Société

« L'oxygène est un vieux souvenir, Mes poumons, touche si tu oses ! »*

 
Dans la lutte anti-tabac, les pays ne manquent pas d’originalité et les campagnes de santé publique se multiplient et tentent de se surpasser les unes et les autres. Cependant, ces dernières années, un nouvel élément a créé le changement. En première ligne, il y a le traitement du « choc », désormais acteur principal de la communication autour de la méchante cigarette. Si les publicités en faveur du tabagisme sont censurées sur tous les médias depuis les années 90, tous les efforts se concentrent aujourd’hui sur des campagnes contre la cigarette, l’ennemi public n°1.
A travers le monde, la recherche de créativité et d’innovation des messages anti-tabac se fait de plus en plus vive, et toujours sur cette même tendance : choquer pour mieux régner.
Rendre le packaging le moins glamour possible… Check !
L’une des premières mesures marquantes semble être le concours du gore sur les paquets de cigarettes eux-mêmes. La photo choquante est donc de mise, de la Thaïlande au Brésil, en passant par Singapour ou même les États-Unis.
L’objectif ? Rendre le paquet repoussant, voire honteux, face à une industrie du tabac qui semble utiliser le paquet lui-même comme un outil promotionnel et glamour pour séduire le public, et le plus jeune possible.
Les conséquences ? Il semblerait que ces images soient relativement efficaces par rapport aux anciens messages purement textuels. Elles attirent l’attention et montrent de manière plus immédiate les conséquences physiques du tabagisme. Voir ce à quoi l’on a échappé en arrêtant de fumer serait donc l’une des solutions. Cette idée réside dans le discours même des professionnels de la lutte contre le tabagisme ; on y observe un rejet du terme « choc » pour présenter ces images comme « informations sur les complications pour la santé liées à la consommation de tabac ». Vraiment ? Parce que lorsque l’on regarde réellement ces photos, le choc est bien là et donne légèrement envie de laisser le paquet dans son sac…
Le jeu sur l’émotion… C’est en Thaïlande !
Face au gore, nous avons une toute autre ligne de conduite : l’émotion. Le traitement du choc s’insère donc aussi dans une logique quasi manipulatrice qui exploite l’émotivité de nos chers fumeurs pour les amadouer et les faire arrêter.
Le meilleur outil ? Les enfants ! Quoi de mieux qu’une bouille enfantine pour crier au malheur de la cigarette et participer à la prise de conscience des effets nocifs ? La vérité sort toujours de la bouche des enfants, ne l’oublions pas !
Une vidéo thaïlandaise illustre tout à fait ce propos en mettant en scène deux éléments plutôt efficaces dans l’impact du message : ces fameux enfants plus responsables qu’on ne le croit et l’aspect caméra cachée pour saisir les réactions au naturel. La fondation Ogilvy Thailand est à l’origine de cet émouvant spot publicitaire et c’est un véritable succès sur la toile :

La Palme du politiquement incorrect… La censored French touch !
Si nous continuons notre petit tour du monde, c’est en France qu’il faut s’arrêter ! En effet, en matière de flirt avec les limites du message communicationnel, il semble falloir mentionner la campagne française « Fumer, c’est être l’esclave du tabac » et sa fumeuse association.

Ici, l’addiction à la cigarette est comparée à une soumission sexuelle dans un message confus, voire abusif. Cette campagne de la DNF (l’association Droit des Non-Fumeurs) réalisée par BBDP & Fils choque pour toucher les adolescents, de plus en plus nombreux à commencer à fumer. Hautement critiquée, cette affiche soulève de nombreux débats. Les associations de victimes de sévices sexuels crient au scandale et ces images seront quasiment censurées. Cependant, cette fois-ci, on l’assume : « Les adolescents sont soumis à près de 2000 messages publicitaires par jour et les visuels « chocs » sont les seuls moyens de capter leur attention. » déclare la DNF, fière de son traitement du borderline.
« Sexe, clope et pub : le mauvais ménage à trois » chez Marianne 2 ; « Pub anti-clope : ça taille sévère » chez Libération ou encore « La nouvelle campagne contre la clope casse sa pipe » sur France Info… Les médias s’en sont donnés à cœur joie sur ce politiquement incorrect français.
Néanmoins, il faut aussi féliciter la French Touch pour le spot publicitaire qui accompagne ces affiches et qui fait preuve d’une intelligence et d’un message de qualité. Je vous laisse apprécier :

Et la palme d’or du gore revient aux… British !
Les Anglais sont bel et bien les rois du choc efficace ! Depuis quelques années, ils se sont réellement penchés sur cette question du tabagisme comme fléau social de notre siècle et ont tenté d’œuvrer pour une réduction massive du nombre de fumeurs dans leur pays.
En 2005 notamment, trois institutions se sont rassemblées pour créer une nouvelle campagne : la British Heart Foundation, Cancer Research UK et National Health Service. Ils se sont alors posés une question juste et pertinente : « comment délivrer de manière efficace un message dans un monde où le choquant ne choque finalement plus ? »
En jouant sur les témoignages et le visuel, les campagnes qui ont découlé de cet effort ont réussi sur plusieurs points intéressants. Les malades ont été présentés comme les miroirs des fumeurs, comme le reflet de ce qu’ils pourraient être. Un lien a été créé entre l’image de la maladie et la cigarette elle-même. Enfin, en assumant totalement l’exploitation des ressources de l’émotion, les enfants ont été montrés comme la cible principale du tabagisme passif. Néanmoins, il faut tout de même souligner que ce fut un véritable succès : pendant la campagne, près de 225 000 fumeurs ont demandé de l’aide pour arrêter.
Parmi la grande série de spots publicitaires qui sont nés de cette première initiative, en voici les deux plus marquantes : attention, âmes sensibles s’abstenir !
La graisse dans les artères, ou « the fatty cigarette » :

Les caillots dans le sang, ou la campagne « Under my skin » :

En 2012, les Anglais reviennent en force avec leur nouveau spot qui montre de manière explicite les mutations qui se produisent toutes les 15 cigarettes et susceptible d’engendrer un cancer. Le gore est en première ligne et semble presque jurer avec la pudeur anglaise tant réputée.

De nombreux éléments sont donc exploités à travers ces campagnes : le gore, le choc, l’émotion, le côté réel du témoignage, les effets sur les enfants et le flirt avec le politiquement incorrect… Tout ! Les Anglais semblent prêts à tout pour lutter contre le Mal du siècle, la cigarette.
Et si vous avez envie de voir encore plus d’exemples, je vous invite à aller lire l’article d’un collègue du Celsa sur son site Advertising Times.
* M, Je suis une cigarette
 
Laura Lalvée
Sources :
Rue89
Atlantico
Publigeekaire.com
The Advertising Times

Société

Hugo Chavez : le deuil inavouable

 
Le Venezuela fut en deuil une semaine durant. Une semaine pour se remémorer d’un homme devenu symbole, puis parti politique. Une semaine pour faire le deuil d’un homme et d’un idéal. Pour la grande majorité des vénézuéliens, ce décès se doit d’être commémoré afin ne pas oublier ce qu’était le courage politique, ce qu’était leur vision de la politique.
 
Mouton noir et loup blanc
Cependant, focalisons-nous ici sur le traitement de l’annonce du décès par les différents média. Le deuil se doit d’être respecté par le journaliste, le défunt semble devoir être considéré, coûte que coûte. L’annonce du média ne prendra pas de position politique mais tentera plutôt de mettre en lumière la complexité du traitement de l’action politique et de la difficulté de dresser le bilan d’un homme de façon aussi rapide.
Quelle belle hypocrisie que celle-ci ! Les lecteurs et les spectateurs n’ont-ils pas de mémoire ? Un homme, décrit comme un loup agressif, moralisateur, violent et sanguinaire durant tout son règne est devenu, le jour de sa mort, le symbole de l’Argentine moderne, l’homme qui a su donner au pauvre et qui a su rediriger les bénéfices du pétrole. Le mort est sacré, la figure du défunt est lavée de tout soupçon, son souvenir reconsidéré. Peut-on enterrer un homme avec de la haine ? Slate.fr a rapidement enlevé de sa première page l’article faisant le bilan économique de ce président pour le remplacer par un article nous présentant Chavez comme un homme cultivé et admirateur de la littérature française.
Chavez n’était pas un saint. Malgré les milliers de pleurs qui raisonnent dans la belle et dangereuse ville de Caracas, pas une seule voix ne se fait entendre pour reconsidérer le bilan de son action politique. Les pleurs annihilent la critique par leurs caractères passionnels.  L’image communique l’émotion, la douleur se répand. On ne peut pas admettre la critique de l’homme alors que le cadavre est encore chaud.
« L’encre coule le sang se répand. La feuille buvard absorbe l’émotion » comme disait IAM.
 
Le deuil totalitaire
Voilà donc un obstacle à la mémoire, à l’histoire et au décryptage de l’œuvre d’un homme. La surexposition médiatique de l’émotion et de l’unité nationale derrière le décès d’Hugo Chavez a empêché de construire un autre regard et de mettre en lumière les phases les plus sombres de son pouvoir. La communication gouvernementale passe ici par le deuil. Le gouvernement utilise l’évènement comme un moyen de perpétuer l’œuvre de l’homme. Heidegger dans Etre et temps, montre que le deuil doit avant tout être considéré comme un renvoi permanent au passé. Le fait que le corps de Chavez ait été embaumé souligne clairement cette volonté de perpétuer son œuvre passée et de le faire entrer dans le panthéon historique qui devient l’identité du pays. Le musée est ici la représentation du figé, et cette volonté de thésauriser l’homme politique dans les vitrines du musée nous amène à comprendre le souhait de créer une sorte de deuil perpétuel presque mystique.
En effet, le Venezuela est en train de construire un deuil qui va annihiler toute possibilité de contestation de l’œuvre de Chavez. La puissance passionnelle du deuil va être poursuivie afin de transformer le travail de cet homme en point de fondation de la vie politique du Venezuela. Ici, la communication gouvernementale tente de perpétuer le souvenir pour transmettre l’image la plus positive possible du pays. Un tel déni du passé et une telle sacralisation de l’homme prouvent que le Venezuela est encore un pays qui a besoin de s’affirmer et d’illustrer la légitimité de la révolution socialiste. Cette position politique et cette indépendance dans l’échiquier mondial est ici mise en valeur par le deuil,  par les cérémonies et ce dolorisme inavouable.
D’un point de vue communicationnel, le deuil est donc un outil puissant, qui affirme les bases du régime en rendant hommage à celui qui a réussi à faire évoluer le pays. Le deuil est aussi un retour perpétuel vers le passé, un regard en arrière peut-être nostalgique, mais avant tout conservateur. De plus, ce deuil s’est magnifiquement bien propagé aux médias occidentaux qui mettent en lumière le caractère de l’homme, son courage et parfois son intelligence bien plus que son populisme, son culte de la personne et son égo surdimensionné. Une telle manipulation utilise comme outil ce respect universel de la mort, de la mémoire. Et cet aspect est bien puissant.
 
Emmanuel de Watrigant
Rendez-vous la semaine prochaine avec Laura Garnier pour Irrévérences qui traitera du deuil de Stéphane Hessel.

Société

Jacques a dit : « à base de papapape »

 
Le sede vacante du Vatican fait les choux gras des articles de presse. Ce poste à pourvoir, assez particulier, a déclenché tant les pronostics des parieurs PMU que les analyses d’ornithologues benoitseizistes. Cependant, l’élection du chef d’Etat du Vatican ne vient pas se construire sur une montagne de sondages, comme le ferait toute autre élection politique. Point de campagne, point de slogan, point de meeting, parce que le temporel ici se mêle au spirituel. On parle de fait du « Saint siège », dont l’occupation relève d’un protocole réglé comme du papier à musique, fort de 2000 ans d’expérience. L’élection ne peut aboutir que dans le secret d’une chapelle Sixtine fermée à double tour, « con-clave » littéralement. L’Eglise se met en retrait, loin du tourbillon du monde, pour mieux se remettre à flot ensuite. Et le monde de se casser les dents et de brasser du vent sur ce siège vacant, quand il ne s’occupe que du fauteuil et non de la fonction.
L’attente provoque la glose, évidemment. On retrouve le classique tableau des potentiels « gagnants ». Dans l’annonce des poulains prometteurs, entre favoris et outsiders,  l’article de Slate est ici le plus représentatif. Certains cardinaux sont même affublés d’un nom de scène, un peu comme sur l’affiche juteuse d’un combat de boxe : Luis Antonio Tagle (Philippines), dit le «Wojtyla de l’Asie» ! On table également sur le prénom que choisira le futur pape, au regard des statistiques : http://infogr.am/prenoms-pape-0164. Et puis on voudrait dépoussiérer cette institution archaïque en la modelant à notre goût, c’est-à-dire selon l’air du temps. Il faut que le pape soit noir, il faut qu’il soit jeune, et pourquoi pas une papesse, et pourquoi pas lesbienne ? En l’honneur de la journée de la femme, le Nouvel Observateur donne la parole à un historien des religions sur la question de la misogynie ecclésiastique. Puisque le pape est exposé médiatiquement, son apparence compte aussi.  MSN.femmes relève les « fashion fails » de Benoît XVI en titrant  « Un pionnier des « soucis de garde-robe » loin devant Anne Hathaway ou Jennifer Lawrence. » A la recherche d’une sémiotique de la mitre, Rue 89 étayait en 2010 sa réflexion en parlant chiffons : « un pape réac jusque dans son dressing ». Car sur la scène publique, l’habit révèle le moine. Des associations protectrices d’animaux ont aussi critiqué le pape pour son port de fourrures sur certains vêtements. Mais enfin, celui qui se dit pasteur de brebis ne devrait-il pas commencer par donner l’exemple ? C’est l’hôpital qui se fout de la charité chrétienne.
Beaucoup de bruit pour rien, dirait Shakespeare. Certains articles semblent ainsi répondre affirmativement à la fameuse question communicationnelle : « peut-on parler pour ne rien dire ? ».  Ils pêchent en quelque sorte par anthropomorphisme, à vouloir saisir un objet hétéroclite avec leurs propres instruments de mesure. En contre-exemple cet article de Slate se démarque en montrant le charme de cette élection, unique en son genre. En effet, c’est se fourvoyer dans la compréhension de l’autre, que de le regarder à travers soi. « Je veux un pape ringard ! » clame l’écrivain Solange Bied-Charreton, sur le site du Monde. Elle retourne le faux problème de la « modernisation de l’Eglise », afin de mettre à jour le réel enjeu en lequel consiste l’aplanissement des repères. Ou prendre le contre-pied de tous les papes de la sacro-sainte bien-pensance, avec subtilité.
 
Sibylle Rousselot
Sources
http://www.lepoint.fr/art-de-vivre/la-garde-robe-retro-de-benoit-xvi-27-02-2013-1633604_4.php
http://www.rue89.com/2010/11/01/benoit-xvi-un-pape-reac-jusque-dans-son-dressing-173738
http://tempsreel.nouvelobs.com/journee-de-la-femme/20130307.OBS1207/une-femme-pape-pas-avant-des-generations.html
http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/03/02/je-veux-un-pape-ringard_1841822_3232.html
 

Société

Amicalement pas vôtre

 
En période d’évolution et de changement, il est intéressant de constater des comportements qui se cristallisent, voire qui se radicalisent : le modèle économique des grandes majors de la musique, des grandes maisons d’édition est en pleine mutation, si bien qu’elles se montrent de plus en plus intraitables dans la défense de leur propriété. De même, les partisans du libre et du partage gratuit radicalisent leurs actions en même temps que leur raison d’être tend à se faire moins évidente.
 
Pour le meilleur ou pour le pire ?
Dans le cas du livre, le succès insolent d’Amazon, notamment aux États-Unis, ne le dément pas : il ne vous est plus permis de posséder, on vous concède une licence d’utilisation sur un bien dont vous n’êtes plus le propriétaire. Le livre que vous achetez ne peut être revendu, transmis, échangé ou prêté. Il est la propriété d’Amazon. La musique tend à suivre le même chemin, après l’interdiction des DRM (verrous numériques limitant l’usage) avec des services comme Deezer ou Spotify qui proposent des abonnements. De même, le jeu vidéo, qui bénéficiait d’un marché de l’occasion important, s’en trouve privé puisqu’il est de plus en plus téléchargé et non acheté sur des supports physiques, ce qui rend dès lors impossible la revente, le prêt, la transmission…
Fini donc le temps où vous récupériez les livres ou la musique de vos parents.
Mais cette évolution est à l’œuvre partout : le vélo en libre service, la voiture en libre service, l’abonnement annuel à des logiciels comme la suite Office, l’abonnement aux éditions en ligne des médias d’information plutôt que l’achat au numéro…
 
Du propriétaire à l’usager
Tout cela participe de ce que l’on appelle l’économie de la fonctionnalité : on cherche à monétiser un usage et non plus une propriété. Ce système permet beaucoup de choses, parce qu’il facilite par exemple l’évolution du bien dont vous achetez l’usage ; vous n’êtes plus tenu d’acheter à chaque fois le nouveau produit pour bénéficier de nouvelles fonctionnalités. De même, il y a l’idée que vous payez pour ce que vous utilisez plutôt que d’acquérir un surplus inutile. Un bel exemple de cette évolution est le ChromeBook de Google, un ordinateur, couplé à son OS (Operating System ou Système d’exploitation, logiciel qui gère la partie matérielle d’un ordinateur et permet l’interaction avec l’utilisateur : Windows, MacOs ou Linux sont des systèmes d’exploitations) : ChromeOs. En effet, cet ordinateur de faible capacité (relativement à ce que l’on trouve aujourd’hui) fonctionne grâce à des applications hébergées en ligne, accessibles et utilisables en ligne, mais non installées sur votre ordinateur.
Cela permet, en théorie, de réduire les coûts, puisque vous ne payez qu’en fonction de vos stricts besoins.
Beaucoup de ces entreprises et marques qui se lancent dans l’économie de la fonctionnalité mettent en avant les avantages en termes de coûts, d’environnement (notamment pour l’automobile, le vélo et le papier), la mobilité en ce qui concerne le contenu comme la presse, les livres, la musique…
Cet argumentaire s’intègre d’autant mieux aujourd’hui que la Responsabilité Sociétale et Environnementale (RSE, ou ESG pour les anglo-saxons) et, de manière générale, le bilan extra-financier des entreprises prend de l’importance dans les choix des investisseurs et des consommateurs.
Par exemple, la page d’accueil de Deezer joue sur la mobilité : « Faites entrer la musique dans
 une nouvelle dimension. Écoutez tout ce que vous aimez, 
partout, tout le temps »
Sur le site d’Autolib’, la rubrique avantages met en évidence la réduction des coûts et l’environnement : « Économique, pratique, écologique, simple »
En présentation de l’abonnement mensuel ou annuel de la suite Office, on retrouve la mobilité : « Utilisez Office quand et où vous en avez besoin »
 
De l’usager à l’aliéné
 Mais cette économie de la fonctionnalité est, dans la pratique, moins convaincante : parce que l’on accroît sa dépendance à l’égard de ces différents acteurs. Si Google ou le Groupe Bolloré rencontrent un problème, vous n’avez plus accès à vos documents ou applications hébergés en ligne, et vous n’avez plus de moyen de transport. Ceux à quoi certains, auxquels les événements ont donné tort, répondront que ces acteurs sont « too big too fail » ; de quoi être rassuré sur la pérennité de ces services, non ?
En dehors de cette forme d’aliénation à un nombre croissant de prestataires extérieurs, cela soulève un deuxième problème : la disparition de la propriété. Or cette même propriété est aussi garante d’un usage non marchand des biens que l’on acquiert. L’économie de la fonctionnalité, des usages, en dépit de ses avantages avancés, est une percée conséquente de l’économie marchande dans le non-marchand : prêt, échange, transmission, héritage… Et la disparition de telles structures aurait des répercussions telles qu’il apparaît aujourd’hui impossible d’en circonscrire toutes les implications.
Plus rien ne vous appartiendra, c’est le mot d’ordre de demain.
 
Oscar Dassetto

Société

Ils sont forts ces British !

Il paraît que la télévision, toujours plus énervée par la concurrence d’Internet, redouble d’efforts pour rivaliser et attirer davantage d’annonceurs. La rumeur court depuis que BSkyB, l’opérateur de télévision par satellite britannique, a fait le pari de relancer les publicités locales. Très répandues dans les années 1970 au cinéma (pour un restaurant asiatique du quartier par exemple), BSkyB compte les remettre à jour sur le petit écran.
Le retour de la publicité personnalisée
Mais d’abord, comment cela fonctionnerait-il exactement ? Sky reste assez flou sur ce point. Il prévoit le lancement d’un nouveau service dans quelques mois nommé « AdSmart ». Celui-ci proposerait plusieurs « gammes de solutions pour répondre aux besoins des marques », comme l’énonce Andrew Griffith, le directeur financier de Sky. Or pour les annonceurs, l’enjeu est de taille. Il s’agit pour eux de s’adresser directement aux foyers désirés en fonction de leur composition, de leur localisation ou de leurs programmes favoris. BSkyB entend aller très loin en leur permettant de diffuser leurs publicités dans des zones géographiques précises, voire dans quelques maisons ciblées dans une rue donnée.
Mais encore ?
Andrew Griffith explique aussi : « on pourrait par exemple réserver les cinq dernières secondes d’une publicité automobile à un concessionnaire local, ou bien proposer plusieurs variantes pour une case publicitaire. » En fait, « AdSmart » sera disponible sur les 7,3 millions de décodeurs haute-définition de l’opérateur dans des foyers en Grande Bretagne. Ainsi la chaîne diffusera ces spots personnalisés par-dessus les spots dits « linéaires » de façon fluide pour les téléspectateurs qui n’auront pas désactivé cette nouvelle fonction sur leur boîtier. Quant à la segmentation des foyers, l’équipe de Sky serait aidée par des entreprises spécialisées dans la gestion du risque de crédit, en bons connaisseurs des revenus et des modes de vie des consommateurs.
Jackpot pour Sky qui pense attirer non seulement les annonceurs locaux mais aussi les plus grandes marques. Ces dernières pourraient voir dans ce système un moyen de diminuer les pertes liées aux campagnes publicitaires classiques. Comme le souligne Anthony Ireson, directeur marketing de Ford en Grande Bretagne, « la moitié de notre travail est gâché. La publicité personnalisée est un moyen de cibler les gens à qui vous avez besoin de parler. » Ainsi, le Financial Times estime même que des marques haut de gamme comme Porsche qui ont toujours laissé de côté la télévision car trop « grand public », pourraient être attirées par une telle approche.
Cependant, le prix n’a pas encore été déterminé. Un ciblage plus précis devrait être plus cher, mais Sky prendrait alors le risque de faire reculer les annonceurs locaux censés être les principaux intéressés.
Une réponse au défi numérique
Apparemment, le projet a déjà été tenté aux Etats Unis par les chaînes ComCast et Time Warner Cable en 2008 sous le nom de Canoe Project. Si aujourd’hui leur offre a évolué principalement vers des vidéos diffusées en différé (et non en direct comme le souhaite BSkyB), l’idée de départ était d’adapter les outils de personnalisation d’Internet à la télévision. BSkyB espère même exploiter les comportements des foyers sur le web. Les mots clefs tapés dans les fameuses barres de recherche génèrent bien des publicités ciblées sur Internet. Pourquoi ne pas imaginer diffuser des publicités sur les chaînes de télévision à propos de prêts hypothécaires dans une famille qui en aurait fait la recherche sur le net ? C’est en tout cas ce qu’argumente l’opérateur. Mais ils oublient les bonnes vieilles interrogations sur le respect de la vie privée des internautes et des consommateurs, encore et toujours présentes et prégnantes. Le cas BSkyB n’est pas sans rappeler celui de l’EyeSee ou celui des chaînes françaises utilisant les données personnelles. L’opérateur entend de plus personnaliser les annonces en fonction des goûts des familles, détectés à partir de leurs habitudes télévisuelles. On se demande alors s’ils pourront déjà aller jusque là.
Effectivement, il semble que le projet de BSkyB soit (un peu trop) ambitieux. L’opérateur de télévision par satellite se perd dans les promesses. Il est aussi envisagé de créer un service de publicités interactives (le spectateur pourrait par exemple appuyer sur un bouton et « visiter » la voiture aperçue), alors que les questions de prix et de vie privée ont à peine été soulevées. Or, rappelons le contexte économique et social dans lequel nous nous trouvons. La diminution des budgets des annonceurs et la méfiance croissante des consommateurs envers les entreprises et les publicités sont des obstacles à intégrer dans leur stratégie. On attend la suite !
Camille Sohier
Source : article du Financial Times « La télé vous regarde » sélectionné par le Courrier International.

Société

Il faut sauver les Internets

 
Le World Wide Web existe depuis bientôt vingt ans. C’est sur ce système de liens hypertextes que nous nous connectons chaque jour. Il s’est largement démocratisé jusqu’à devenir synonyme d’Internet. Jusqu’en 2010, Internet s’est popularisé. Durant cet âge de la découverte, nous avons entretenu un rapport naïf, enthousiaste, émerveillé face au réseau. Il y avait une sorte d’effusion dans cet usage, encouragé par les idéaux et imaginaires d’Internet. Il était vu comme un objet presque magique.
Or, depuis trois ans son usage s’est complètement banalisé. Se pose alors la question de sa survie. Maintenant que ses fonctionnalités sont considérées comme acquises, il pourrait apparaître dérisoire de les défendre encore. Pourtant nous n’avons jamais eu autant besoin d’un volet législatif sur la question. Heureusement, après des années de méfiances envers le réseau, le gouvernement se décide enfin à agir. Jean-Marc Ayrault a annoncé jeudi 28 janvier, après un séminaire sur le numérique, une feuille de route expliquant dix-huit points sur lesquels le gouvernement va agir. Il s’articule autour des questions de la pédagogie, en lien avec la réforme sur l’Education, mais aussi autour des données personnelles et l’accès au très haut débit. Une loi était nécessaire, mais ces dix-huit points sont-ils suffisants ?
Deux choix fondamentaux
Nous sommes pourtant face à deux choix. Le réseau est de plus en plus surchargé. C’est ce qu’expérimentent par exemple les utilisateurs du fournisseur d’accès Internet (FAI) Free lorsqu’ils utilisent Youtube. Pour retrouver un accès rapide à ces sites utilisant beaucoup de bande passante, il faudrait payer plus. Internet finirait alors par être scindé en deux. La problématique d’un Internet à deux vitesses créerait une nouvelle fracture numérique, entre ceux ne pouvant s’offrir qu’un accès aux fonctionnalités essentielles – mail, moteurs de recherches – et ceux pouvant se permettre un accès aux réseaux sociaux, sites de vidéo, etc. L’Internet à deux vitesses serait contrôlé par les géants du net et par les FAI. L’accès à l’ensemble d’Internet deviendrait une exception. Ce serait la mort d’une de ses premières règles : la liberté d’y avoir accès.
L’autre choix viserait à perpétuer les idéaux d’Internet comme ils furent pensés par les premières communautés – avec la défense de la liberté sous toutes ses formes en tête de file. C’est pour un tel Internet qu’une loi est nécessaire. Ce serait un Internet libre mais encadré, fait et pensé pour les utilisateurs et non pour l’enrichissement de certains par le traitement des données privées.
Internet, une « zone de non droit »
Il est extrêmement urgent que les gouvernements agissent d’une manière concrète et efficace.  Il faut prendre en compte les idéaux d’Internet  et les défendre en les encadrant par une loi ferme, en dépit du lobby formé par les FAI et les géants d’Internet. C’est maintenant qu’il faut légiférer : les abus sur les utilisateurs sont de plus en plus fréquents. Citons par exemple le dernier rapport de la CNIL sur Google ou le blocage des publicités par Free qui a montré ainsi qu’il pouvait avoir de manière très facile un contrôle sur l’Internet de ses utilisateurs.
Il était donc temps qu’une série de lois soit enfin envisagée, surtout sur le point des données privées, de plus en plus grignotées par la récolte des big-datas.
Cependant, en dépit de cette position forte, la neutralité du net et sa protection brillent par son absence. Vite dénoncée par la Quadrature du Net et son porte parole Jérémie Zimmermann, l’absence de cette loi va même à l’encontre de l’avis du Conseil National du Numérique et de son nouveau président, Benoît Thieulin, qui doit présenter le 12 Mars un dossier sur ce sujet à Fleur Pellerin, Ministre chargée du Numérique. Pourtant cette dernière avait annoncé en septembre qu’elle ne voyait pas la nécessité d’une telle loi, position répétée lors d’une table ronde en janvier où Fast’N’Curious était présent.
Philippe Breton en 2001 publie dans Libération une tribune montrant qu’Internet est une « zone de non-droit ». C’est-à-dire que face à l’absence de lois, le territoire numérique est celui des abus et de la délinquance. Cette tribune a inspiré beaucoup de personnes, de Nicolas Sarkozy à Marie-Françoise Marais (actuelle présidente de l’HADOPI). Dans cette optique, Internet n’est vu que dans ses aspects négatifs. Cette vision unilatérale refuse fondamentalement d’envisager Internet dans sa complexité. De comprendre ses mécanismes et de légiférer en fonction de cela.
C’est certes une avancée que le gouvernement entreprenne enfin un volet de lois sur le numérique, en dépit de l’absence sans doute provisoire de la neutralité du net. Nous sommes désormais loin de l’incompétence du gouvernement en matière de numérique, qui trouvait probablement son origine dans cette vision dichotomique. On ne peut que s’en réjouir.
Mais face à ce premier pas, il est urgent que le gouvernement cesse d’entretenir ce climat d’insouciance face aux questions numériques. Il est temps qu’il se positionne sur des questions résolument modernes et qu’il mette fin à une vision simpliste et archaïque d’Internet.
 
Arthur Guillôme
Sources :
France Info
Ecrans.fr
La Quadrature du Net

2
Société

Commente et je te dirai qui tu es…

 
Quelles données pour quels enjeux ?
Aujourd’hui, nous connaissons tous les sites Internet des grands médias. Par exemple, « my tf1 » ou encore « M6 replay » pour ne citer qu’eux. L’intérêt de ces sites est de nous permettre de revoir à volonté nos émissions préférées et surtout de les commenter.
Je ne vais pas ici m’intéresser au « leurre de conversation » que nous proposent les entreprises médiatiques mais plutôt aux moyens qui permettent d’y parvenir. En effet, pour se voir autoriser l’accès à la partie « interactive » de ces plates-formes, il faut remplir un questionnaire. D’ailleurs, pour contacter le groupe ce questionnaire est lui aussi obligatoire. Les questions sont classiques : âge, sexe, nom, prénom, adresse et code postal. Classiques oui mais certainement pas anodines.
Les données stockées par les marques sont diverses. Il peut s’agir de notre adresse IP, du type de système d’exploitation utilisé ou encore du type de navigateur privilégié… Inutile de préciser qu’au passage, nous recevons un bon nombre de ces chers fichiers « cookies », qui permettent de nous suivre à la trace. Jusqu’ici rien de nouveau, tout cela ressemble à un bon vieux profilage publicitaire, devenu banal sur la toile.
Mais, revenons à nos moutons… Toutes ces données, recueillies lors de l’inscription, permettent de dresser le parfait portrait sociologique de notre petite personnalité. Dans les méandres juridiques censés nous expliquer nos droits, on ne trouve pas la moindre annotation concernant les commentaires que nous nous apprêtons à laisser sur le site. Pourtant, c’est bien de cela qu’il s’agit : « commenter ».
Qu’advient-il alors de nos prises de positions ?
Les différents travaux sur la réception, notamment dans le cadre des cultural studies, ont montré qu’ en fonction de notre appartenance sociale, nous décodons les signes envoyés par les contenus médiatiques de différentes façons, mais qu’il existe cependant des similitudes de réception au sein des mêmes groupes sociaux. Autrement dit, selon le modèle de l’habitus (Bourdieu), une partie de la réception nous est propre en tant qu’individus, une autre dépend de notre éducation, de notre environnement et de facteurs liés à notre statut social…
La réception est un enjeu crucial pour les médias. Pourtant, aujourd’hui, il n’est pas si évident pour les chaînes de définir précisément le profil des récepteurs. Il est encore plus ardu d’analyser comment le sens produit va être décodé par les différents publics. L’intérêt des commentaires pourrait donc se trouver ici. En donnant notre avis sur telle ou telle émission, nous permettons aux chaînes d’analyser la réception. En regroupant ces informations avec nos données personnelles, elles sont en mesure de construire une typologie du public. Cela leur permet également de percevoir l’interprétation que nous faisons de leurs contenus et ainsi, de voir si les signes et significations émis sont acceptés, négociés ou refusés.
Quelles conséquences me direz-vous ?
Une fois ce travail accompli, les chaînes seront en mesure de s’adresser efficacement à tel ou tel public. On peut imaginer que les contenus seront alors construits en fonction d’une typologie précise du public. En effet, nos commentaires font transparaître les signes que nous percevons ainsi que notre interprétation.
Le danger principal serait alors que les signes envoyés soient unanimement acceptés. Il ne faut pas perdre de vue le fait que dans les entreprises médiatiques l’argent est roi. Si l’on accepte les contenus plus facilement, pourquoi la publicité qui les accompagne ne serait pas également acceptée ? La cohabitation – voire collaboration – entre médias et annonceurs pourrait les amener à construire leurs messages publicitaires sur le même modèle. La publicité – parfois dissimulée à l’intérieur même des contenus – n’aurait alors plus qu’à réutiliser les signes les plus performatifs adaptés à sa cible. Nous assisterions alors au primat du sens dominant sur l’interprétation. Comprenons, la fin du feedback et le retour à un modèle linéaire. Une bonne vieille injection à grands coups de seringue hypodermique !
Qui les en empêcherait ?
Aussi surprenante qu’elle puisse paraître, la réponse nous vient du site Mytf1.fr : « Nous recueillons les Données personnelles que Vous Nous fournissez ».
 
Jordan Thévenot

Société

Google Reality

 
Vous en avez probablement entendu parler durant l’année passée. Et cela n’a peut-être pas été sans une petite pensée du style : « le monde devient une série Z ».
Le projet de Google, Glass, devient réel beaucoup plus rapidement que ce que même les plus passionnés des geeks auraient pu imaginer après le teasing de 2012.
De fait, le géant de Mountain View clôture en cette fin février une sorte de Beta ouverte, invitant des volontaires à commander le dernier prototype des lunettes. Un site dédié, racé, efficace et résolument circulaire, permet à ceux qui auront su montrer leur motivation via Twitter et Google+ de devenir des « Glass Explorers », des testeurs en avant-première. Pour la première fois, les rues des États-Unis vont être traversées par d’étranges visages barrés d’un appareil aussi élégant que dérangeant. Et la firme ne parle pas de le commercialiser en 2015 ou 2014. Mais en 2013.
…Verre ?
Pour ceux qui ont raté la vidéo « How It Feels » de Google, retenons que Glass aura plusieurs des fonctionnalités d’un Smartphone (photos, envoi et réception de SMS, recherches Google, suivi GPS…) uniquement activées par la direction du regard, les commandes vocales et les mouvements de l’utilisateur. L’une des fonctions les plus attendues offrira également la possibilité d’inviter ses proches à des « Google Hangouts », consistant en toute simplicité à leur rendre son propre champ de vision accessible en streaming.
L’idée, visant évidemment l’indigène urbain possesseur de Smartphone, est de permettre une immersion dans la vie de tous les jours que tout un chacun tend à perdre à force de passer ses trajets de métro à tapoter sur un écran. Et Google promet des mises à jour très régulières à la fois pour améliorer un système qui est encore loin de fonctionner à merveille et pour bien sûr étendre ses possibilités.
« God » too begins with « G »
Et ce sont ces dernières qui impressionnent. Nul ne tombera de sa chaise en lisant ici que Google est, pour la plus grande part, le prisme par lequel l’Occident (à tout le moins) voit le monde. Son moteur de recherche qui n’est jamais qu’un algorithme, ni omniscient sur le Web ni étranger aux interventions arbitraires sur son référencement, est utilisé par plus de 90% des gens qui ont une question à poser à Internet. Rien de nouveau ici, puisqu’il s’agit là de la toute première activité du géant.
Mais la firme a évidemment bien grandi. Si les réseaux sociaux n’ont pas été une piste très giboyeuse, les fils d’actualités l’ont été beaucoup plus. On se souvient de la récente illustration qu’en a faite le combat entre Google Actualités et les éditeurs de presse européens.
Youtube, pour sa part, est devenu une ouverture inestimable vers le secteur de la télévision. Les refontes successives de la plate-forme de streaming ont certes commencé, via une sorte d’effet diligence, par mettre en forme des suggestions de contenu qui ne faisaient que copier le concept d’une grille de programme télévisuelle. Mais elles sont promises à tellement plus au travers des 13 chaînes Google TV prévues pour la France seule et d’un parc de télévision connectée qui représentera probablement un marché exploitable d’ici fin 2013. Les chaînes traditionnelles, publiques comme privées, ont toutes les raisons d’avoir peur, très peur, du défi que va représenter leur expansion digitale face à un acteur qui nage dans ce secteur depuis sa naissance et pourra certainement éviter les déboires d’un Orange.
Et c’est sur ces bases que sera lancé un appareil bon marché à 1.500 $ en prix de vente annoncé. À comparer aux 125.000 $ du MREAL de Canon.
Bon marché donc, et plus proche des sens humains qu’aucun Smartphone ne l’a jamais été, prenant une terrifiante longueur d’avance sur l’Iwatch d’Apple. Ayant à peine commencé à batailler contre les Galaxy et autres Iphone avec le Nexus, Google passe donc à un produit dont le principal argument est précisément de faire paraître tous ces objets redondants et encombrants.
Le « tout-connecté », c’est « has-been »
Bref, vous savez probablement déjà où je veux en venir. Si l’on admet qu’Internet est devenu une manne et un succès mondial pour sa capacité à générer des communautés solides, et surtout, apparemment spontanées, que penser de Glass ?
Il ne s’agit plus, pour les annonceurs, de bombarder la Toile de discours d’escorte plus ou moins brillamment dissimulés, pour prendre un contact toujours plus fluide avec le consommateur. Il ne s’agit plus, pour ce dernier, d’accepter avec une vague gêne de consacrer chacun de ses instants d’oisiveté à liker, partager, twitter et allègrement diffuser de précieuses informations sur ses pratiques et ses habitudes. Enfin, il ne s’agit plus pour l’industrie des médias de trouver des moyens de garder sa validité tout en restant un vecteur indispensable à des stratégies de communication en refonte constante.
Glass pourra potentiellement faire intervenir tous ces acteurs, à chaque instant, avec une précision chirurgicale. Rendre le data mining ridiculement aisé car alimenté de façon proprement inconsciente. Créer autant de pratiques de consommation qu’il y aura d’occasions de regarder droit devant soi. La promesse de la réalité augmentée, en adaptant le mystérieux Ingress, équivaut même à une renaissance complète de ce que nous appelons communément la publicité.
Et aucun de ces moyens de contact, prodigieusement efficaces à n’en pas douter, ne sera possible sans Google. Ce doit être cela que les anglophones appellent brilliance.
 
Léo Fauvel
Sources :
The Verge
Doc News
The Register…
…et le brevet déposé pour Glass

Société

Le scandale Findus, une vraie boucherie !

 
Le 7 février dernier, les organismes de contrôle britanniques découvrent que les lasagnes au bœuf Findus contiennent en réalité plus de 60% de viande chevaline. Une véritable enquête se met alors en route, prenant une dimension internationale.
Les protagonistes
– Findus, dit la partie émergée de l’iceberg (Suédois)
– Spanghero, dit le fournisseur (Français)
– Comigel, dit le fabricant (Français)
– le Consommateur, qui ne sait plus sur quel cheval monter
– les Végétariens (qui de toute façon ne sont pas concernés)
– les Abattoirs roumains, de mèche avec les équidés
– les Négociants, dits les négociants
Les suspects
Acte 1 : la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) fait le lien entre les produits interpellés de la marque suédoise, découverts en Angleterre, et un fournisseur français de viande surgelée, j’ai nommé Comigel. Findus menace de porter plainte contre ce groupe messin, qui lui, affirme avoir été « berné » par son fournisseur Spanghero.
Acte 2 : pour s’innocenter, Spanghero met en lumière la complexité du processus d’achat intracommunautaire. Complexité, faible mot pour décrire le trajet tortueux de la viande, à partir d’abattoirs roumains jusqu’en France, en passant par des négociants chypriotes et néerlandais (dimension internationale avez-vous dit ?) !
Acte 3 : l’affaire fait un bref détour par la Roumanie, accusée d’avoir un stock important de chevaux à écouler suite au délaissement de la charrette au profit de la voiture. Les abattoirs roumains clament leur innocence, en affichant les nombreux contrôles vétérinaires à l’abattage.
Acte 4 : une fois n’est pas coutume, c’est la théorie du complot qui revient à la charge, les producteurs roumains dénonçant une « combine » entre fournisseurs et clients.
Acte 5 : nouveau rebondissement dans l’affaire avec l’avancement de l’enquête de la DGCCRF. Le 18 février, l’organisme lance des perquisitions dans l’usine Spanghero de Castelnaudary, l’accusant de tromperie sur l’étiquetage. Selon les premiers résultats de l’enquête, le fournisseur de viande aurait sciemment revendu du cheval à la place du bœuf.
J’accuse… ?
Au début de l’affaire, on nage dans un Cluedo fantastique du plat préparé et surgelé, chacun semblant donc être la victime de l’autre :
– Findus, trompé sur la marchandise, qui a donc porté plainte contre X,
– Spanghero, qui a rejeté la faute sur le fabricant Comigel,
– Comigel, qui renvoie la balle à Spanghero et aux équidés roumains.
– les Roumains, soupçonnés car en début de chaîne, et qui essaient de se défendre tant bien que mal,
– les consommateurs, floués.
Le déroulement de l’enquête met en lumière ce qui semble être une fraude gigantesque sur l’étiquetage de la viande. Première mi-temps du Cluedo : j’accuse Spanghero, avec une fausse étiquette, à Castelnaudary ! Et quid de Comigel, qui pourrait avoir sciemment fermé les yeux sur les activités peu claires de son fournisseur ?
Selon Benoit Hamon, (conférence de presse du 21.02 à la suite d’une rencontre avec des représentants du secteur agroalimentaire) cette fraude européenne pourrait ne pas se limiter à Spanghero mais concerner aussi d’autres filières de la grande distribution.
En bon Capitaine Moutarde (sans jeu de mot gastronomique, vraiment), on ne sait plus à qui jeter la lasagne, ici !
L’art de la communication de crise
À l’heure de l’instantané, impossible de fuir le scandale ni de chercher à étouffer l’affaire. Les internautes s’en sont rapidement emparés à coups de détournements plus ou moins osés, mais amusants pour la plupart. Alors que le gouvernement tente de rassurer les consommateurs en montrant sa participation active dans la gestion de la crise, soyons honnêtes : comment consommateurs et supermarchés, qui achètent des produits à si bas prix, peuvent-ils croire une seconde que le circuit de commercialisation, de l’abattoir au présentoir, n’ait rien à cacher ?
Findus s’est contenté au début de marteler les deux mêmes arguments en boucle : le consommateur ne craint rien d’une part, et Findus a justement permis cette découverte, par sa rigueur et ses contrôles. Depuis une semaine, la marque change de stratégie et tente d’effacer sur la toile les liens entre son nom et cette triste affaire. On ne trouve plus sur leur page Facebook de publications sur ce thème. Ils ont également contacté plusieurs médias web à travers l’agence Reputation Squad. Le but étant de noyer le poisson (à défaut du cheval) pour que le nom de Findus cesse, à l’avenir, d’être associé à l’affaire dans les recherches internet.
A qui profite le crime ?
– À Twitter, qui profite aussi de la créativité des internautes ! Depuis le 7 février, les tweets à #Findus ne cessent de défiler. Les journaux y évoquent les faits nouveaux de l’enquête et les twittos partagent leur indignation et leurs meilleurs jeux de mots. D’autres hashtags ont dérivé du premier comme #Findusfail, #FindusPape (la démission du Pape a laissé un peu de répit à Findus) et pour les cinéphiles : #RemplaceUnNomDeFilmParLasagne. D’ailleurs, bientôt dans les salles : L’Homme qui murmurait à l’oreille des lasagnes et Harry Potter et les lasagnes mêlées.
– À la créativité des internautes:

– Aux végétariens, qui ont la joie de pouvoir dire aux carnivores : « tu vois, je te l’avais bien dit ! » Comme « nous serons tous végétariens d’ici un demi-siècle » selon des chercheurs suédois (la viande étant trop chère à produire et diététiquement trop pauvre), autant compter sur les scandales de la boucherie industrielle pour accélérer le mouvement. Il est temps de s’y mettre !
– À Ebay, qui inaugure un nouveau marché underground : la vente de l’édition limitée des lasagnes Findus un bon moyen pour la marque suédoise, peut-être, de récupérer ses produits entachés ?
De toute façon, tout cela retombera vite dans l’oubli : qui se souvient encore précisément de l’affaire steak haché de chez Lidl, ou du concombre infecté, arme de destruction massive ? Ce genre d’affaire, entre scandale, fascination et fantasme, révèle surtout quelque chose de la société humaine et de ses évolutions. Le cas Findus et la grande crise de confiance qui en résulte nous en dit long sur le décalage entre attachement aux cultures nationales et contraintes imposées par la mondialisation. L’Affaire Findus influencera-t-elle durablement l’ère du local face au « village global » ? Poussera-t-elle les industriels à faire preuve de plus de transparence dans la fabrication et l’importation de leurs produits ? En attendant, j’ai comme une envie de lasagnes… Pas vous ?
 
Sophie Pottier et Pauline St Macary
Sources :
La découverte du plat à lasagnes
La communication de crise Findus, tant bien que mal
Détournements en images
Spanghero : coupable avéré ?
Effets du scandale sur le végétarisme et la bio-attitude

Société

Le denim-poubelle

 
Levi’s a lancé en janvier dernier, pour sa collection Printemps 2013,  une nouvelle gamme de jeans éco-friendly : Waste<Less. Conçus avec 20% de plastique recyclé (issu de bouteilles et d’emballages plastiques triés et traités), ces nouveaux jeans répondent aux exigences de la marque d’adopter une image saine et respectueuse de l’environnement auprès de ses consommateurs. Ce lancement poursuit ainsi les engagements de la marque depuis 2009, et fait écho à la précédente gamme Water<Less qui proposait une fabrication moins gourmande en eau.
Avec l’audacieux slogan « These jeans are made of garbage » (*Ces jeans sont fait de déchets), les jeans Waste<Less allient un discours éco-responsable au style reconnaissable de la marque californienne. Quels intérêts présentent alors le développement de gammes « green » pour les géants du prêt-à-porter ?
Avant tout, les marques cherchent à améliorer leur réputation auprès d’un public mieux informé et plus concerné. À l’image de la campagne « Detox » de Greenpeace qui a bénéficié d’une forte publicité, un réel besoin de connaître la qualité et l’origine des produits que nous consommons émerge.
Lancée en juin 2011, « Detox » engage les grandes marques de prêt à porter telles que Levi’s, Zara, C&A, Benetton et bien d’autres, à éliminer la présence de composés chimiques nuisibles pour la santé et l’environnement dans leurs produits. Après avoir dénoncé le gâchis et la pollution des eaux employées dans leurs chaînes de production aux quatre coins du monde, Greenpeace s’est attaqué aux ethoxylates de nonylphénol, des substances chimiques présentes dans les vêtements, qui perturbent l’environnement et peuvent causer des troubles du système endocrinien (*responsable de la production d’hormones).
Ainsi, le 12 décembre 2012, Levi’s a rejoint le mouvement et s’est engagé à réduire drastiquement la présence de substances toxiques dans ses jeans, tout en assurant dès juin 2013 une visibilité majeure sur les données de pollution provenant de ses fournisseurs.
Dans ce contexte, Waste<Less n’apparaît plus seulement comme un précurseur de tendances, mais plutôt comme le contre-pied d’une campagne nuisible. Mieux encore, Levi’s répond à une prise de conscience massive des risques écologiques et sanitaires que présente l’industrie textile. Cette tendance marketing très rentable permet donc de satisfaire les exigences des nouveaux consommateurs, tout en dissimulant sous le masque du recyclage et de l’éthique, les étapes cruciales de production et de distribution, qui demeurent la source majeure de pollution dans l’industrie. La bonne conscience étiquetée « green » se vend si bien qu’il devient alors difficile de faire le tri entre les marques qui érigent cette valeur comme outil de vente et celles qui se fondent réellement sur cette pensée.
Ceci étant dit, Levi’s n’aura pas manqué d’être dénoncé pour ses pratiques (communes) douteuses, et la volonté de la marque de s’associer au courant du recyclage en proposant des solutions originales, ne peut être blâmée. Au contraire, sa force d’influence peut justement participer à l’éducation des consommateurs et créer chez eux l’envie d’une mode détoxifiée.
 
Clémentine Malgras
 
Sources :
Lancement Waste<Less: #!
Video Greenpeace « Detox Levi’s »: http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=x173k1cRSzE

1