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Publicité et végétarisme : une communication à double tranchant ?

Les vegans sont-ils en passe de dominer le monde ? Le journal The Economist avait prévu que l’année 2019 serait celle du véganisme, avec la tendance d’un mode de vie de plus en plus végétal. De nombreuses études le démontrent : la production de viande, à travers l’élevage et les transports, est aujourd’hui l’un des facteurs principaux du réchauffement climatique, et la première cause de la déforestation. Selon le rapport de la F.A.O,, la production de viande (65 milliards d’animaux chaque année) est responsable de 14,5% des émissions de gaz à effet de serre. Voilà pourquoi le steak haché est devenu sujet de société. On comprend pourquoi 35% des Français déclarent avoir réduit leur consommation de viande en 2018, après la naissance des premiers mouvements vegans et abolitionnistes, au début des années 2000. 

Le végétarisme en publicité : signe d’étiquette ou d’éthique ?

Les marques agroalimentaires exploitent cette nouvelle quête de la naturalité et du manger sain, ouvrant de nouveaux marchés et opportunités économiques, en ciblant toute une nouvelle génération regardante sur le végétarisme. De Nestlé et le lancement de son « incroyable burger » végétal à Carrefour et sa nouvelle gamme « Veggie », c’est au tour de la marque « Herta », qui, bien que leader sur le marché du jambon et charcuteries, décide de lancer elle aussi sa pléthore de produits végétaux et autres simili-carnés.

Herta et sa proposition de steaks veggie

Le paroxysme de cette végétalisation de la pub est atteint lorsque le plus gros lobby français de la filière viande en fait lui même usage. En février 2019, Interbev lance sa campagne « Naturellement Flexitarien », au slogan on ne peut plus paradoxal : « Aimez la viande, mangez en mieux »,. Le but ? Contrer cette baisse de la consommation de viande par un discours plutôt schizophrénique. Le lobby utilise des codes qui sont contraires à ses propres intérêts en prônant le flexitarisme, tout en en modifiant sa signification première. Le flexitarisme consiste à réduire consciemment sa consommation de viande dans un souci écologique ou de santé, en adoptant une alimentation principalement végétarienne. Ici, Interbev détourne cette intention en indiquant : « Être flexitarien c’est ne se passer de rien », avec un spot publicitaire qui montre comment Julien, “consomm’acteur écolo” qui roule à vélo, devient un parfait mangeur de viande, de qualité, on vous rassure. Pour la vraie définition du flexitarisme, on repassera.

La cause animale : une communication trop militante ?

Bien que les enseignes agroalimentaires grignotent le terrain du végétal, le message de fond, porté par les militants de la cause animale, a bien plus de mal à trouver un ancrage dans la société. Qui peut différencier aujourd’hui vegan d’abolitionniste ? Ou encore antispéciste, qui est l’idéologie qui refuse d’établir une distinction entre les espèces ?

En juillet 2018, une enquête non publiée d’IPSOS montre que 80% des personnes interrogées disent ne pas faire confiance aux militants vegans pour s’informer sur les agriculteurs et leurs activités. 48% ne leur font « pas du tout confiance ». En cause ? Une communication souvent interprétée comme radicale, excessive, violente.

La communication des mouvements vegans et antispécistes se veut choquante, démonstrative et emportée par la ferveur militante de ses membres. Les dispositifs médiatiques utilisés pour véhiculer cette cause sont souvent directs et frappants : des personnalités fortes mises en lumière par les médias et chaînes TV comme l’antispéciste Aymeric Caron, auteur du livre Antispéciste et chroniqueur phare d’On N’est Pas Couché sur France 2, qui utilise volontiers les mots « d’exterminateurs » ou de « génocide ».

La sensibilisation prend la forme d’événements coup de poing, ayant pour but d’être médiatisés et qui utilisent la rue comme médium d’un message révolté. Lors de la Journée Sans Viande, le 20 mars 2019, le collectif L214 investit la place Saint Michel, où une centaine de militants se tenaient debout, tenant des porcelets morts dans leur bras pour rappeler qu’en France, 20% des cochons meurent entre la naissance et l’âge de départ à l’abattoir dans des conditions sordides. 

 

 

Enfin, les médias ont un rôle que l’on peut analyser dans cette interprétation paniquée et radicale que l’on peut faire du message initial. Souvent, la médiatisation de la cause se fait sur le mode de la mise en scène, du spectacle et de l’utilisation de la ferveur militante pour démontrer sa radicalité. Ainsi, des invités en plateau sont tournés en symbole d’un mouvement violent et extrême. Lors d’une émission Grand Angle sur BFM TV, la militante antispéciste Solveig Alloin est mise face à un boucher sur le mode de la combativité par des questions totalisantes et clivantes : « Peut-on encore manger de la viande ? ». 

Avec ces dispositifs directs, il semble que l’assimilation du combat vegan a été trop rapide, précipité et peu nuancé. On retient davantage la forme, la manière, le media utilisé plutôt que le contenu du message pour une cause qui nécessite paradoxalement un discours pacifié pour en saisir l’importance et le fondement.

Une influence pourtant loin d’être négligeable.

Malgré cela, une partie de la population se montre sensible à la souffrance animale. En 2018, 35% des français déclarent avoir réduit leur consommation de viande pour tendre consciemment vers une alimentation flexitarienne. Le discours des associations trouverait il tout de même un écho ? La stratégie de sensibilisation spécifique de L214 porte ses fruits : un format vidéo diffusé sur les réseaux sociaux qui allie l’émotion ( caméra cachées filmant l’horreur des abattoirs) à l’information chiffrée. L’association fait appel à des ambassadeurs qui agissent comme des relais de la cause (Yann Arthus Bertrand récemment), mais aussi à de grands journaux comme Le Monde dans lequel L214 a écrit plusieurs tribunes, comme celle du 5 septembre 2019 qui appelle à « en finir avec l’élevage intensif, cet ennemi de l’intérêt général » 

L214 manie l’art et la manière de marquer les esprits et donner l’illusion de majorité dans l’espace public par un discours engagé et presque « croyant » qui occupe l’espace de parole. Ses actions de communication ont mené à des résultats concrets : fermetures d’abattoirs, articles de loi qui condamnent fermement les souffrances, un repas végétarien dans toutes les écoles depuis novembre 2019 mais surtout une prise de conscience généralisée quant au bien-être animal et respect du vivant. 

Contrairement à la dernière une du magazine l’Histoire qui parle “d’offensive vegan”, il est temps que le traitement médiatique de la cause animale fasse place à la nuance et au discours raisonné.

Joanne GARDAVAUD 


Sources : 

PARKER John, « The year of the Vegan » The Economist [en ligne], 2019. Disponible sur :
https://worldin2019.economist.com/theyearofthevegan

DAGORN Gary, « Pourquoi la viande est-elle si nocive pour la planète ? » , Le Monde [en ligne], 2018. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/12/11/pourquoi-la-viande-est-elle-si-nocive-pour-la-planete_5395914_4355770.html

COUGARD Marie-José, « Herta lance le steak haché vegan en grandes surfaces » Les Échos [en ligne], 2019. Disponible sur : https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/herta-lance-le-steak-hache-vegan-en-grandes-surfaces-1131177

TOURNERY Marianne, « Le flexitarien, un consommateur pas comme les autres » Stratégies [en ligne], 2018. Disponbile sur : https://www.strategies.fr/blogs-opinions/idees-tribunes/4020925W/le-flexitarien-un-consommateur-pas-comme-les-autres.html

BIENVENU Julie, « Le flexitarisme un régime encore flou récupéré par le lobby de la viande », Le Monde [en ligne], 2019. Disponible sur :
https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/03/01/le-flexitarisme-un-regime-encore-flou-recupere-par-le-lobby-de-la-viande_5430274_3244.html

FOUGIER Eddy, « La contestation animaliste radicale », Fondation pour l’innovation politique [en ligne], 2019. Disponible sur : http://www.fondapol.org/wp-content/uploads/2019/01/150_VEGAN_2019-01-22_w.pdf

Crédit photos :

Publicité Herta

Vitre brisée Lille extrait du site de France 3 Région Haut de France, MaxPPP

Photo extraite du site L214. Disponible sur : www.l214.com

 

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