Flops

La Déesse et le métal

De l’art du flop

 

La communication n’est pas quelque chose d’acquis, et encore moins quelque chose de certain. Le message, quel qu’il soit, n’arrive pas toujours à son destinataire comme son émetteur l’aurait souhaité. Cela peut parfois donner lieu à d’agréables surprises et créer diverses interprétations du signal, qui ne font que le nourrir tout en le modifiant. Néanmoins, l’isomorphisme communicationnel (termes donnant un certain crédit à ce qui va suivre)  demeure quelque chose de précieux en ce bas monde. Il arrive que, dans bien des cas, le message passe complètement à côté de son but premier, qu’il ne prenne pas, ou qu’il se vautre lamentablement pour souvent finir dans les oubliettes des SIC, auprès des bides, flops et autres navets.

Pourquoi ?
Cette question sera l’âme même de notre rubrique. Mes camarades et moi-même ne sommes pas ici pour donner une note au plongeon, savoir si les jambes étaient assez tendues au moment de l’impact dans l’eau ou si les courbes étaient assez élégantes dans l’air. Bien au contraire, nous sommes ici pour envisager et analyser le plat, le fracas retentissant du corps contre l’eau, le moment où la nature reprend son droit sur l’homme qui n’arrête pas de la violer. C’est bien ici que cela se passe : l’échec du plongeon communicationnel dans toute sa splendeur. Le navet, à côté d’être un légume indigeste à mon goût, est un objet complexe qui renferme bien des mystères. Tout en restant relatif, il peut nous décevoir, nous faire rire, nous choquer, nous perturber, nous inspirer, nous énerver mais ne nous laisse jamais indifférent, à part peut-être quand il est trop gros pour qu’on ne le remarque même pas. Vous nous voyez ici, chers lecteurs, à votre service dans cette quête universelle qui tente de comprendre le  naze, d’analyser le nul ou de redorer le blason de l’incompris. Car pour nous le « contre-communiquant » et la maladresse voire la bêtise des messages font sens. Et c’est bien là le plus important.

 

La Déesse et le métal

 

 

« Je crois que l’automobile est aujourd’hui l’équivalent exact des grandes cathédrales gothiques : je veux dire une création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique. »
Roland Barthes, Mythologies

Ce week-end a vu naître la nouvelle campagne publicitaire pour la petite dernière de la gamme DS de Citroën, la DS 5. Amis métalleux veuillez m’excuser d’avance mais Marilyn Manson ne m’a pas convaincu.
« Changez d’époque » nous dit le slogan pour une voiture « hybride et diesel ». Changer d’époque , pourquoi pas, mais alors pour ne pas finir dans n’importe laquelle. Le mécanisme est simple, ce qui peut, dans bien des cas s’avérer payant, mais ici trop lourd et mal choisi. Reconnaissons tout de même la bonne idée du choix de l’oxymore comme ressort communicationnel dominant, lui aussi hybride car à la fois visuel et sonore. Néanmoins, l’idée est à mon sens mal exploitée.

Premièrement la publicité nous donne à voir un orchestre philharmonique en train de jouer, et à entendre un morceau de métal de Marilyn Manson. Mais nous voyons directement que ce n’est pas l’orchestre qui joue le morceau. Aussi évident que cela puisse paraître, ce choix, à visée peut-être humoristique ne contribue au final qu’à enfoncer dans la lourdeur un contraste alors flouté par l’irréalité flagrante du son sur l’image.
De plus, l’erreur fondamentale de cette publicité est d’avoir considéré à notre époque , d’une part la musique classique comme une musique obsolète et d’autre part le fait que l’énergie, à terme exaspérante, du métal pouvait jouer le rôle d’ambassadrice d’une nouvelle « époque » au sens où Barthes l’entend, complètement différente par son dynamisme.

Dans le cas présent, les flèches n’atteignent pas leurs cibles. La personne adulte voire senior qui ne connait en rien Marilyn Manson et qui apprécie plus ou moins la musique classique est exclue, le jeune qui vient d’avoir son permis et qui compte s’en servir pour aller en boîte ne supporte en général pas ou plus le métal et enfin l’adolescent qui lui s’enivre des douces harmonies du hard rock est encore loin d’avoir le permis. L’élément musical n’est donc ici pas adapté à l’antithèse mise en place. A moins, qui sait, si les anciens clients de DS sont aujourd’hui devenus de sombres quinquagénaires ayant troqué leurs 45 tours des Beatles contre des téléchargements de compilations de métal.

Pour conclure, rendons à la musique, ce qui revient à la musique : j’eus écouté un jour Manson, à l’âge ou je balbutiais la Lettre à Elise au piano. Mais après plusieurs années d’écoute, il me semble possible d’affirmer que Beethoven ou encore Mozart envoient tout autant du lourd que ce dernier, si ce n’est plus, quand ils étaient en grande forme…

 
Ambroise

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8 thoughts

  • C'est pas si important de savoir de qui est la musique, c'est le propos qui est intéressant , surtout.Il n'y a pas d'irréalité du son sur l'image, au contraire.On ne s'est pas contenté de mettre du métal sur des images d'orchestre , cette pub a été tellement bien filmé qu'on ne fait plus la différence entre la puissance de la musique de Manson et celle de l'orchestre en mouvement.Ca me fait penser à Clouzot qui filme la cinquième de Beethoven et qui arrive à restituer par la simple évocation de l'image , juste en se mettant au bon endroit,au bon moment, toute la force de la musique.En fait cette pub est bien plus fine qu'il n'y paraît.

    • Ce n'est pas tant la réalisation technique de la pub qui est remise en question ici, bien que Clouzot filmant Karajan c'était quand même autre chose, mais le choix des deux types de musique et leur superposition qui ne fonctionne pas. Le classique est aujourd'hui en un sens plus moderne que le métal et si je devais changer d'époque, là maintenant, il me viendrait plus vite à l'esprit de garder Mozart que de lui préférer Manson.

  • Après une lecture attentive de ton article, je souhaiterais faire plusieurs commentaires sur le fond de ton propos.
    Le premier élément est l'étude que tu fais de la musique choisie : je ne suis pas non plus un grand fand de Manson mais je peux t'affirmer que le morceau ne peux pas véritablement être considéré comme “métal” mais bien plus “rock” si l'on fait abstraction de la voix, qui est assez peu présente dans l'extrait.
    De plus le choix de le mettre sur des images de personnes jouant de la musique classique me semble véritablement intelligent : bien sûr que l'on comprend rapidement que ce ne sont pas eux qui jouent, mais chacun de leurs mouvement correspond à une variation du morceau de M. Manson. L'autre réussite, me semble t-il, est que l'utilisation qui est faite de la musique permet de faire passer un véritable message au téléspectateur : c'est une voiture hybrique, on a donc une musique hybride qui reprend les valeurs de la DS (le côté classique de la marque citroën et le côté beaucoup plus sport et nerveux de la DS5).
    Enfin je pense que les gens suceptibles d'acheter une DS5 ont un profil plutôt,voire clairement bobos : ce sont donc des gens qui apprécient tout autant le hard rock (sans être des ados attardés) que la musique de Debussy (sans être des papys du XVI°). Ce sont donc eux-aussi des êtres hybrides, qui se reconnaissent dans une voiture écolo, sexy mais aussi familiale et sportive. C'est pour cela que je pense que cette pub est une véritable réussite d'un point de vue communicationnel; car si l'on dépasse les premières barrières de signification, on se rend vite compte que tout vient cibler les futurs clients de la marque.

  • Non mais ça ne choque personne que le symbole de la nouvelle époque soit Manson? Je conçois qu'il est facile d'associer l'ancien à la musique classique, c'est un lien efficace, réputé, très souvent utilisé. Mais depuis quand Manson représente l'avenir?
    Je crois qu'il y a un bien un problème qui se pose dans cette publicité, et c'est un problème de valeur. Si la clientèle ciblée, c'est le bobo, alors oui: "changez d'époque", développement durable, hybride -bam, ça marche. Mais n'était-ce pas le moment par exemple de nous placer un bon petit morceau d'un groupe de rock qui se vendrait "indé"?

  • Léon je suis parfaitement d'accord avec toi, je ne pense vraiment pas que Manson soit le type de musique susceptible de toucher le bobo branché d'aujourd'hui et c'est ça qui est dommage.

  • Pour ce qui est du choix de Manson je suis entièrement d'accord sur le fait que Manson n'est franchement pas un artiste qui reflète le mieux la “nouvelle époque”, et c'est sûr que c'est toujours plus sympa de promouvoir de la musique indé via la publicité. Après ils l'ont selon moi déjà fait avec la DS3 (Ebony Bones) et la DS4 (Cassius – même si c'est plus vraiment de l'indé dans le milieu électro) et le fait que ce soit la DS5 change pas mal de choses. Déjà ce ne sont pas les mêmes bobos (plutôt de gens de 40 – 50 ans, car, même si on est bobo on a pas toujours les moyens d'acheter une voiture à 40 000 euros à 30 ans) et donc le choix de la musique correspond plus aux client visés, qui écouteront plus du rock, et qui sont pas forcément à la page du dernier truc indé.
    Après je pense que la musique de Manson se prêtait assez bien à l'effet visé (mettre une musique vraiment décalée mais qui corresponde à l'énergie que peut rendre le classique) et la pub ça reste souvent travailler sur les clichés, et cela même pour les produits plus originaux. Sinon j'aurais pas été contre un morceau des Dead Weather qui sont dans la “même veine” que ce qui est proposé ici.

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