La Barbe au Petit Journal de Canal+ en décembre 2011
Société

Des féministes à barbe, une communication barbante

Le 9 décembre dernier, le collectif La Barbe était invité sur le plateau du Petit Journal. La Barbe est un groupe de féministes dont le but est de dénoncer « la domination des hommes dans les hautes sphères du pouvoir, dans tous les secteurs de la vie professionnelle, politique, culturelle et sociale »*. Pour cela, La Barbe préconise l’action : leurs activistes (des femmes, donc) se rendent dans des lieux majoritairement occupés par des hommes, en arborant une barbe. Leur but est de déranger et de rendre visible l’inégalité sexuelle qui réside encore dans bien des domaines.

Une action pacifique et plutôt louable, donc, car basée sur une vraie constatation : l’égalité hommes-femmes est encore loin d’être établie !

Pourtant, lorsque deux activistes du groupe La Barbe sont invitées sur le plateau du Petit Journal de Yann Barthès, cela se conclut par un échec médiatique et communicationnel évident.

Retour sur l’interview du 9 décembre :

Pas besoin d’être un génie en communication pour remarquer que Céline et Amélie, les deux représentantes de La Barbe ce jour-là n’étaient absolument pas préparées, et qu’en matière d’image, elles ont plutôt raté leur coup.

Pourquoi ?

Tout d’abord parce qu’elles sont visiblement mal à l’aise, face à un Yann Barthès que personnellement j’ai pourtant trouvé assez accueillant. Ensuite, en plus d’être agressives et sur la défensive, leurs arguments ne sont pas convaincants : elles utilisent des statistiques fausses, se montrent évasives lorsque Yann Barthès leur demande ce qu’elles attendraient d’un cabinet de la République constitué de 83,3 % de femmes, au lieu  de répondre que les féministes ne souhaitent pas obtenir une majorité de femmes, mais une égalité 50/50 entre les sexes. Quand Yann Barthès leur demande pourquoi elles ne s’attaquent pas au Front National qui, à l’exception de sa présidente, est constitué exclusivement d’hommes, elles se rétractent et parlent d’un « non-sujet », nous laissant sur notre faim. Qu’est-ce qu’un non-sujet ? Pourquoi La Barbe ne s’intéresse pas au Front National ? Le doute flotte. Enfin, elles citent le rapport Reiser sur la place des femmes dans les médias sans l’expliquer, ce qui aurait pourtant permis de prouver qu’elles ne se basent pas que sur du vent pour justifier leurs actions.

A la fin de l’interview, Yann Barthès leur demande « Pouvez-vous dire [aux hommes] que vous n’avez rien contre eux ? », leur donnant ainsi l’occasion d’expliquer qu’elles demandent simplement que l’inégalité hommes-femmes soit réellement reconnue et que quelque chose soit fait, l’occasion de se montrer enfin sous un jour positif. Mais non, rien n’y fait, la question obtient une réponse une fois de plus agressive, digne d’un enfant de 5 ans qui rétorquerait « j’te cause plus » ou « même pas vrai » à une question qui le dérange.

Bref, les personnes qui ont vu cette émission et qui n’étaient pas sensibilisées aux idées du féminisme ont dû se dire que c’était une bande de filles agressives, qui se battent contre du vent et sans un fond de réflexion. Ce n’est évidemment pas le cas. Il suffit de jeter un coup d’œil au site internet de La Barbe pour comprendre que leur action est justifiée et fondée (elles y expliquent notamment pourquoi elles ne veulent pas s’attaquer au Front National).

Ce petit évènement médiatique nous montre combien un communicant peut faire du tort à ce qu’il représente. Les deux interviewées ont en effet donné une mauvaise image de leur collectif, à un moment d’audience et de visibilité nationale élevée, idéal pour montrer posément leurs idées, leurs revendications, pour faire parler d’elles d’une bonne manière.

Cela prouve une fois de plus à quel point la communication est nécessaire et doit être un élément pensé, qu’on ne peut pas laisser au hasard. Quelque soit la structure, l’entreprise, la marque ou l’association, qu’elle ait de bonnes idées ou non, elle n’est rien si elle n’est pas accompagnée d’un discours positif et valorisant qui la rend visible et appréciable.

Depuis le 9 décembre, cette interview a fait couler beaucoup d’encre, notamment sur les réseaux sociaux, et le collectif a eu l’occasion de s’expliquer sur plusieurs blogs. Il est simplement dommage que La Barbe n’ait pas su montrer un visage positif plus tôt, et on espère qu’elles auront retenu la leçon : qu’on le veuille ou non, on n’est rien sans communication.

 
Claire Sarfati
Sources :
Site internet du collectif La Barbe
Canal+
Crédits photo :
Site internet La Barbe

Tags:

18 thoughts

  • Certains diront qu'elles ont perdu une bonne occasion de se taire. Ce qui est sûr, c'est qu'elles n'ont pas su saisir une opportunité. Faire en sorte d'intéresser les médias n'est pas toujours évident, Yann Barthès leur avait pourtant tendu la perche. Elles sont passées à côté !

  • C'est vraiment dommage que le féminisme soit en règle général toujours sur l'agressivité et la défensive alors qu'ils sont nécessaires dans ce combat pour l'égalité des sexes… Vraiment dommage, surtout qu'effectivement Yann Barthes avait été plus que courtois!!

    • Bravo pour cet article. En effet, on est mal à l'aise pour elles mais en lisant leur réponse sur leur site, on peut comprendre qu'elles aient pu être désorientées, ou avoir peur d'être tournées en ridicule s'ils ont effectivement tourné des scènes stupides coupées au montage.
      Et cette autre vidéo est super ! Cette petite fille a tout compris !

  • Fidèle du Petit Journal, j'étais passé à côté de ça dis donc… Merci pour cet excellent article…et c'est vraiment frustrant de les voir comme ça s'enfoncer de plus en plus….ouïe !

  • Très bon article sur un passage T.V qui m'a particulièrement marque. Un vrai bide.. Je m'etais fais la reflexion que ces femmes representent ces feministes un peu nevrosees qui font du tort à une cause qui est legitime au depart. Je vais fouiller leur site, pour verifier qu'il s'agit bien d'un problème d'eloquence, de communication, et non de fond.. Ce qui reste regrettable.. Dans un monde ou l'image est reine, negliger la forme c'est se tirer une balle dans le pied !
    Ce passage meritait une analyse, voilà qui est fait, et bien fait qui plus est !

  • Très bon article. Très juste !
    J'ai voulu mieux comprendre. Alors, je suis allé voir leurs explications, à ces "gâcheuses de cause", explications dont vous donnez la référence : (http://www.labarbelabarbe.org/La_Barbe/Actions/Entries/2011/12/12_Canal_plus_naime_plus_les_femmes_a_poil%21.html).
    Extrait :
    <cite>Beaucoup aussi, bien intentionnés, se relayent pour offrir des leçons de communication à la Barbe. Qui devrait parler, comment et pour dire quoi ?
    Dans Classer, Dominer, Christine Delphy décrit très bien ce phénomène de domination des Uns sur les Autres, ou dès lors que les Autres s’expriment dans un registre qui diffère de ce qui est attendu par les Uns, les Autres se voient renvoyés avec condescendance à leur supposée incompétence."</cite>
    Euh… Et bien non, quand le "registre qui diffère" est un rejet de l'autre, un refus de répondre aux questions, ce n'est pas un refus de domination, c'est de l'agression, cela ne génère que de l'incompréhension.
    Tout le propos est pourtant juste (et ce qui est expliqué sur leur blog à propos des médias aussi).
    Par exemple, lors de l'interview, pourquoi dire c'est un non-sujet à propos du FN et ne pas donner les explications qu'elles donnent sur leur site, explications tout à fait recevables ?
    Et si elles refusaient de rentrer dans le jeu de l'animateur, pourquoi ne pas le dire dès le début alors ? "Nous n'allons pas entrer dans un jeu polémique de questions réponses, voilà ce que nous voulons dire : statistiques, les médias, etc."
    Cela eût été un choix de communication différente et pas une non-communication !
    Oui vous avez raison, c'est bien un problème de communication.

  • "A la fin de l’interview, Yann Barthès leur demande « Pouvez-vous dire [aux hommes] que vous n’avez rien contre eux ? », leur donnant ainsi l’occasion d’expliquer qu’elles demandent simplement que l’inégalité hommes-femmes soit réellement reconnue et que quelque chose soit fait, l’occasion de se montrer enfin sous un jour positif. Mais non, rien n’y fait, la question obtient une réponse une fois de plus agressive, digne d’un enfant de 5 ans qui rétorquerait « j’te cause plus » ou « même pas vrai » à une question qui le dérange."
    Etrange comme ça ne choque personne. Yann Barthès, "accueillant", nous dit l'auteure de l'article, se permet de poser une question qui, bien loin d'inviter à un débat d'idées, place le combat féministe sur le terrain du sentiment (les féministes auraient "quelque chose" contre les hommes) : de la pure provocation. Faut-il vraiment qu'elles se justifient, qu'elles rassurent les hommes qui "ont peur" ? Ah, bien sûr, c'est qu'elles ne sont en rien légitimes. Il n'y avait rien à répondre à cette question qui était, clairement, digne d'un enfant de cinq ans (et ce "vous", qui est-ce exactement ? – je passe sur la pluralité des féminismes).
    Je trouve que le reste de "l'interview" est exactement de cette tonalité. Yann Barthès a en quelque sorte tenté de "dépolitiser" le collectif, ce qui n'a pas marché, en les entrainant sur le terrain de la provocation (les 83,3% de femmes) l'humour facile et des flatteries ("sur des visages qui ne sont pas moches"… les clichés ont la vie dure). Et en écoutant un peu, on s'aperçoit que le premier qui prend la mouche et qui fait semblant de ne pas comprendre (franchement, la place des femmes dans les médias, c'est vraiment de la mauvaise foi notoire), c'est le présentateur. Qui d'ailleurs ne répond pas à leurs invitations à débattre théoriquement (au sujet du rapport sur la présence des femmes dans les médias, notamment). Personne ici n'a l'air de le remarquer, c'est dommage.
    Sinon, moi, elles m'ont fait rire. Et pas à leur détriment.

    • Merci pour ton commentaire.
      Je ne suis pas vraiment d'accord sur le fait que la dernière question soit de la provocation. Moi qui suis totalement en accord avec les idées du féminismes, j'ai bel et bien trouvé qu'elles semblaient avoir "quelque chose contre les hommes", en particulier lorsqu'elles listent le nom des journalistes "merci à machin, machin, et merci à vous Yann", et quand il leur a posé cette question, je me suis "ah super, elle vont pouvoir enfin dire que non elles ne sont pas anti-hommes, que ce n'est pas le sujet de leur combat" ! Et du coup j'ai été très déçue de leur réponse.
      Tu es visiblement sensibilisée au féminisme, mais pense à ceux qui ne le sont pas ! C'était l'occasion de leur montrer à eux ce qu'elles pensent vraiment, de leur enlever de la tête les idées entérinées sur le féminisme.
      Par contre je suis d'accord avec toi sur le "vos visages qui ne sont pas moches", ça c'était limite …
      Sincèrement, tant mieux si toi (et donc probablement d'autres gens) ont trouvé que leur prestation était réussie, on ne peut que s'en réjouir ! Mais personnellement j'ai trouvé ça très, très décevant.

      • Merci pour la réponse.
        Pour l'énumération initiale ("merci à… etc"), ce n'est pas une attaque contre "les hommes" dans le sens où elles "auraient qqch contre eux" (ce qui, j'espère que tu vois ce que je veux dire, relèverait de l'affectif) mais une manière de marquer l'omniprésence des hommes dans les postes de direction (ce qui est éminemment politique).
        Après, effectivement, je suis un peu sensibilisée aux idées féministes, mais là où je ne suis pas d'accord avec ta réponse c'est qu'aucun (ni Yann Barthès ni les deux militantes) ne voulaient "vulgariser". Pour elles, comme on le voit sur leur site, c'était une action comme les autres. Et lui n'avait de toute évidence aucune envie de parler d'idées, ni de débattre, comme le montrent son repli sur son humour de base et sa mauvaise foi criante.
        Et les militant-e-s (en général) ne sont pas responsable des idées reçues et des préjugés que l'on a sur eux ou elles en l'occurrence. La remise en question aurait du venir de la part de Yann Barthès.
        Pour tous ceux qui ne sont donc pas sensibilisés au(x) féminisme(s) et qui liraient cet article, je vous conseille alors de jeter un coup d'oeil sur la page internet de La Barbe, à laquelle tu te réfères d'ailleurs, mais c'est toujours mieux d'aller lire en entier et par soi même.

        • Oui, alors peut-être que l'erreur est justement d'avoir voulu en faire une action comme les autres, et non de la vulgarisation … Parce que le Petit Journal, c'est quand même le lieu d'une grande audience, et donc de la vulgarisation, en quelque sorte.
          Après, c'est vrai que les féministes en général et La Barbe sont deux choses différentes, et que les deux femmes représentaient leur collectif et non toutes les féministes en général, et leurs idées. Malheureusement pour les gens qui ont vu l'émission, il était vite fait de faire l'amalgame, et de tout mélanger, et c'est ça que je trouve dommage !
          Effectivement, un petit tour sur le site de La Barbe est très utile), pour remettre les choses à leur place. Mais c'est d'ailleurs ça que j'ai voulu dire dans mon article (outre l'aspect communicationnel), c'est que pour vraiment comprendre La Barbe, il ne fallait pas en rester à cette prestation-là !
          (Je comprends tout de même ce que tu veux dire sur la distinction affectif/politique, mais ça ne fait que confirmer ce que je dis : la communication était mauvaise, dans le sens où les deux pôles de la communication (elles d'un côté, le journaliste de l'autre) n'étaient pas sur le même plan. Malheureusement je crois vraiment que le public se situe sur le même plan que Yann Barthès et ne les aura donc pas comprises elles.)
          Merci en tout cas de faire avancer le débat !!

  • CORRECTION ET AJOUT
    Bah. Spectacle Zéro à Barthès – zéro aux femmes à barbe. Barthès est un crétin autocomplaisant comme la télé en produit des centaines : pénible.
    Même si ces filles avaient avancé des arguments intelligents et fourni des données, Barthès était prêt avec sa liste de "défense des médias" et les auraient ridiculisées (il est là pour faire rire le public au détriment des invités) en se moquant de leur sérieux sous-entendu de "bonne soeur féministe anti-homme.
    L'erreur de F à B est de vouloir se faire voir à la télé.
    Pourquoi ne s'occupent-elles pas du problème dans leur environnement direct : universités, écoles de journalisme, milieux professionnels?
    Enfin, cette forme de divertissement qui consiste à mettre en boîte l'invité (Ardisson) n'a pas été inventé en France – le genre mise à mort publique prétendument humoristique et "intelligente" où l'animateur a toujours le beau rôle a commencé aux USA, et s'est répandu dans le monde entier.

Laisser un commentaire