Société

Objectif Mars

 

Lancée le 26 Novembre 2011 et atterrit le 6 Août 2012, la sonde Curiosity chapeautée par la NASA est surtout l’écrin rêvé d’une stratégie de communication de la part de l’agence. Cependant, elle en dit long sur les dérives de la médiatisation des affaires scientifiques. Analyse.
Redevenir un des symboles du soft-power Américain.
 
La NASA, créée en 1958 est l’agence Étasunienne en charge du développement spatial du pays. Elle est financée par le budget fédéral, voté annuellement par le Congrès. En perte de notoriété depuis le début des années 2000, elle joue actuellement son avenir même avec la mission Curiosity. En effet, le programme spatial coûte très cher. Les États-Unis ont déboursé 2,5 milliard de dollars pour cette mission. Or, dans cette période de coupes budgétaires, c’est 900 000 millions de dollars qui pourraient lui être retirés. C’est donc l’avenir même de l’agence dont il est question ici.
L’enjeu pour elle est donc de légitimer l’octroi de subventions. Pour cela, la NASA tente de redevenir un des fers de lance des États-Unis, une vitrine diplomatique montrant que le pays garde une certaine hégémonie sur les affaires spatiales.
Une stratégie de communication inspirée de la publicité
 
Pour que Curiosity ne soit pas sa dernière mission, la NASA orchestre toute une stratégie de communication autour de la sonde. Dans le but de rajeunir son image, elle occupe les réseaux sociaux et étaye l’actualité médiatique d’annonces sensationnelles, dans le but d’entretenir l’intérêt général soulevé par la mission.
Un compte Twitter a été lancé pour Curiosity en 2008, mais ce dernier a vraiment explosé lors de l’atterrissage en Août dernier. Sa particularité ? Les tweets sont à la première personne, ponctués de références culturelles plus ou moins destinées aux internautes de moins de quarante ans.

Pour 1 317 225 followers, on peut dire que c’est un succès. Créer un intérêt pour un sujet a priori poussiéreux, attirer et fidéliser des Internautes en instaurant des liens de connivence, savamment entretenus par un ton humoristique… Autant d’indices d’une stratégie de communication qui n’a rien à envier aux publicités classiques. C’est dans cette logique qu’il faut analyser la médiatisation d’un des scientifiques de la mission, le directeur de vol Bobak Ferdowsi. Ce jeune scientifique à la carrière brillante s’est fait remarqué par sa coiffure excentrique. Arborant une crête teintée en rouge et des étoiles taillées à la tondeuse, il est rapidement devenu un mème Internet. Voilà un moyen efficace de montrer la NASA sous un nouveau jour, constituée d’équipes jeunes, dynamiques, bien loin des clichés habituels.
Mais ces deux éléments paraissent bien anecdotiques à côté des annonces sensationnalistes effectuées par l’agence pour occuper l’espace médiatique. Car pour attiser l’intérêt, la NASA n’hésite pas à produire des communiqués présentant les avancées de Curiosity comme des révolutions scientifiques. Début Novembre, la NASA a effectué un teasing sur une annonce qui allait « entrer dans les livres d’histoire » (John Grotzinger, responsable de la mission Mars Science Laboratory) dans le but évident de créér un buzz. L’agence précise très vite que cette découverte sera révélée durant une conférence, le 3 Décembre. Pendant plus de deux semaines, l’agence entretient le buzz, avec, par exemple, ce tweet et cette délicieuse vidéo (ponctuée de références geek)

Très vite, cependant, les scientifiques tentent de calmer le jeu, et déçoivent ceux qui croyaient qu’on avait, enfin, découvert les petits hommes verts. Au lieu de cela, la découverte de quelques molécules organiques « d’origine inconnue » sera annoncée lors de la conférence. Or, elles proviennent sans doute d’une contamination terrestre des instruments de Curiosity. Le buzz est alors tué dans l’oeuf, et l’information très peu reprise dans les médias. Cependant, ce fut pour l’Agence l’occasion de vanter la précision des instruments et de rappeler que la mission, qui était alors prévue pour durer deux ans [1], allait apporter bon nombre de découvertes. On peut alors déceler un certain opportuniste dans ce buzz puisque le budget pour la NASA est fixé fin Décembre… Se montrer indispensable, faire preuve de ses avancées et de sa légitimité scientifique était donc, à ce moment là, absolument nécessaire. Et cette stratégie de communication fut loin d’être un flop.
Des annonces reprises médiatiquement sans recul, jouant sur l’imaginaire spatial
 
En revanche, c’est bien dans le traitement médiatique de ces annonces que se situe le problème. Début Mars, la NASA a récidivé. Dans un courrier envoyé à des journalistes, elle a annoncé la tenue d’une conférence de presse le 12 Mars. Dans cette conférence, elle a annoncé en grande pompe que les conditions nécessaires au développement de la vie étaient présentes sur Mars. Annonce largement reprise dans les médias, présentée comme révolutionnaire.
Or, comme le démontre Pierre Barthélemy sur son excellent blog, cela fait des années que c’est un fait scientifique. Elle surf avec cette « non annonce » sur les imaginaires spatiaux. C’est ici la clé de voûte de toute sa stratégie : par l’usage des mots, des divers communiqués publiés, par les tweets de Curiosity, elle laisse sans cesse présager de la découverte des martiens. C’est, bien sûr, le but de la mission : mais l’agence utilise sans cesse l’intérêt que susciterait une telle découverte pour communiquer et se légitimer.
Le bât blesse dès le moment où ces annonces sont reprises dans les médias. Car ceux-ci suivent, les yeux fermés, ces annonces sensationnalistes sans vérifier les antécédents, sans prendre de recul. Les médias utilisent ces annonces pour justement faire du bruit en jouant sur les imaginaires et faire vendre. Car l’astronomie nous fascine toujours autant. Et ça, la NASA l’a bien compris, c’est bien pour cela qu’elle a ici prévenu les journalistes et non la communauté scientifique. Ce traitement journalistique est bien révélateur de la tendance actuelle des journaux à vouloir publier une information pas forcément vérifiée, mais qui fera grand bruit, dans le but de créer le buzz et de vendre ou d’attirer du trafic sur Internet. En attendant de se trouver un modèle économique viable, elle se réfugie dans un sujet sans risque, facile à traiter et suscitant un grand intérêt.
 
Arthur Guillôme
 
[1] : elle a ensuite été allongée pour une période indéfinie
Sources :
http://web-tech.fr/curiosity-une-decouverte-revolutionnaire-annoncee-par-la-nasa/
http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/astronomie/d/curiosity-des-molecules-organiques-mais-dorigine-inconnue_43175/
http://web-tech.fr/succes-de-curiosity-la-nasa-prepare-deja-la-prochaine-mission/
http://sciencesetavenir.nouvelobs.com/curiosity/20121122.OBS0238/curiosity-speculations-autour-d-une-vraie-fausse-annonce-de-la-nasa.html
http://www.huffingtonpost.fr/2012/08/30/bobak-ferdowski-nasa-punk-curiosity-mars_n_1842095.html
http://www.thethreesheep.com/1/post/2012/08/sticking-the-landing-nasa-launches-a-superb-communications-strategy-for-mars-curiosity.html

Société

Vous avez-dit sexisme ?

Le 25 avril prochain, le jugement sera rendu pour le rappeur Orelsan traduit en justice pour une énième affaire « d’incitation à la haine » et « injures ». La plainte déposée par plusieurs associations féministes, dont Les Chiennes de Garde, devant le tribunal correctionnel de Paris, n’a pour le moment abouti qu’à une relaxe, mais l’affaire n’est pas encore enterrée. On se souvient de la polémique suscitée en 2011 par le titre rendu tristement célèbre par ces débats « Sale Pute ». Le combat des féministes perdure mais pour le public cela reste une discorde nauséeuse. Aurélien Cotentin, alias Orelsan, faisait à l’époque couler l’encre de nombreux titres. La chanson, purement fictionnelle, lui aura tout de même couté cher : interdit de séjour dans de nombreuses salles de concerts, évincé de divers festivals et interdiction d’interpréter ce morceau jusqu’à nouvel ordre. La polémique lui aura certes, offert une certaine notoriété mais le chanteur est tout de même pris pour cible et devient le bouc émissaire d’une lutte qui ne semble finalement pas le concerner.
Aujourd’hui ce sont huit de ses chansons qui sont concernées par la plainte du collectif féministe contre le viol, la Fédération Nationale Solidarité Femmes, l’association Femmes solidaires, les Chiennes de garde et le Mouvement français pour le planning familial. Une attaque de front pour mieux faire tomber le rappeur. Réduire huit petites phrases de textes fictionnels, dont la part de sens critique ou de second degré n’est pas à exclure, semble donc un peu facile et triste aussi ; l’ensemble du travail d’un auteur ne se résume pas à 3% de ses chansons sorties de leur contexte. Une polémique inutile qui pointe pourtant des questions plus profondes et plus encrées dans l’inconscient collectif franco-français. Bouc émissaire d’une réalité pourtant plus complexe. La lutte, si légitime soit elle, des Chiennes de garde, semble pourtant parfois prendre pour cible les mauvais protagonistes, à l’image de ce rappeur dont les textes fictionnels sont clairement à mettre à distance (et c’est précisément ce que fait le public, pas si bête). La question des cibles semble primordiale dans la lutte féministe. On ne peut pas parler à tout bout de champ de sexisme lorsque le second degré ou la fiction est de mise. En revanche, le sexisme ordinaire, lui, perdure. Il continue presque paisiblement son bout de chemin. Sexisme ordinaire vs combat « moral », à l’image de l’expérience de Damien Saez : les affiches de l’album « J’accuse », en 2010, placardées dans les souterrains du métro parisien avaient été rapidement retirées (l’affiche, dite « sexiste », présentait une jeune femme nue, aux talons hauts, posant langoureusement dans un chariot de supermarché, voir photo ci-dessus). Il a une nouvelle fois été censuré par la RATP Medias Transports jugeant les derniers élans artistiques de la pochette de l’album Miami trop scandaleux (voir l’image ci-dessus).  Mais si les tentatives de prises de position de certains artistes restent incomprises, les véritables clichés sexistes, diffusés plus ou moins subtilement, s’inscrivent durablement dans le paysage médiatique.
Combien d’affiches présentes dans ces mêmes souterrains dévoilent sous notre nez les corps dénudés, des femmes aux postures « suggestives », des ménagères soumises ?
Question bête. On retrouve aujourd’hui une forme de sexisme faussement masqué partout, et sans complexe dans les jeux vidéos, voir l’article de Virginie Béjot à ce sujet.
Nos affiches, nos couloirs de  métro, nos publicités, nos jeux vidéos etc. C’est dans une sorte d’enlisement général dans un ensemble de clichés héréditaires que nous stagnons. À l’heure du mariage pour tous, il serait de bon ton de faire reculer quelque peu le sexisme invisible qui nous impose encore des plafonds de verre et autres comportements moyenâgeux. Mais si les français sont de plus en plus sensibilisés aux questions du sexisme, il s’avère que seulement 12% repèrent les stéréotypes sexistes dans une publicité, un sondage réalisé à l’occasion d’une étude menée par l’institut de sondage Mediaprism qui révèle clairement le problème des enjeux actuels de la lutte féministe. En ce qui concerne les campagnes de communication justement, on ne peut plus s’attaquer aux faux problèmes. Lorsqu’un artiste comme Damien Saez pointe clairement le problème avec un angle critique, on devrait se réjouir plutôt que de se désintéresser des réalités faussement masquées, qui continuent de propager un sexisme invisible.
Margot Franquet
Sources :
Capucine Cousin, « Le sexisme invisible », Stratégies n° 1714 7/03/2013
Clémentine Mazoyer, 14/03/2013, http://lci.tf1.fr/culture/musique/la-pochette-de-l-album-de-damien-saez-refusee-par-des-annonceurs-7880729.html
Alice Moreno, 21/03/2013, http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/la-justice-juge-le-sexiste-orelsan_1233740.html#article_comments

Société

Vous reprendrez bien un peu de Candy ?

 
La dernière production de Wes Anderson vient de sortir. Il ne s’agit pas d’un film racontant les aventures de deux jeunes adolescents ou d’une fratrie égarée mais d’un clip publicitaire pour le parfum Prada Candy L’Eau. Prada rentre ainsi dans le cercle très privilégié des marques qui peuvent se payer la contribution d’un réalisateur connu pour mettre en avant leur image/produit.
La marque italienne ne se contente pas de se payer un des réalisateurs indé/hollywoodiens les plus reconnus de sa génération mais, comme lors de son précédent clip, elle propose Léa Seydoux comme égérie de sa fragrance.
Julius et Gene
Le film publicitaire possède une forme hybride, à mi-chemin entre le clip promotionnel usuel et le court-métrage. Prada Candy ne déroge pas à la règle et le film dure 3mn 30.
Séparé en trois parties, il nous présente les pérégrinations amoureuses de Léa Seydoux alias Candy avec deux jeunes hommes prénommés Julius et Gene. Ces deux hommes sont amis et se déchirent pour conquérir le cœur de la belle avant d’accepter de faire ménage à trois.
Les prénoms des héros masculins ne sont bien sûr pas sans rappeler le titre d’un des films les plus emblématiques de la Nouvelle Vague Jules et Jim. Réalisé en 1962 par François Truffaut, le film raconte l’histoire d’un amour à trois entre Jules, Catherine (interprétée par Jeanne Moreau) et Jim. A propos de son film, Truffaut disait « Jules et Jim c’est l’histoire d’une femme qui aime deux hommes et qui en meurt ». Mais la marque italienne fait bien évidemment fi de cette fin tragique. A la fin du clip, Candy, en pleine séance de manucure pédicure chez sa coiffeuse, est prise d’une crise de doute et interroge ses deux partenaires sur l’avenir de leur relation : « Je me demande encore combien de temps on pourra être heureux tous ensemble » Cette question est aussitôt feintée par ses compagnons qui lui répondent philosophiquement « Qui sait ? » « Est-ce important ? »
Prada Candy n’a pas tant pour but de faire réfléchir les jeunes femmes sinon de les faire rêver grâce à l’univers rétro et décalé de Wes Anderson. Au contraire, il les incite à dévorer la vie (et les hommes) si l’on en croit l’appétit gargantuesque de Léa Seydoux à chacune de ses interventions.
Une initiative ratée
Si Prada souhaitait, grâce à l’intervention de Wes Anderson, faire de son film un objet cinématographique digne d’intérêt, c’est raté. Certes, les publicités de parfum nous présentent régulièrement des histoires édulcorées mais là, on atteint des sommets. Esthétiquement, il n’y a rien à reprocher à ce clip. Mais Wes Anderson n’utilise pas son talent pour tourner en dérision les lieux communs. Au contraire, le réalisateur de Moonrise Kingdom nous propose ici une vision plus que stéréotypée de la capitale. Et si le spectateur venait à oublier que l’histoire se déroule à Paris, la chanson Paris s’éveille de Jacques Dutronc retentit toutes les 30 secondes afin de le lui rappeler.
Quant à Léa Seydoux, fort heureusement, son talent d’actrice ne se résume pas à la prestation qu’elle donne dans ce film, car elle ne cesse de sur-jouer ses répliques. Cette manière d’être est probablement censée donner l’impression que la jeune femme profite de la vie. Au lieu de ça, le spectateur a l’impression d’avoir à faire à une douce hystérique.
Quel(s) bénéfice(s) pour les marques ?
Bien que les marques ne communiquent pas sur le prix auquel elles ont rémunéré les réalisateurs qui acceptent d’associer leur nom à un produit, on peut aisément imaginer que ce type de collaboration est particulièrement coûteux. Dans leur volonté d’être présentées comme des objets de luxe, les marques s’approprient les grands noms du cinéma afin de se distinguer des formats publicitaires classiques.
Refn pour Saint-Laurent, Coppola pour Dior ou Jeunet pour Chanel, le but est moins pour ces publicités d’être réussies (et bien souvent elles ne le sont pas) que de retenir l’attention du public. Au cœur d’un marché saturé par la publicité, ces objets prestigieux sont plébiscités par les médias. Le talent est moins important que la notoriété et l’essentiel est donc de créer l’évènement.
Si tel était le souhait de Prada alors leur pari est réussi.
 
Angélina Pineau
Vers les trois vidéos

Société

Ford en marche arrière

 
JWT, la filiale indienne du groupe de publicité WPP, vient de licencier plusieurs employés pour avoir publié sur Internet des projets de publicités pour la « Figo » de Ford. Publicités à l’état d’ébauche dont ni la direction de l’agence, ni Ford n’avaient connaissance.
Il s’est écoulé une longue semaine avant que les internautes ne comprennent que Ford ignorait la teneur des publicités dévoilées par l’agence. Visualisez tout d’abord l’ancien Président du Conseil italien Silvio Berlusconi tout sourire, au volant de la Figo, avec trois jeunes femmes très dénudées, ligotées et bâillonnées dans le coffre. Puis Paris Hilton avec – également dans le coffre de sa voiture et dans le même « état » – les trois sœurs Kardashian, connues pour leurs apparitions dans des émissions de télé-réalité. Enfin Michael Schumacher transportant en otages trois de ses concurrents que sont Lewis Hamilton, Sebastian Vettel et Fernando Alonso, et toujours dans le coffre…
« Laissez vos soucis derrière avec le coffre extra-large de la Figo », un slogan en parfaite adéquation avec les images !
Les réseaux sociaux pris d’assaut accusent Ford « dans le meilleur des cas » de comparer la femme à un « souci », de la réduire à un simple bagage, un objet que l’on veut cacher en la mettant dans le coffre. Au pire Ford s’engagerait dans la voie SM : attacher et donc maltraiter, bâillonner et ainsi faire taire. En un mot chez Ford, la femme est quantité négligeable, elle ne fait pas partie de sa cible. C’est le consommateur masculin qui est décisionnaire. Retour à la case départ des publicités sexistes des années 60.
Un consommateur masculin au style pour le moins douteux : celui de Silvio Berlusconi, l’homme des soirées « bunga bunga », celui des relations sexuelles tarifées avec des jeunes filles mineures : de la corruption et de l’argent facile à tous les étages. La publicité ne consiste-t-elle pas à « entrer par effraction dans l’esprit de quelqu’un pour y déposer une opinion sans que l’on sache qu’il y a eu effraction » comme l’explique Philippe Breton dans La Parole manipulée ? La publicité de Ford, même si elle n’a pas été voulue par l’entreprise elle-même, transforme l’imaginaire du client de telle manière que le facteur sympathie de celui-ci en est immédiatement entaché. « Si c’est ce que représente Ford, je n’achèterai plus jamais de Ford et je ferai le maximum pour ne pas m’asseoir dans une de leurs voitures », a ainsi écrit un utilisateur de Facebook.
Cette histoire pose la question du professionnalisme des publicitaires de JWT. Publier le projet avant d’avoir eu l’aval de la direction était une grave erreur à l’encontre des règles de déontologie et de respect à l’égard de Ford. De plus s’il y a dix ans de cela, cette histoire serait sans doute passée inaperçue ou restée au niveau local, aujourd’hui la vitesse de propagation des nouvelles sur les réseaux sociaux démultiplie les effets négatifs d’une histoire de ce genre.
Cependant quand bien même cette image serait restée en Inde, qu’est-ce qui a poussé les publicitaires indiens à utiliser Silvio Berlusconi pour promouvoir la « Figo » et véhiculer cette image de l’entreprise ? Est-ce le côté sulfureux du dessin ? Car pour concevoir une publicité et son message, il faut se mettre à la place du consommateur et se demander ce qu’il attend, ce dont il a envie. Alors à la suite d’incidents majeurs en Inde concernant les violences faites aux femmes, ne serait-ce pas l’expression d’un subconscient refoulé ?
Ce projet d’affiche faisait partie d’une série publiée quelques jours seulement après l’adoption d’une nouvelle loi réprimant les crimes sexuels, suscitée par le décès en décembre d’une jeune fille victime d’un viol collectif dans un bus. En mars, une touriste suisse a été violée par plusieurs hommes dans le pays. Ces événements graves ont donné lieu à des manifestations contre les violences faites aux femmes. Avec la publicité, ils soulèvent le problème de la société indienne très machiste, qui pense que seule la génitrice d’un garçon est considérée comme une vraie femme. La naissance d’une fille est condamnée alors que celle d’un garçon est célébrée. L’Inde manque de plus de 40 millions de femmes et le désir sexuel devient alors l’esclave de la misère.
Cela pose la question de la place de la femme dans la société orientale qui apparaît être en décalage avec la société occidentale. La publicité est révélatrice des mentalités de la société indienne. Ce qui paraissait normal à tous dans les publicités sexistes des années 60, semble désormais être la norme en Inde. La déontologie s’efface sous le poids des images qui laissent entrevoir les mentalités d’un pays…
 
Félicia de Petiville
Sources :
Reuters France
Huffington Post: « Ford s’excuse pour son affiche avec Berlusconi »
Libération : « Naître ou ne pas naître fille en Inde »

Société

Les jeux vidéo : un truc de filles

 
Il y a quelques semaines est sorti un article qui a secoué un peu la « geekosphère ». Plus qu’un article, c’était presque un mémoire : 65 pages word, près de 22 000 mots, et, selon son auteure @Mar_Lard, 6 mois de travail d’écriture. Publié sur un blog : cafaitgenre.org, il a généré 1 885 commentaires au moment où j’écris ; aussi peu tendres que courts. Quel était donc le sujet de cet article pour créer une polémique de cette envergure ? (Rappelons que les articles des grands médias : le Monde, le Figaro, ou même des plus provocateurs comme le Huffington Post ou Rue 89 récoltent rarement plus d’une trentaine de commentaires par papier, voire une centaine quand l’article est polémique.)
Il traitait simplement de ce problème : « Sexisme chez les geeks : pourquoi notre communauté est malade, et comment y remédier. »
Voilà la mission que s’était donné cet article : recenser tous les cas – et ils sont vastes et variés – de sexisme sur Internet et dans les jeux vidéos, les dénoncer et tenter d’y apporter des solutions. Bien sûr, je ne pourrai vous en faire le résumé ici, d’abord parce que cela a déjà été – mal – fait (il est en effet difficile de résumer un tel travail sans exagérer les positions, ce qu’ont fait les médias qui l’ont relayé, et je vous encourage, si vous voulez vraiment comprendre les enjeux, d’aller lire l’article à sa source plutôt que ces communiqués), mais en plus parce que cela ne me paraît pas très pertinent. Je vous propose alors de nous intéresser à un point particulier, et qui convient bien à notre ligne éditoriale : la communication autour des jeux vidéos.
Près de 50% des joueurs sont… des joueuses.[1] Cela vous étonne ? Moi oui. Car rien dans la publicité, dans la manière qu’ont les jeux vidéo de s’adresser au public, ne me laissait suspecter un si grand nombre. La réponse évidente et salvatrice serait de dire que les femmes ne jouent qu’aux Sims et autres jeux qui consistent à s’occuper d’une famille ou d’animaux de compagnie. Pourtant, il suffit de regarder les chiffres de vente de ces jeux, et le nombre de joueurs total, pour se rendre compte qu’ils sont loin de rassembler 50% de joueurs. Il faut donc en conclure que des jeux comme Call of Duty et Fifa (les deux jeux les plus vendus en France en 2011) ont un public plus varié qu’on serait tentés de croire.
Il y a quelques temps déjà, l’histoire du « girlfriend mode » avait fait scandale : c’était en effet ainsi que le lead designer de Borderlands 2 avait appelé leur mode de jeu le plus facile, suivi ensuite de « moyen », « avancé », etc.
Mais ce sont dans les publicités que cette manière de penser est la plus déplacée. Ainsi, Nintendo affichait, pour la sortie de Super Mario Bros 2, des slogans tels que « l’or : une affaire de femmes » ou « couvrez-la d’or pour gagner son cœur ! » afin de séduire un public féminin…

Quant à Sony, voilà la publicité que l’on pouvait trouver dans des magazines pour la Playstation Vita : une femme sans tête, mais avec deux paires de seins.

Et lorsque ces entreprises ont à essuyer des critiques virulentes – venant des femmes et des hommes, car loin de moi le désir d’assimiler l’homme « geek » à sexiste puisque la grande majorité est las de ces stéréotypes – leur défense, en plus d’être humiliante, est déplacée : « ces publicités s’adressent à un public masculin ».
Cet oubli des femmes se retrouve évidemment dans les jeux mêmes, où rares sont les personnages féminins, l’argument étant que cela déconcentrerait les hommes et qu’elles sont forcément moins acrobatiques. Quand ils sont présents, c’est sous forme très stéréotypée[2], malgré quelques efforts (cf. le « Top 5 : Les héroïnes féministes du jeu vidéo » sur Le Journal du Gamer), qui suscitent automatiquement des vagues de critiques assez peu élégantes ; ainsi cet article de Joystick s’offusque de la réduction de la taille de poitrine de Lara Croft, qualifiés de « pectoraux ». (Si si !)
L’industrie du jeu vidéo se trouve donc enlisée dans un ensemble de clichés qu’elle a du mal à secouer. Sa communication est au niveau de Bic qui sortait un « stylo pour femme » (sur ce sujet, voir l’article de Clémentine Malgras) ou de l’ePad, la tablette pour femme avec une coque rose et des applications pour faire du yoga, ses courses et la cuisine ![3] A l’heure où les jeux vidéos ne cessent de prendre de l’importance et son public de se diversifier (comme le disait déjà Clément Francfort au début de l’année sur notre blog), ce décalage communicationnel est donc surprenant, très questionnable, et aurait intérêt à être corrigé faute de perdre un public qui n’est plus minoritaire.
 

Virginie Béjot

[1] http://www.snjv.org/fr/industrie-francaise-jeu-video/sociologie-joueurs.html

[2] Regardez à ce propos la très intéressante vidéo d’Anita Sarkeesian et son projet qui a récolté bien plus d’argent que qui était demandé : http://www.kickstarter.com/projects/566429325/tropes-vs-women-in-video-games

[3] http://www.gizmodo.fr/2013/03/12/epad-femme.html

2
Société

Poker en ligne : une évolution high tech

 
Depuis l’ouverture du marché des jeux d’argent à la concurrence, le poker en ligne a le vent en poupe. Les principales salles françaises (Pokerstars, Winamax…) rivalisent d’ingéniosité pour attirer, à grand renfort de publicités, les joueurs débutants qui ont simplement envie de passer un bon moment.
Mais même les salles qui ont obtenu l’agrément de l’ARJEL (Autorité de Régulation des Jeux en Ligne) ne peuvent pas protéger les amateurs contre le comportement de certains joueurs… Et les outils high tech qu’ils utilisent.
Les initiés le savent : dans une salle de poker en ligne, il y a les fishs et les sharks. Les fishs (les poissons) sont les débutants ou les joueurs qui perdent souvent. Évidemment, ils constituent une proie facile pour les sharks (les requins) qui ont de l’expérience et un solide équipement pour améliorer leur niveau de jeu. Ils peuvent alors s’enrichir très vite sur le dos de ces amateurs qui ont le malheur de croiser leur route…
Car désormais, être un bon joueur ne suffit plus pour gagner dans les tournois en ligne. En quelques années à peine, des évolutions technologiques de pointe sont venues considérablement transformer la façon de jouer sur la toile. Et ceux qui sont équipés disposent d’un avantage de taille : leurs logiciels vont analyser le comportement de leurs adversaires et  livrer des statistiques qui peuvent être très habilement exploitées.
Un outil comme Poker Tracker, par exemple, va permettre de compiler et d’analyser l’historique des parties et de livrer des indications sur les habitudes de jeu dans le but d’optimiser les chances de gagner. Le joueur dispose non seulement des informations sur son propre jeu, afin de s’améliorer et de continuer à progresser, mais il va obtenir des données sur tous les pokéristes qu’il va affronter.
Résultat : quand son adversaire modifie sa façon de jouer (il prend subitement des risques, il met plus de temps à se décider…), il le sait aussitôt et il peut alors deviner plus facilement s’il a une grosse main ou s’il tente un coup de bluff.
Les salles de poker en ligne ont dû s’adapter assez vite à ces nouvelles pratiques pour anticiper et contrer les dérives. Il y avait par exemple des outils qui permettaient à plusieurs joueurs de s’allier ensemble pour en « plumer » un seul. Ou même de tout savoir sur un joueur avant de se mesurer à lui lors d’une partie, ce qui donne forcément un avantage significatif. Certains logiciels figurent désormais sur une « liste noire » et sont formellement interdits.
L’autre bête noire des salle de poker et des joueurs honnêtes, ce sont les robots (souvent appelés les « bots ») de poker. Concrètement, il s’agit de programmes informatiques conçus pour jouer seuls à la place des joueurs. Certains joueurs de poker se sont ainsi fait attaquer par des machines contrôlées par des hackers peu scrupuleux, notamment dans des parties en limit (c’est-à-dire que le montant maximum de la mise est plafonné pour chaque tour d’enchère).
Là encore, les opérateurs en ligne ont réagi rapidement pour offrir aux joueurs une sécurité optimale.
Mais il n’en reste pas moins que jouer au poker via un robot, à partir du moment où certaines règles sont respectées, n’est nullement répréhensible. Par exemple, il existe plusieurs robots dont le but est de permettre de tester votre stratégie et de vous contrer efficacement pour améliorer votre technique. Dans le genre, le lancement de Neo Poker Bot montre que l’intelligence artificielle est devenue véritablement performante.
Dans les années à venir, le poker en ligne devrait donc continuer à évoluer pour devenir de plus en plus qualitatif et technique. Les joueurs qui voudront s’inscrire dans des parties et des tournois devront être suffisamment expérimentés et équipés pour avoir une réelle chance de gagner.
Conscientes de l’enjeu, qui risque de rebuter beaucoup de joueurs, certaines salles commencent à tester de nouvelles mesures pour séparer les joueurs et les répartir en deux groupes : les gagnants réguliers d’un côté et, de l’autre, les perdants réguliers ou les novices. Histoire d’éviter que les sharks ne finissent par dévorer tous les fishs. Mais rien ne garantit la pérennité de ce système : les joueurs confirmés et réguliers sont aussi ceux qui dépensent le plus et ils ont clairement fait part de leur mécontentement…
 
Benjamin Durant

Société

Sims en déroute

 
Il n’y a pas cinquante arguments à avancer pour vendre un jeu vidéo. Lorsque la réussite technique ne peut pas servir de cheval de bataille, les éditeurs se rabattent sur des variations du genre « nous avons fait exactement ce que vous attendiez » ou « notre seul souci est de créer un jeu sur lequel tous nos fans peuvent s’amuser ».
C’est avec ce type de gentilles formules, assez peu efficaces lorsqu’elles sont censées répondre à des critiques, qu’Electronic Arts a choisi d’affronter la petite tempête soulevée par la sortie du dernier SimCity.
Bad move EA, bad move…
L’ire des joueurs s’était déchaînée dès la toute fin 2012, lorsque Maxis, le studio chargé du développement de SimCity, avait eu le malheur d’organiser un chat sur Reddit pour annoncer les fonctionnalités du jeu aux fans de la série. Il y avait été précisé que SimCity ne disposerait d’aucune forme de mode Offline, et donc que le jeu serait proprement inutile sans connexion Internet.
Âge du tout-connecté ou pas, il reste nombre de situations dans lesquelles un ordinateur est incapable d’accéder au Net, surtout s’il dépend des réseaux wifi adjacents. Mais la rage des joueurs tenait moins à cette agaçante contrainte qu’à ce que l’annonce sous-entendait. Car généralement, la principale raison pour laquelle un éditeur décide d’empêcher l’activation Offline de sa production est la recherche d’une forme de DRM (Digital Rights Management).
En clair, un moyen d’empêcher l’utilisation de copies piratées du jeu en maintenant actifs un certain nombre de protocoles d’authentification, dépendants des serveurs de l’éditeur.
Le 5 Mars, EA lançait officiellement SimCity après une courte période d’essai (ou Beta). Relançant au passage les plaintes exaspérées des joueurs, qui se retrouvaient incapables d’utiliser leur copie en raison de serveurs surchargés. Au principe même de la connexion obligatoire, toujours vue avec une extrême méfiance par la communauté gamer, s’ajoutait l’échec de la marque à faire fonctionner son propre système.

Résultat : un dégoût si grand qu’Amazon a prévu de rembourser ceux qui ont obtenu SimCity via sa plate-forme, pour ensuite se retrouver dans l’impossibilité de l’activer en raison des insuffisances de l’éditeur.
L’événement est depuis considéré comme l’une des pires releases de l’histoire du jeu vidéo et ce malgré la qualité exceptionnelle de SimCity lui-même. Et pour le coup de grâce : une double pétition de consommateurs, extrêmement suivie, fut présentée auprès de Whitehouse.gov et Change.org, à laquelle Maxis ne put répondre qu’en proposant un jeu gratuit du catalogue EA aux joueurs floués.
EA réagit rapidement au niveau technique en doublant la capacité de ses serveurs. Mais l’argument communicationnel ne changea pas de ce qui avait été martelé depuis le chat désastreux : l’obligation du Online n’était qu’un choix désintéressé. Essentiel dans le développement du titre, il ne visait qu’à créer une expérience nouvelle et communautaire pour les joueurs et ce sans aucun pensée mesquine ayant trait au DRM. Une justification difficile à avaler par des fans qui ne voyaient là qu’une énième tentative de l’éditeur pour instaurer un contrôle autoritaire sur l’utilisation de sa production. En outre, ils devaient réaliser assez rapidement qu’il était possible de faire revenir SimCity au Offline en ne supprimant qu’une seule ligne dans le code du jeu.
Ce n’est pas au vieux singe que l’on… Ah ben si tiens
Cette problématique n’est nouvelle ni pour EA ni pour le marché du jeu vidéo en général. Lors de la sortie l’année dernière du très attendu Diablo III, Blizzard Entertainment avait essuyé des critiques semblables. La série Diablo avait pour elle l’excuse d’être en partie vouée au jeu en ligne, là où les précédents SimCity étaient des jeux Offline avant tout. Mais cela n’avait guère joué sur le lancement, qui avait été immédiatement boycotté par des joueurs trahis par les serveurs de Blizzard. En France, l’association UFC-Que Choisir avait même été jusqu’à porter plainte contre le développeur pour avoir distribué un produit inutilisable.

Notons cependant que tous les éditeurs ne tombent pas dans le piège, ainsi Ubisoft qui avait eu la bonne idée d’affranchir ses titres d’une connexion obligatoire quelques mois avant la sortie du remarqué Assassin’s Creed III fin 2012. Il évitait ainsi des déboires semblables tout en s’assurant quelques temps plus tard de diffuser des extensions qui, elles, ne pouvaient être jouées en Offline sur des copies piratées. Le contrôle sécuritaire de la diffusion était maintenu, mais sans que les joueurs aient eu l’impression d’acheter quelque chose « qui n’était pas vraiment à eux ».
DRM is the new Fun
Ces anecdotes ne se répètent pas pour rien. Elles trahissent un enjeu grandissant pour les éditeurs de jeux vidéos, qui sont rattrapés par la démocratisation du piratage. Si l’industrie vidéoludique y réagit aussi tardivement (par comparaison, entre autres, aux labels musicaux), c’est essentiellement grâce à la popularité des jeux fondamentalement Online et donc relativement aisés à contrôler, tels Call Of Duty ou les MMORPG (jeux de rôle en ligne).
Mais c’est la vision des consommateurs qui change le plus par résonnance et en vient à admettre dans des cas comme ceux de Diablo ou de SimCity qu’une copie piratée a au moins le mérite de satisfaire immédiatement son utilisateur, là où les versions officielles sont comme on l’a vu tributaires de manquements logistiques. La méfiance vis-à-vis du tout-Online mène même parfois à considérer que le développement d’un MMORPG (prenant place dans un monde persistant, qui n’admet par définition pas de mode Offline) n’est plus autre chose pour les éditeurs qu’un moyen de s’assurer un DRM inviolable.
Et les faits ne manquent pas pour conforter les joueurs dans leurs opinions, ainsi avec la rumeur grandissante selon laquelle la Xbox 720 (prochaine console de Microsoft) ne pourra fonctionner sans connexion au service Xbox Live, ce qui permettrait de tuer le marché de l’occasion des jeux Xbox en même temps que le piratage ou le simple prêt entre amis : chaque copie de chaque titre ne pourra être utilisée que par un unique utilisateur du service, ayant dûment payé pour ce droit.
Le Flop retentissant d’Electronic Arts est donc le symptôme d’un phénomène qui ne semble pouvoir être endigué que par la mutualisation de la diffusion. Rares sont les alternatives autres que les plates-formes telles que Steam, de Valve. Car Steam encourage ses utilisateurs à passer par lui pour acheter des jeux, et à lancer ces derniers en restant connecté au service. Ceux qui ont fini par apprécier ce fonctionnement et notamment les nombreuses interactions sociales qu’il permet de conserver tout en jouant, sont ainsi moins tentés de simplement quitter la plate-forme. La mort du Offline n’étant à l’évidence pas un changement que les gamers sont prêts à accepter, les éditeurs de jeux vidéos ne semblent pouvoir sauver leur industrie autrement qu’en développant un discours d’escorte de plus en plus tentaculaire, irrigué de services corollaires au gaming lui-même et justifiant une connexion constante.
C’est ça, ou se faire insulter sur Reddit.
 
Léo Fauvel
Sources :
Journaldugamer.com
Forbes, ici, là et là.
Rue89

Société

Stunt et caméras cachées, Carlsberg et ses compères

 
La marque de bière suédoise Carlsberg a lancé le 13 mars sa dernière campagne digitale « Carlsberg put friends to the test » sous forme, encore une fois, de caméra cachée. On se souvient en effet de leur campagne Bikers en 2011, primée aux Cannes Lions de 2012, où un couple qui venait tranquillement regarder un film au cinéma, se retrouvait dans une salle remplie de bikers à l’air féroce. Réactions mitigées de la part du couple souvent dubitatif, pour le plus grand plaisir des internautes. Cette année, Carlsberg reprend la même méthode, et la même agence Duval Guillaume Modem, pour un nouveau buzz. Le concept cette fois-ci : testez vos amitiés. L’arroseur appelle son meilleur ami au beau milieu de la nuit pour lui annoncer qu’il est retenu dans une partie de poker car il a perdu de l’argent. Il lui demande de venir avec 300 euros. De là part une série d’aventure pour celui, le plus courageux, qui aura accepté de courir à l’aide du complice.

Dans les deux campagnes, le courage est mis à l’épreuve, mais est surtout récompensé par une Carlsberg bien méritée. Car la marque a effectué un tournant dans sa stratégie en 2011, voulant se démarquer face à la concurrence mais aussi rajeunir son image. Carlsberg avait depuis sa création, en 1847, une tagline bien connue et ancrée dans les mémoires : « Probably the best beer in the world » (« Probablement la meilleure bière au monde »). Aujourd’hui elle veut mettre en avant une tendance nouvelle, accordant son héritage avec des valeurs correspondant à l’esprit plus actif et aventureux de leur cible. Ainsi la marque encourage aujourd’hui les consommateurs à « s’affirmer et faire les choses bien » en référence à leur nouveau slogan anglo-saxonn : « That calls for a Carlsberg » (« Ca mérite bien une Calsberg »).
La méthode « stunt » est souvent risquée (on se souvient du bad buzz de Cuisinella, analysé ici par Léo Fauvel) mais on peut penser que « Put friends to the test » a tous les ingrédients pour fonctionner. En effet, dans cette caméra cachée, le spectateur est mis dans la confidence et ne risque pas de se méprendre sur la blague, mais aussi et surtout, l’idée est nouvelle. Le message est cohérent, le suspense est là, les « arrosés » sont crédibles, et enfin, la clef du succès de ce genre est présente : on se demande tous « qu’est-ce que j’aurais fait à sa place ? » Bien sûr, de plus en plus d’internautes crient à la supercherie pour ce genre de vidéo virale, et accusent les piégés d’être acteurs, ce qui briserait l’authenticité des vidéos.
Et l’éthique ?
Les publicités caméra cachées, souvent conçues pour créer le buzz, ont un succès indéniables en ce moment. De nombreuses marques se sont mises à l’essai. On a vu récemment le Stress test de Nivéa, le Push to add drama pour TNT ou encore le canular de Jeff Gordon pour Pepsi.
Dans le cas de Pepsi comme souvent ailleurs, le rire provient surtout de l’état de détresse de la personne piégée. Jusqu’où peut-on aller pour donner de la visibilité à sa marque ? Les internautes animent souvent ce débat dans les commentaires en citant parfois les limites de certaines caméras cachées (parmi lesquelles, la vidéo d’une émission comique brésilienne, celle de l’ascenseur hanté, où les victimes étaient terrorisées par un de nos pires cauchemars).
Le combat de coqs
Dans le cas de Carlsberg, l’enjeu de cette campagne était aussi (surtout ?) de répondre à Heineken, son principal concurrent. En effet, depuis quelques années, on a pu observer une jouxte du meilleur stunt entre ces deux rivaux. En 2010 Heinkeken avait organisé un faux concert de musique classique en Italie, le soir d’un match de la Ligue des Champions. Une centaine de femmes avaient piégé leur compagnon et les avaient convaincus de se rendre à cet événement. De même pour quelques journalistes réquisitionnés par leur boss pour y assister. Au bout de quelques minutes musicales très longues pour certains, la marque avait révélé le but réel de cette assemblée, à savoir de regarder le fameux match avec Heineken. Le succès a été au rendez-vous. Mais L’année suivante, Carlsberg réplique avec sa caméra cachée et ses fameux bikers dans un cinéma de Bruxelles. Heineken n’en est pas resté là et a lancé, il y a quelques mois, sa campagne virale « The Candidate ». Nouveau scénario : lors du recrutement d’un nouveau responsable sponsor pour Heineken, cette dernière filme en caméra cachée des entretiens d’embauche, mais pas comme les autres. Après que le recruteur ait conduit le candidat main dans la main jusqu’à son bureau, la victime assiste à des rebondissements improbables, entre malaise vagal du recruteur, alerte à l’incendie et assistance aux pompiers. Les vidéos des trois finalistes ont ensuite été soumises à des votes en interne, et le candidat élu par l’équipe marketing a appris sa réponse lors d’un match, sur l’écran géant du stade.
The End ?
Les deux marques de bières utilisent dans leurs campagnes le consommateur qu’elles mettent dans des situations réelles pour renforcer leur engagement envers la marque et le produit. Par l’émotion et le rire, elles augmentent ainsi leur capital sympathie. Mais à force d’utiliser la caméra cachée pour faire le buzz, nous pouvons imaginer que les marques peuvent user le concept jusqu’à rendre leurs opérations inefficaces voire catastrophiques. Chaque technique de buzz est périssable par la définition même de cette notion, dont le principe est d’être innovant. Qui sera donc le dernier, le perdant, en utilisant un concept dépassé ? On voit déjà le phénomène s’essouffler puisque « Carlsberg put friends to the test » ne dépasse pas encore un seuil de vues très impressionnant au bout d’une semaine.
 
Marie-Hortense Vincent
Sources :
Publivore.fr
Adverblog.com
Beveragedaily.com
Lareclame.fr
Marketingmagazine.co.uk

Société

Jacques a dit : « Nan mais allo quoi » ?

 
Si vous êtes un être humain âgé de 3 à 133 ans, vous en avez forcément entendu parler. Pour les autres, voici la chose :

 C’est LA vidéo qui fait le buzz depuis plusieurs semaines, mettant en scène Nabila, personnage phare des Anges de la téléréalité, en pleine réflexion métaphysique. Ce n’est certes pas la première phrase aberrante et grammaticalement incorrecte lancée par un candidat du télécrochet. Ce qui est plus étonnant c’est la rapidité avec laquelle elle a été diffusée par un certain nombre de relais culturels, à la base assez éloignés les uns des autres, jusqu’à atterrir  dans la bouche de votre propre grand-père en plein déjeuner familial (véridique !). Genèse de la démocratisation d’une phrase culte.
 
Réflexivité de la culture beauf
Clarifions d’emblée la situation : les candidats de la téléréalité sont rarement des lumières, mais pas non plus bêtes à ce point. Dans Les Anges comme ailleurs, on force le trait des caractères, et notre Nabila se retrouve priée de faire des réflexions en adéquation avec son corps de bimbo. Vertigineuse mise en abyme où des gens un peu crétins doivent faire semblant de l’être encore plus pour satisfaire une audience qui veut se sentir intelligente. Ou l’application scrupuleuse de la théorie de la négativité mise au point par le pape de la téléréalité John de Mol : l’idée est de de montrer la lie de l’humanité pour flatter les bas instincts du spectateur.
Cependant si grâce à ce génial concept ces émissions sont massivement regardées elles restent taboues, la règle d’or étant de ne jamais en parler en société, du moins au premier degré. On se retrouve donc face à un phénomène assez paradoxal, à la fois très populaire et extrêmement confidentiel. Donc même si une grande partie de la France a été ravagée par la rupture de Samir et Aurélie, on évite quand même d’en parler dans le métro le matin.
Alors comment expliquer ce qui passe au travers du filtre social ? La « bogossitude » de Vendetta dans La Ferme Célébrités, le « ça va Senna ça va ! » d’Amélie dans Secret story, ou les ébats de Charles-Edouard et Loana dans la piscine du Loft pour les ancêtres sont désormais mythiques et font partie de l’imaginaire collectif. Ces références peuvent être évoquées ouvertement et comprises par énormément de personnes aux profils socioculturels pas forcément proches de celui du fan lambda. La téléréalité touche ainsi indirectement une nouvelle cible, et cette popularisation passe par un angle original : l’ironie. Elle permet d’instaurer une certaine distance avec ce qu’on regarde, autorise le divertissement sans passer par une adhésion, perçue comme humiliante. Ce qui explique que beaucoup y voient un moyen d’évoquer sans complexe les temps forts de certains épisodes dans l’espace public, notamment sur internet.
 
Le relais geek
La multiplication des références à la téléréalité sur le web et principalement dans les réseaux sociaux contribue à donner au genre ses lettres de noblesse. Le second degré, Saint Graal des communautés de l’internet, permet de revaloriser et de moderniser l’objet télévisuel. Dans le cas Nabila on a vu fleurir des parodies faisant référence à un certain nombre de codes culturels estampillés « geek » :
Version Hitler

Version Seigneur des anneaux

Nabila et Cloclo
 
Et pour finir, la parodie de parodie, ou la collision de deux cultures différentes : l’émission elle-même devient second degré en s’appropriant les codes de la contre-culture du net

Ces reprises et beaucoup d’autres se sont répandues de façon virale sur les réseaux sociaux, démocratisant massivement les aventures de Nabila et consorts, en y apposant le label « humour décalé ». Cette deuxième étape attire alors l’attention des médias de masse plus « traditionnels », et l’ « effet Nabila » se fait ressentir jusque dans des sphères très éloignées de la cible première de l’émission.
 
Passage au mainstream
Les médias de flux se mettent à parler eux aussi de cette histoire de shampoing. Mais de la même manière que la vidéo a été parodiée pour s’adapter aux valeurs du net,  elle est ici reformatée par le décryptage. Des émissions cataloguées plutôt bobo se proposent non pas (jamais ô grand jamais) de relayer telle quelle une émission populaire issue des limbes de la TNT, mais d’analyser un phénomène quasi-sociologique. L’honneur est sauf. C’est donc auréolés d’une crédibilité journalistique intacte qu’Audrey Pulvar, Alexandra Sublet, ou Yann Barthès se mettent eux aussi à utiliser leur main comme combiné pour tenter d’expliquer les raisons du buzz national.
La preuve en vidéo

C’est ainsi que la boucle est bouclée : le désormais célébrissime « Non mais allo quoi ? » repasse par la télévision qui l’a vu naitre, en empruntant cette fois les chaines les plus regardées, aux heures de grande écoute qui plus est. On n’est pas passé loin du JT de France 2. L’audience la moins connectée et donc généralement  la moins susceptible  d’être touchée par ces engouements éphémères est ici frappée de plein fouet.
Moralité : le dialogue entre les médias renforce le buzz. Chaque support s’approprie la vidéo en y injectant les valeurs qui lui sont propres, et mobilise ainsi sa communauté attitrée. On se retrouve donc face à une diversité des contenus médiatiques de plus en plus importante, où des évènements au départ condamnés à circuler au sein d’un cercle restreint d’initiés se retrouvent un bref moment sous le feu des projecteurs. Pour le meilleur et pour le pire.
 
Marine Siguier

1
Société

Les stéréotypes nationaux : une stratégie payante ?

 
Un article chauvin… Mais pas trop
Pour toucher le public d’un pays donné, une publicité doit s’appuyer sur des références communes, d’où la tendance à tomber dans les clichés et les stéréotypes culturels. L’exemple le plus récent en date est celui de IDealing :
Le pudding de trop

Peut-être avez-vous remarqué dans le métro parisien cette affiche qui incite d’abord au dégoût : un « meat pudding » traînant sur une sauce trouble virant à l’orange sur fond sombre et assorti du slogan « Quitte à prendre quelque chose aux Anglais, autant prendre leur expertise boursière ». Passée cette réaction épidermique, on se demande : quelle marque a accepté de dénigrer autant l’Angleterre pour se faire valoir ? Il s’agit d’IDealing, courtier en bourse britannique, qui se targue d’afficher les prix les plus bas sur le marché français depuis 2012. Drôle de stratégie que celle qui crache sur une partie de la culture de son pays pour en vanter les mérites dans un autre domaine ! La négation de ses racines n’a sans doute d’autre but que de s’accorder aux clichés français sur les Anglais pour mieux s’implanter sur ce nouveau marché. Comme le Français est très fier de sa propre gastronomie, pourquoi ne pas tenter le coup en dénigrant la cuisine anglaise !
Ceci est un flop : une stratégie agressive pour tenter de s’imposer sur un marché français difficile d’accès, d’autant plus qu’il s’agit d’un groupe britannique peu connu même dans son pays d’origine. Choix risqué et peu payant : la publicité, à l’esthétique peu soignée, est insultante et a peu marqué les esprits.
La bourse ou la bière

Cette marque de bière allemande lance en 1997 (!) une campagne publicitaire qui joue sur le cliché français. La voix off, féminine, se démarque par son fort accent français. Ces sonorités à la française jouent sur des clichés des Français comme romantiques, charmeurs et férus de french kiss, clichés profondément ancrés à l’étranger.
Ceci n’est pas un flop : La pub est restée dans les annales grâce à son ton léger, à la qualité de ses images et au sujet abordé : c’est bien connu, la bière est un sujet plus plaisant que l’expertise boursière, et sans doute moins sensible au crash.
Fast and Cliché
Le secteur automobile n’est pas en reste. Pour s’exporter, les constructeurs font souvent appel à des clichés nationaux, également pour rappeler leur identité. La preuve par Renault : c’est ce qu’illustrent plusieurs campagnes publicitaires (Allemagne, Royaume-Uni par exemple) dont on retiendra celle qui s’adresse à un public allemand. Elle met en scène des collisions entre deux personnes où chaque duo représente un pays: Japon, Suède, Allemagne et France. Mais seule la collision entre les Français se concrétise par un baiser plutôt qu’un choc violent. Argument publicitaire : « en cas d’accident, la meilleure protection est française ».
Flop ou pas flop ? : La publicité est bien pensée, le montage soigné mais utiliser les clichés de personnes entrant en collision peut choquer les pays représentés. De plus, la publicité ne remplira pas forcément sa mission, les marques allemandes ayant toujours meilleure réputation dans leur propre pays.
La vidéo a reçu des critiques bien différentes à sa sortie : « chauvin ! » ont crié certains, « cliché ! » ont argué d’autres. Il est intéressant de noter cependant que cette publicité n’a pas été créée par une agence française, mais une agence allemande, basée à Hambourg. Verdict : flop ou pas flop ?
Currys, un humour épicé

Veni, vidi, vici peuvent affirmer fièrement les Irlandais après avoir battu les Bleus. Mais l’esprit victorieux ne s’est pas arrêté à ce match et s’est importé dans certaines publicités irlandaises. Prenons comme exemple celle de Currys, magasin d’électroménager : leur nouvel aspirateur est capable d’emporter Thierry Henry avant qu’il ne finisse de débiter, avec un accent français à couper au couteau, des grossièretés méprisantes à l’égard de ses adversaires, tout en prenant généreusement le ballon de sa main. « The French loose, The Irish win », même dans l’électroménager!
Ceci est un demi-flop : Pour les Irlandais la publicité fait référence à un moment de réussite sportive et la marque a su surfer sur cette vague de fierté nationale. Donc la tactique fonctionne at home, sweet home. Par contre, flop assuré à l’étranger ! La campagne ne pourrait absolument pas s’exporter car elle part d’un événement sportif ponctuel mais surtout parce qu’elle assimile cette rencontre entre deux sportifs à une confrontation entre deux peuples. L’humiliation française se poursuit dans la publicité irlandaise. Le sport reste l’un des derniers bastions du fair-play moderne, pas la publicité !
En bref : les publicités fondées sur des clichés nationaux, flops ou pas flops ? Sujet sensible, le cliché national peut être un atout lorsqu’il s’adresse à un public ciblé qui l’apprécie et sait le comprendre. L’utiliser dans l’auto-dérision est souvent un bon moyen pour que la publicité plaise et attire l’attention des publics visés. Attention tout de même à ne pas forcer le trait en transformant un gentil cliché en insulte manifeste et parfois virulente à l’égard d’une zone culturelle. Domaine stéréotypé par excellence, la publicité peine parfois à renouveler ses sujets. Et en matière de cliché, c’est toujours la même rengaine : ça passe ou ça casse.
 
Sophie Pottier et Pauline St Macary
Sources :
The Advertising Times
Café Babel
Langue De Pub