Environnement, Médias, Société

L’écologie dans l’environnement médiatique : le réveil inespéré de l’oubliée

Sans doute n’avons-nous jamais autant parlé d’écologie que depuis la démission inattendue de Nicolas Hulot de son poste de Ministre de la Transition écologique et solidaire le 28 août dernier. Impulsion d’un élan soudain d’engagement, elle a entraîné le réveil des citoyens et des médias sur les questions écologiques et environnementales. Mais qu’en est-il de ces prises de conscience populaire et médiatique ? Ne s’essouffleront-elles pas comme cela a déjà été le cas par le passé ? Autant de questions qu’il est légitime de se poser à l’heure où le changement climatique et ses conséquences se font de plus en plus ressentir dans nos vies et dans les médias.

Si le mouvement des « gilets jaunes » tend quelque peu à éclipser médiatiquement la question environnementale alors que se tenait pourtant au même moment la discrète COP 24, les défenseurs de la planète affirment que leur combat n’est en aucun cas opposé aux revendications des premiers. En effet, « fin du monde et fin du mois, même combat », ont-ils clamés à la Marche pour le climat le samedi 8 décembre 2018 à Paris, reprenant une formule qu’avait prononcée Nicolas Hulot lors de son intervention dans l’Emission Politique de France 2 le jeudi 22 novembre. À noter à cet égard la rareté d’un tel programme télévisé consacré uniquement à l’écologie et diffusé en prime time sur une grande chaîne.

Il y a pourtant déjà deux siècles, Victor Hugo écrivait à travers des mots qui lui ont été attribués et qui restent d’actualité que « c’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas. » Mais ce dernier ne se serait-il pas (enfin) réveillé ?

Les questionnements environnementaux (mal)traités par les médias : le « dérèglement médiatique »

L’environnement dans les médias souffre d’un flou définitionnel qui lui attribue des informations et des images très variées : agriculture, pollution d’origine humaine ou naturelle, écologie politique, manifestations sociales ou juridiques, etc. Ses représentations médiatiques sont donc extrêmement diverses et il en résulte qu’il n’existe pas dans la plupart des journaux de rubrique propre à la thématique environnementale comme il en existe pour l’ « international », la « politique » ou bien l’« économie ». L’environnement n’est donc pas considéré comme un genre journalistique à proprement parler, sur un pied d’égalité avec le journalisme sportif par exemple. De plus, rares sont les journalistes spécialisés dans ce domaine.

Pour comprendre la manière dont l’écologie a pu être maltraitée dans et par les médias, il convient de retracer rapidement l’histoire de l’entrée de l’écologisme dans l’aire médiatique. Qu’on la situe vers la fin de la Monarchie de Juillet ou à la fin du siècle, celle-ci s’est d’abord faite dans les mains d’une élite avant de s’établir profondément dans les années 1970 et 1980 en parallèle d’une certaine démocratisation des questions environnementales et de la création des premiers mouvements associatifs de protection de la nature. De 1970 à 1997, 167 médias écologistes, le plus souvent locaux ou régionaux et associatifs, sont publiés en France, contre 63 seulement en Allemagne. Face à cet élan qui n’a pas duré, les principaux quotidiens nationaux ont également créé leurs rubriques spécialisées, à l’instar du Monde en janvier 1972, au moment où la radio et la télévision s’intéressent elles aussi de plus en plus à l’écologie.

Toutefois, la politisation de l’information durant cette période fait rapidement basculer le traitement de l’information écologique vers la contestation, l’engagement et le militantisme. En effet, les journalistes « spécialisés » sur ces questions sont souvent perçus comme « militants » au sein des rédactions, et continuent de souffrir d’une réelle position marginale jusqu’au début des années 2000. À partir de là, le journalisme environnemental s’est peu à peu institutionnalisé.

Cartographie du journalisme environnemental dans les médias généralistes français en 2006

Néanmoins, la temporalité écologique reste sensiblement différente de la temporalité médiatique. Le changement climatique était encore trop abstrait et trop lointain pour que les journalistes cherchent à le faire comprendre plutôt qu’à en faire prendre conscience, insistant alors sur ses conséquences plutôt que sur ses causes. Cela se traduit notamment par la médiatisation de phénomènes extrêmes — catastrophes naturelles, inondations, tempêtes, etc —, enfermant les questions environnementales dans un traitement épisodique de l’information.

Mais avec la crise de 2008, l’urgence sociale, économique et financière relègue l’urgence écologique au second plan. En 2013, Le Monde et The New York Times suppriment alors les rubriques « Planète » pour le premier et « Environnement » pour le second. Ce n’est qu’avec la question des réfugiés climatiques, la COP 21 en 2015 et les Accords de Paris en 2016 entre autres que l’environnement et l’écologie ont refait surface médiatiquement, un phénomène qui tend encore à s’amplifier aujourd’hui.

Le réveil populaire et médiatique

Depuis le mois de septembre, les marches pour le climat connaissent un franc succès, tant sur le plan national qu’international. L’ONG 350.org a par ailleurs indiqué que la marche du 8 septembre avait regroupé 115 000 participants en France dont 50 000 à Paris, là où la préfecture de police en recensait 18 500, une mobilisation inédite dans le pays en matière de défense de l’environnement. Tous répondaient initialement à un appel citoyen lancé sur Facebook qui a su s’organiser et s’extirper de la virtualité du réseau social pour descendre dans la rue et faire entendre sa voix.

Cette grande mobilisation traduit une véritable prise de conscience citoyenne dont le but est d’entraîner une impulsion similaire du côté médiatique et gouvernemental. La sortie du rapport du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) ce 8 octobre dernier a achevé d’asseoir cet élan. Dans ce document, les scientifiques affirment qu’il est encore possible de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C à condition que des changements « rapides » et « sans précédent » aient lieu, poussant ainsi les citoyens à poursuivre leurs mobilisations à travers le slogan « #Il Est Encore Temps ».

Mais le réveil médiatique sur les questions environnementales répond également à des contraintes commerciales et à un objectif publicitaire qu’il faut mentionner. En effet, les entreprises achètent de nombreux espaces publicitaires pour vanter leurs vertus écologiques et la population semble elle, de son côté, beaucoup plus préoccupée par ces questions qu’auparavant, ce qui transforme l’environnement en une véritable actualité rentable.

Nouvelle(s) médiatisation(s) de l’écologie

Si les médias mainstream évoquent de plus en plus l’écologie, cette dernière est encore plus présente sur Internet, notamment sur les réseaux sociaux. Les initiatives pullulent et de nouveaux médias en ligne spécialisés sur les questions écologiques, climatiques et environnementales ont vu et voient le jour, à l’instar de Reporterre, un magazine créé en 1989 puis relancé en 2007 uniquement sur le web par Hervé Kempf, un ancien journaliste du quotidien Le Monde, dont il est parti après s’être fait censurer à propos d’une Une sur Notre-Dame-Des-Landes.

Plus récemment, vingt Youtubeurs engagés parmi lesquels Le grand JD, Max Bird ou Léa Camilleri ont appelé à la mobilisation à travers une vidéo et le site Internet ilestencoretemps.fr. Parallèlement, une soixantaine de vidéastes stars ont de leur côté lancé le 15 novembre et ce pour une durée d’un mois la campagne « On est prêt » afin de sensibiliser leurs followers et de les enjoindre à s’engager en adoptant les bons gestes pour protéger l’environnement.

« L’histoire a prouvé que toutes les mobilisations qui réunissaient 3,5% seulement de la population réussissaient à faire basculer un système, rapportent ainsi les vidéastes Audrey Pinault et PV Nova. En France, cela fait 2,5 millions de personnes. »

En réunissant des influenceurs aux millions d’abonnés comme Norman, Enjoy Phoenix ou bien Natoo, la campagne s’assure de toucher un nombre d’internautes bien supérieur à ce chiffre et espère bien, à cet égard, faire bouger les choses. D’ailleurs, le vidéaste El Hadj affirme que ces influenceurs dont il fait partie sont « bien plus puissants que n’importe quel média traditionnel », donnant quelque peu naissance à une nouvelle forme de médiatisation des thématiques environnementales à travers laquelle la tranche d’âge 15-25 ans est a priori plus susceptible d’être touchée. Si le réveil médiatique s’opère désormais à propos de la protection de la nature, celui-ci semble encore plus important sur le web, potentiel et catalyseur de mobilisation. La toute nouvelle en date, c’est « L’Affaire du siècle », cet appel des ONG auquel 30 influenceurs, humoristes, acteurs et artistes français se sont joints pour « tout simplement attaquer l’Etat en justice pour inaction face au dérèglement climatique », clament notamment McFly & Carlito ainsi que Juliette Binoche dans la vidéo de la campagne.

S’il est encore temps pour les humains de sauver la planète face à l’urgence climatique, cela reste pourtant inenvisageable sans le secours des médias, quels qu’ils soient. Force est de constater que leur mobilisation sur les questions environnementales s’est fortement accrue ces derniers temps. Le restera-t-elle ? C’est à l’avenir de nous le dire…

Constant Espanel

LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/constant-espanel/

Twitter : https://twitter.com/Constant_spnl?s=09

Sources :

  • Comby, Jean-Baptiste. « La politisation en trompe-l’œil du cadrage médiatique des enjeux climatiques après 2007 », Le Temps des médias, vol. 25, no. 2, 2015, pp. 214-228 ; « Quand l’environnement devient « médiatique ». Conditions et effets de l’institutionnalisation d’une spécialité journalistique », Réseaux, vol. 157-158, no. 5, 2009, pp. 157-190.
  • Lamoureux, Marine, « Climat, le « réveil citoyen » pourrait changer d’échelle », La Croix, 9 octobre 2018 ; « Climat, on peut encore éviter le pire », La Croix, 8 octobre 2018
  • Schneider, Frédérique, « Les recettes de youtubeurs pour sauver la planète », La Croix, 15 novembre 2018
  • Sainteny, Guillaume. « Les médias français et l’environnementalisme », In: Mots, n°39, juin 1994. Environnement, Écologie, Verts. pp. 106-111
  • Ambroise-Rendu, Anne-Claude, et Mathis, Charles-François, « Présentation. Médiatisation(s) de l’écologie », Le Temps des médias, vol. 25, no. 2, 2015, pp. 5-17.
  • Média Animation. (2013). « Médias plus verts que nature – L’exploitation du thème de l’environnement dans les médias», Dossier de l’Éducation aux Médias, n°8.
  • Harivelle, Charlotte, Les Revues écologistes en France et en Allemagne (1970-1997), Mémoire de Master, sous la direction de Caroline Moine et Christian Delporte, UVSQ, 2013
  • onestpret.fr
  • ilestencoretemps.fr
  • pour-un-réveil-ecologique.fr
  • Souchay, Grégoire, « Ces youtubeurs qui parlent d’écologie au plus grand nombre », Reporterre, 10 octobre 2018.
  • « Ecologie, pourquoi tout le monde s’en fout ? » (2015, mars) (dossier), Terraeco,n°65, p. 38-52
  • Entretien avec le climatologue Jean Jouzel, propos recueillis par François Quinton et Philippe Raynaud, « Médias et réchauffement climatique : histoire d’une prise de conscience », Ina Global, 2015
  • Entretien avec David Solon, Sonia Devillers, « Ecologie et médias : le désamour ? », L’Instant M, France Inter, 2015
  • ADEME. (2016, octobre). Daniel Boy, « Les représentation sociales de l’effet de serre et du réchauffement climatique », 80 p.
  • « Dérèglement climatique : des centaines de villes se mobilisent à travers le monde », Le Monde avec l’AFP, 8 septembre 2018
  • Bugier, Louise, « « L’affaire du siècle » : l’Etat français poursuivi pour inaction climatique par des ONG », WeDemain, 18 décembre 2018

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