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La vidéo Twitter comme arme d’humiliation massive

Le retour brutal de la vidéo Twitter sur le devant de la scène nous amène à nous demander si celle-ci n’est pas le format le plus efficace pour humilier un individu. Les récents évènements que sont les manifestations des gilets jaunes ou la bagarre du rappeur Sadek soulèvent cette question d’ordre éthique.

 

Filmer comme bouclier

Depuis le début des manifestations des gilets jaunes une pléthore de vidéos insolites a germé sur la toile et en particulier sur Twitter. On peut les retrouver sous forme de compilations tournant en dérision les mouvements protestataires. L’absence de médiation détonne dans ce format. En effet, nous ne pouvons reprocher aux médias généralistes tel que BFMTV de manipuler les images puisque celles-ci sont issues de citoyens lambda. La signification de ces images est essentielle, en filmant par leurs propres moyens les citoyens affirment que l’image télévisuelle est insuffisante. Ils fournissent leur version des faits par un prisme qui leur est propre, le philosophe Xavier Delaporte parle alors de « subjectivité brute ». Ce passage du profane à l’amateur, notion que l’on doit au sociologue Dominique Cardon, permet une prise de parole que l’on pourrait qualifier de « prise de vue » des citoyens.

Ne poste pas la vidéo sur Twitter tu risques de te faire humilier très fort

Une fois les bases de la vidéo amateur posées, nous pouvons nous interroger sur la portée humiliante de ces vidéos dans le contexte de Twitter. Rappelons que Twitter hiérarchise les prises de paroles. Les tweets qui obtiendront le plus d’interactions (retweets, commentaires, likes), obtiendront le plus de visibilité. On entre alors dans une course à la réaction, peu importe qu’elle soit positive ou négative. En effet, comme l’ont très bien compris les médias généralistes, sur les réseaux sociaux le débat est le meilleur moyen d’obtenir de la visibilité (d’où les articles à titres souvent provocants). Les internautes s’écharpent alors en commentaires au plus grand bonheur du créateur du contenu. Sur Twitter de nombreux utilisateurs y vont de leur blague, même si celle-ci s’avère blessante ou insultante pour les protagonistes. Seules les vidéos polémiques se placeront en tendances, à l’instar des violences exposées en boucle sur BFMTV. Ce n’est pas une vidéo d’une manifestation pacifique autour d’un rond point qui va emballer la twittosphère.

L’humiliation est en adéquation avec ce fonctionnement puisque les vidéos dégradantes, comme la bagarre du rappeur Sadek, obtiendront de la visibilité malgré elles. Les internautes se moqueront ou s’indigneront de ces moqueries, mais dans les deux cas, ils permettront la mise en avant du contenu. Ce phénomène témoigne d’un échec de l’activité auto-organisée de la sphère Internet pour classer les prises de parole en fonction de leur légitimité. On constate également que cette humiliation se produit en miroir avec le format vidéo : on ne retrouve aucune médiation. Les citoyens manifestent tout en étant filmés par d’autres citoyens pour être par la suite humiliés par d’autres citoyens sur les réseaux sociaux. Le terme de « « sousveillance » (Mann, Nolan et Wellman, 2003) dans lequel « le plus grand nombre observe et voit le plus grand nombre sans aucune autorité centrale » semble idoine à cette situation.

De l’espoir

En revanche, nous pouvons prendre le contre-pied des précédentes vidéos avec un exemple anglo-saxon : celui du jeune Jamal, refugié syrien au Royaume-Uni, fréquemment agressé par ses camarades. La vidéo de la dernière agression, tournée par un étudiant, est devenue virale. La police s’est alors saisie de l’affaire pour « agression raciale ». De plus, une cagnotte a été ouverte pour soutenir Jamal qui ne retournera pas dans son école. Plus de 150 000 livres sterling ont été récoltés grâce à la générosité des internautes. Cet exemple illustre l’effet inverse : on part d’une humiliation pour arriver à un élan d’humanité. Les internautes ont peut-être besoin de réellement identifier la personne filmée comme victime pour éprouver un sentiment d’empathie. Des manifestants qui bloquent les routes et une star qui se bat de manière incongrue, n’appellent pas, de manière évidente, au soutien des internautes. Cependant, ils ne méritaient certainement pas ces relents de haine.

« Surveiller et punir », voici comment nous pourrions résumer cette situation. Même si l’on aurait pu se passer de l’humiliation de Sadek, notamment des commentaires grossophobes, celle-ci reste personnifiée contrairement aux manifestations des gilets jaunes. En tournant en dérision les manifestants, c’est de tout un pan de la population que l’on rit. Sans passer à un mode de contrôle des commentaires a priori, ce qui reviendrait à bafouer l’esprit d’Internet, il serait peut-être intéressant de réfléchir au fonctionnement de la mise en avant des contenus que sont les tendances Twitter.

Matthieu Acar

Sources :

Dominique Cardon, La démocratie Internet

Le panoptisme horizontal ou le panoptique inversé, Simon BOREL

Pourquoi filmer – en moins bien – ce que filme la télé, Xavier Delaporte, 11 septembre, France Inter

Gilets Jaunes : les réseaux sociaux ont-ils plus raison que les médias ? Xavier Delaporte, 27 novembre France Inter

http://www.francesoir.fr/societe-faits-divers/harcelement-scolaire-un-jeune-refugie-syrien-martyrise-ecole-video-choc

Crédits :

CiBy Production

capture d’écran Twitter

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