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Quand la misogynie devient un outil marketing

Les incel autrement dit célibataires involontaires revendiquent une absence de romantisme ou de sexualité qui ne dépendraient pas d’eux mais de facteurs génétiques et sociaux. Autour de ce mouvement, une communauté s’est formée sur internet pour exprimer leur haine et exacerber leurs émotions négatives. «Sur les forums, les échanges, anonymes, peuvent rapidement prendre de l’ampleur. […] Les incitations à la violence fusent et, éventuellement, certains passent à l’acte», nous dit Caroline Deli, doctorante à l’Université de Montréal.

Andrew Tate, de son vrai nom Emory Andrew Tate, est né le premier décembre 1986, à Chicago. Kick-boxeur mais surtout connu du grand public pour ses positions masculinistes et misogynes en ligne, il est surnommé le «roi de la masculinité toxique» et représente une figure de leader pour les incels en ligne. En effet, il s’identifie à la catégorie surnommée de «mâles alphas», de jeunes hommes qui utilisent leur figure d’autorité pour promouvoir un mode de vie basé sur l’aspect physique, matériel et sexuel et qui ne cesse de croître depuis la pandémie.  

©TDG

Les communautés masculinistes comme outil marketing : le cas de Andrew Tate. 

Aujourd’hui, le hashtag #alphamale compte environ 900 millions de vue sur Tiktok, montrant à quel point ces mouvements sont populaires. Basés sur une conception capitaliste de la société, des influenceurs tels qu’Andrew Tate font croire à des hommes qu’ils peuvent également avoir accès au luxe, à des voitures de sport, à des mannequins. Autrement dit, au même mode de vie qu’eux, à condition qu’ils suivent leurs conseils.

Cependant, pour y accéder, ces «gourous du web» vendent ces conseils en proclamant un mode de vie accessible suite à la formation proposée.

Selon le psychothérapeute Ali Ross, ces hommes ont du mal à trouver leur place dans la société et se confortent dans des discours d’influenceurs leur faisant croire que ce n’est pas de leur faute et qu’ils sont simplement mal compris. Pour ce faire, Andrew Tate n’hésite pas à remettre la faute sur les femmes en général, les tenant responsables de leurs viols et agressions sexuelles subies et en proclamant une violence exacerbée «Tu l’attrapes, tu lui mets une gifle, tu l’étrangles et tu baises» explique-t-il dans une vidéo YouTube. C’est après avoir acquis une certaine notoriété sur les réseaux sociaux qu’il profita de son succès pour créer la War Room, un club cherchant à rassembler des hommes aux mêmes valeurs dans le monde entier et dont l’adhésion est aux alentours de 5000 dollars.

«The War Room is a strong and vibrant Community of Men (age 18 – 85) who are unwaveringly dedicated to the pursuit of excellence in all areas of life.» (The War Room est une communauté forte et vibrante d’hommes (âgés de 18 à 25 ans) qui sont résolument consacrés à la poursuite de l’excellence dans tous les aspects de la vie). 

Cependant, c’est avec la Hustlers University qu’Andrew Tate a pu se constituer ses premiers millions. Se proclamant comme une véritable formation en ligne, ce programme permettrait aux adhérents d’acquérir de la richesse contre 50 dollars par mois «Acquire financial abundance by mastering a high-paying skill, starting your online business, and leveraging modern investment strategies.» (Acquiert une abondance financière en maîtrisant des compétences bien payées, en commençant ton business en ligne et en tirant parti des stratégies d’investissement moderne). 

© Sportskeeda

Néanmoins, qu’est ce qui le différencie de ses concurrents ? En réalité, Tate a bien compris comment fonctionnait le marketing et pour se démarquer, l’influenceur a souhaité se différencier par ce qu’il représente et non le contenu. Il va se poser comme seul porte – parole d’une communauté prônant la haine envers, en grande majorité, les femmes  mais également tout un pan politique de gauche. De ce fait, ses haters se retrouvent à interagir avec ses contenus, à le critiquer en ligne lui procurant une visibilité accrue. Comme le journaliste Léon Zitrone dit «Qu’on parle de moi en bien ou en mal, peu importe. L’essentiel, c’est qu’on parle de moi !», Andrew Tate profite donc du fonctionnement algorithmique, reposant sur l’interactivité. 

Pour faire adhérer à son business, il parvient à convaincre une partie de ces hommes que le seul moyen pour faire évoluer leur condition est de devenir riche, la formation qu’il propose étant la seule solution. Une des manières simples de gagner de l’argent dès le départ sur la plateforme est en réalité de l’affiliation, c’est – à – dire en faisant la promotion de la Hustler University. De ce fait, Andrew Tate n’a jamais besoin d’aucune publicité, ses adhérents ainsi que ses détracteurs suffisent.

La réalité derrière ces business

Comme nous l’a montré le cas de Andrew Tate, ces influenceurs ne se limitent pas à de simples formations en ligne qui permettraient d’améliorer une condition sociale ou bien à des discours misogynes diffusées sur internet. En effet, Andrew Tate a été arrêté fin décembre avec son frère, Tristan Tate, tous deux accusés de «constitution d’un groupe criminel organisé, de trafic d’êtres humains et de viol». Selon les accusations, les deux frères détiendraient un réseau de proxénétisme, incluant également des mineurs. Leur mode opératoire serait de leur faire croire à de faux sentiments pour ensuite les entraîner de force dans des réseaux de prostitution ainsi que dans des productions de films pornographiques.  Il a d’ailleurs déclaré sur sa page, désormais supprimée « Mon travail consistait à rencontrer une fille, à avoir quelques rendez-vous, à coucher avec elle, à vérifier si elle était de qualité, à la faire tomber amoureuse de moi au point qu’elle fasse tout ce que je dis, puis à l’avoir sur webcam pour que nous puissions devenir riches ensemble ».

© Le Dauphiné

En attente du procès, nous ne pouvons que confirmer que derrière ces discours misogynes se cache bien souvent une radicalisation ainsi qu’une exploitation des femmes. 

Bien loin de simples opinions, la misogynie et les mouvements masculinistes en ligne engendrent une violence inouïe envers les femmes, qu’elle soit symbolique ou non.

Salomon Eva

Bibliographie/sitographie :

Ramazani Mawamba, “Andrew Tate, incels and the manosphere – how the internet is radicalising young men”, Manchester Evening News,  Janvier 2023.

Shanti Das, “Inside the violent, misogynistic world of TikTok’s new star, Andrew Tate”, The Guardian, 2022.

Corentin Lesueur, “Andrew Tate, influenceur masculiniste, interpellé en Roumanie pour trafic d’êtres humains” in Le Monde. 2022 .

Léa Carrier, “Le réveil des “mâles alpha”, La Presse, 2022.

Jessica Aiston, “Qu’est-ce que la manosphère et pourquoi est-elle préoccupante ?”, Internet Matters, 2021.

Maxence Delabre, “Comment Andrew Tate fait 5M$/mois en vendant du rêve ?”, La tranchée, 2022.  


Illustration : ©Amina Azzaoui

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