Société

Les jeux vidéo : un truc de filles

 

Il y a quelques semaines est sorti un article qui a secoué un peu la « geekosphère ». Plus qu’un article, c’était presque un mémoire : 65 pages word, près de 22 000 mots, et, selon son auteure @Mar_Lard, 6 mois de travail d’écriture. Publié sur un blog : cafaitgenre.org, il a généré 1 885 commentaires au moment où j’écris ; aussi peu tendres que courts. Quel était donc le sujet de cet article pour créer une polémique de cette envergure ? (Rappelons que les articles des grands médias : le Monde, le Figaro, ou même des plus provocateurs comme le Huffington Post ou Rue 89 récoltent rarement plus d’une trentaine de commentaires par papier, voire une centaine quand l’article est polémique.)

Il traitait simplement de ce problème : « Sexisme chez les geeks : pourquoi notre communauté est malade, et comment y remédier. »

Voilà la mission que s’était donné cet article : recenser tous les cas – et ils sont vastes et variés – de sexisme sur Internet et dans les jeux vidéos, les dénoncer et tenter d’y apporter des solutions. Bien sûr, je ne pourrai vous en faire le résumé ici, d’abord parce que cela a déjà été – mal – fait (il est en effet difficile de résumer un tel travail sans exagérer les positions, ce qu’ont fait les médias qui l’ont relayé, et je vous encourage, si vous voulez vraiment comprendre les enjeux, d’aller lire l’article à sa source plutôt que ces communiqués), mais en plus parce que cela ne me paraît pas très pertinent. Je vous propose alors de nous intéresser à un point particulier, et qui convient bien à notre ligne éditoriale : la communication autour des jeux vidéos.

Près de 50% des joueurs sont… des joueuses.[1] Cela vous étonne ? Moi oui. Car rien dans la publicité, dans la manière qu’ont les jeux vidéo de s’adresser au public, ne me laissait suspecter un si grand nombre. La réponse évidente et salvatrice serait de dire que les femmes ne jouent qu’aux Sims et autres jeux qui consistent à s’occuper d’une famille ou d’animaux de compagnie. Pourtant, il suffit de regarder les chiffres de vente de ces jeux, et le nombre de joueurs total, pour se rendre compte qu’ils sont loin de rassembler 50% de joueurs. Il faut donc en conclure que des jeux comme Call of Duty et Fifa (les deux jeux les plus vendus en France en 2011) ont un public plus varié qu’on serait tentés de croire.

Il y a quelques temps déjà, l’histoire du « girlfriend mode » avait fait scandale : c’était en effet ainsi que le lead designer de Borderlands 2 avait appelé leur mode de jeu le plus facile, suivi ensuite de « moyen », « avancé », etc.

Mais ce sont dans les publicités que cette manière de penser est la plus déplacée. Ainsi, Nintendo affichait, pour la sortie de Super Mario Bros 2, des slogans tels que « l’or : une affaire de femmes » ou « couvrez-la d’or pour gagner son cœur ! » afin de séduire un public féminin…

pubsnintendo

Quant à Sony, voilà la publicité que l’on pouvait trouver dans des magazines pour la Playstation Vita : une femme sans tête, mais avec deux paires de seins.

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Et lorsque ces entreprises ont à essuyer des critiques virulentes – venant des femmes et des hommes, car loin de moi le désir d’assimiler l’homme « geek » à sexiste puisque la grande majorité est las de ces stéréotypes – leur défense, en plus d’être humiliante, est déplacée : « ces publicités s’adressent à un public masculin ».

Cet oubli des femmes se retrouve évidemment dans les jeux mêmes, où rares sont les personnages féminins, l’argument étant que cela déconcentrerait les hommes et qu’elles sont forcément moins acrobatiques. Quand ils sont présents, c’est sous forme très stéréotypée[2], malgré quelques efforts (cf. le « Top 5 : Les héroïnes féministes du jeu vidéo » sur Le Journal du Gamer), qui suscitent automatiquement des vagues de critiques assez peu élégantes ; ainsi cet article de Joystick s’offusque de la réduction de la taille de poitrine de Lara Croft, qualifiés de « pectoraux ». (Si si !)

L’industrie du jeu vidéo se trouve donc enlisée dans un ensemble de clichés qu’elle a du mal à secouer. Sa communication est au niveau de Bic qui sortait un « stylo pour femme » (sur ce sujet, voir l’article de Clémentine Malgras) ou de l’ePad, la tablette pour femme avec une coque rose et des applications pour faire du yoga, ses courses et la cuisine ![3] A l’heure où les jeux vidéos ne cessent de prendre de l’importance et son public de se diversifier (comme le disait déjà Clément Francfort au début de l’année sur notre blog), ce décalage communicationnel est donc surprenant, très questionnable, et aurait intérêt à être corrigé faute de perdre un public qui n’est plus minoritaire.

 

Virginie Béjot


[2] Regardez à ce propos la très intéressante vidéo d’Anita Sarkeesian et son projet qui a récolté bien plus d’argent que qui était demandé : http://www.kickstarter.com/projects/566429325/tropes-vs-women-in-video-games

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