
BIBLIOGRAPHIE :
- Culturebox (avec AFP) – « Séries TV : vous pourrez bientôt influencer le scénario des épisodes », 2017. Consulté le 20/10/18
- Bloomberg – « Netflix Is Planning a Choose-Your-Own-Adventure ‘Black Mirror’ » par Lucas Shaw, 2018. Consulté le 20/10/18
- Communications – « Audiovisuel interactif » par Étienne Perény et Étienne Armand Amato, 2011. Consulté le 20/10/18
- La Tribune – « Netflix va proposer un épisode interactif de la série Black Mirror : coup de com’ ou tendance de fond ? » par Sylvain Rolland, 2018. Consulté le 20/10/18
- Télérama – « Une série interactive, c’est comme un jeu vidéo ? » par Emilie Gavoille, 2018. Consulté le 20/10/18
- IGN – « Netflix préparerait de nouvelles séries interactives » par Vincent de Lavaissiere, 2018. Consulté le 20/10/18
CRÉDITS PHOTOS (dans l’ordre)
One thought
Dans cette lignée, en beaucoup moins poussé, on peut s’interroger sur la tendance des stories Instagram utilisées dans la création de vidéo par des Youtubeurs : l’idée c’est que les Youtubeurs vont proposer à leur communauté de « gérer » leur journée via les sondages. Ils proposent deux possibilités à chaque fois qu’un choix s’offre à eux dans la journée, les internautes vont décider de ce qu’il adviendra. Évidemment, un scénario est pré-établis. Un parallèle peut sûrement être fait. Article très intéressant !